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Encore à la petite maternelle

Enquête mars 2014

Encore à la petite maternelle

Avec un secteur privé fragile, une industrie peu diversifiée et trop liée aux hydrocarbures, un secteur bancaire qui n’est là que pour payer les salaires des fonctionnaires et avec des IDE en baisse, chassés par la force de la loi, l’Algérie assume pleinement son statut de cancre économique dans la région.

Le forum organisé en février à Marrakech pour les entrepreneurs de l’Union du Maghreb Arabe a fait l’éloge des opportunités de collaboration entre les cinq pays. Mais pour l’heure, c’est le blocage qui est de mise. Un état de fait qui coûte à chaque pays 2,5 points de PIB en manque à gagner, et 9 milliards de dollars annuels en total. Tout le monde le sait, c’est l’Algérie qui est la cause de ce blocage. Dans un pays où l’on n’a pas besoin d’être performant pour survivre, qui comptabilise 190 milliards de dollars à fin juin 2013, couvrant trois ans d’importations, la rente bat son plein. Et le politique trône en maître absolu, reléguant le bon sens économique au dernier rang. La mentalité (pseudo) socialiste est avancée pour expliquer la politique protectionniste du pouvoir algérien depuis l’indépendance à aujourd’hui. Une politique qui a privilégié, dès le départ, le secteur public comme garant de la stabilité économique et sociale du pays, et a induit une économie de rente dangereusement tributaire de l’activité d’exportation des hydrocarbures. Le PIB algérien ressort à 188,6 milliards de dollars en 2012, dont plus de 40-45 % générés par les hydrocarbures. Aussi, cette activité génère 97% des recettes d’exportation avec 73,9 milliards en 2012 et 70% des recettes budgétaires. Dans un récent rapport, le FMI tire la sonnette d’alarme sur cette dépendance. L’économie algérienne pourrait en effet faire face à l’épuisement des ressources fossiles.
Il fait ainsi état d’une tendance décroissante des exportations d’hydrocarbures en 2013 et une croissance rapide des importations, avec l’enregistrement d’un léger déficit du compte courant durant les trois premiers trimestres de 2013. Cela s’explique, en effet, par la forte dépendance du pays des importations, alimentaires notamment. En effet,  plus de 60% des besoins en céréales sont importés, 30% de ses besoins en viande bovine, la quasi-totalité de son huile, sucre et produits laitiers… Les principaux fournisseurs de l’Algérie sont la France (28 % du marché), l’Argentine (15,5 %) et le Brésil (15,2 %).
Ces prévisions alarmistes quant à l’avenir de l’économie algérienne s’appuient sur un postulat qui veut que les réserves algériennes de pétrole pourraient bien s’épuiser d’ici 2032, tandis que les réserves de gaz tiendraient jusqu’en 2068. Le FMI s’est en effet basé sur des données de British Petroleum. Mais il faut préciser, à ce niveau, que le niveau des réserves prouvées a été revu à la hausse au cours des deux dernières décennies.

Il y a une tendance décroissante des exportations d’hydrocarbures et une croissance rapide des importations

Sonatrach, 95% des recettes fiscales
Toutefois, le postulat en question met en avant toute la nécessité d’initier une réflexion sur les politiques et les équilibres budgétaires en Algérie. Se pose alors avec acuité le problème des ressources budgétaires. Si le FMI pense que la croissance réelle à long terme (2011-2060) devrait s’établir à 4,3%, il estime que cela ne doit pas faire oublier l’objectif de diversification de l’économie nationale. En effet, la configuration de l’économie du voisin de l’est montre une prédominance écrasante des services rendus par le secteur public qui accapare mines, industrie, banques et services administratifs. Mais, selon les données de l’ONS, une sorte de HCP algérien, c’est le commerce qui prédomine avec 83% du tissu économique. Du côté de l’industrie, 90% des entreprises sont des PMI-PME, peu innovantes de structures familiales. En effet, si le commerce et la petite industrie dominent en nombre, ce sont les gros mastodontes publics qui créent le plus de valeur ajoutée. La Sonatrach, la plus grande entreprise algérienne en termes de poids fiscal, est pour l’Algérie ce qu’est l’OCP pour le Maroc. Cette entreprise publique représente 95% des recettes fiscales de l’Etat algérien. Une omniprésence qui est plus un danger pour l’économie algérienne qu’une bénédiction. Car, bien que constituant un record historique de 200 milliards de dollars de réserves de change grâce aux exportations des hydrocarbures, l’économie algérienne doit faire face à la dépendance pour les autres secteurs stratégiques. Le secteur privé a évolué de ce fait dans l’ombre des entreprises publiques, sans jamais réussir un réel décollage, en dehors des activités d’importation. Quant à la politique de l’Etat vis-à-vis de ce secteur, elle a toujours été ambiguë, voire hostile quand il s’agit d’initiative privée. «L’Algérie est dans une politique d’ouverture économique contrôlée. Les rares groupes privés qui réussissent sont soit parrainés soit adossés à un décideur ou homme politique», note Akram Belkaid, rédacteur en chef du magazine Afrique Méditerranée Business. Cette double attitude, à la fois méfiante vis-à-vis du développement du capitalisme mais aussi encourageante au développement du secteur privé pour être complémentaire au secteur public a fortement retardé la création d’un réel tissu industriel privé. C’est encore davantage le cas pour la diversification des secteurs industriels, notamment pour l’industrie de transformation qui est quasi absente.

Paradoxal
L’investissement privé, qui doit jouer le rôle de levier pour la diversification économique est confronté à un ensemble d’obstacles qui font que jusqu’à aujourd’hui le secteur privé est encore peu développé. «Avec la loi dite 51/49 sur les investissements étrangers, l’économie algérienne fait un bond en arrière en matière d’ouverture économique», estime Belkaid. En conséquence, quatre ans après l’introduction de cette loi, l’Algérie n’attire plus d’investisseurs étrangers, même dans le secteur des hydrocarbures. Celle-ci oblige une entreprise étrangère à ne détenir que 49% du capital de l’entreprise constituée de droit algérien, alors les autres 51% doivent appartenir à un partenaire algérien. En 2012, les IDE vers l’Algérie se chiffrent à 1,5 milliard de dollars  quand le Maroc attire 3,5 milliards en 2013. En décembre dernier, l’ambassadeur des Etats-Unis en Algérie avait explicitement dénoncé cette loi et expliqué que «celle-ci, couplée aux conditions de transfert de devises sont des freins à l’investissement américain en Algérie». Les critiques autour de cette loi font état de raisons de maintien de monopole dans certains secteurs, soit par des entreprises algériennes ou même étrangères déjà présentes. L’égyptien Orascom est l’un des groupes qui ont fait les frais de cette loi. Ainsi a-t-il été contraint de vendre à perte ses parts dans sa filiale télécoms en Algérie. Après des rumeurs qui ont circulé en 2013 sur une possible révision de cette loi, le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal a assuré lors d’une conférence à Paris en décembre dernier que la loi ne sera pas abrogée, ni pour les entreprises étrangères ni pour les Algériens résidant à l’étranger. Mais cette loi n’est pas seule responsable des difficultés de l’investissement privé. Le secteur bancaire, la colonne vertébrale de tout système économique, ne joue pas non plus son rôle dans le financement des investissements.

L’Algérie doit mettre en place une stratégie de diversification économique pour contrer la dépendance des hydrocarbures.

Une agence pour 20.000 algériens
Dans ce sens, le taux de bancarisation en Algérie reste le plus faible de la région. Un opérateur automobile a déclaré que «lors de l’achat de voitures, les clients algériens ramenaient de l’argent en liquide dans des sacs en plastique», ce qui dénote une situation de crise de confiance envers les banques. Le taux de bancarisation révélé par le rapport de novembre 2013 de la Banque mondiale est de 5,3 agences pour 100.000 habitant en Algérie, alors qu’il est de 22,3 au Maroc et 17,2 en Tunisie. Avec les nouvelles mesures de simplification des procédures d’ouvertures de compte lancées en début de 2013, les banques ont pour objectif de créer 900.000 nouveaux comptes bancaires en 2013. Le réseau des six banques publiques algériennes représente  1.083 agences à fin 2011. D’un autre côté, le principal frein au développement de l’activité des banques privées est attribué à la lenteur de la procédure d’autorisation d’ouverture de nouvelles agences par la Banque d’Algérie. Une situation dont se plaint la quasi-totalité des opérateurs.
Par ailleurs, les banques publiques (8 dont 6 actives) canalisent l’essentiel de l’épargne et accaparent près de 90% des dépôts et des crédits. Quant aux privées, elles sont au nombre de 14 à capitaux étrangers, qui sont soit des filiales ou des succursales des banques internationales, dont cinq sont françaises, huit originaires des pays du Golfe ou Moyen-Orient, en plus de l’américain Citibank et l’anglais HSBC.
Le secteur est considéré comme très centré sur l’économie nationale et octroie la majorité des crédits particulièrement aux entreprises publiques, dont l’activité représente 50% de la contribution au PIB national algérien. La crise des années 80 a renforcé les contraintes budgétaires et mis en évidence la confusion des rôles, conduisant l’Etat à entamer son désengagement du financement de l’économie. L’objectif était de sortir de la crise du financement par l’endettement et de rétablir les grands équilibres macroéconomiques. Ceci a eu pour conséquence de privilégier les entreprises publiques aux privées. Ainsi, les banques publiques assurent l’essentiel du financement des entreprises publiques pour le compte du trésor, mais servent aussi pour les opérations d’assainissement de celles-ci, avec des taux bonifiés, annulation des agios et même effacement simple de certaines dettes. De manière plus générale, étant donné la surliquidité chronique du système bancaire algérien, les taux d’intérêt sont  très bas (autour de 5%). Un taux qui aurait pu être encore plus bas si on laissait jouer pleinement la concurrence.

Le crédit conso interdit !
D’un autre côté, il n’existe pas de sociétés de crédits en Algérie, puisqu’en 2009, il y a eu interdiction non dite du crédit à la consommation. En effet, bien que la loi le permette, la Banque Centrale n’accorde plus d’agréments. Dans une déclaration, le Premier ministre Ahmed Ouyahya avait affirmé que cette mesure visait «à protéger les ménages du crédit et à éviter le financement des importations au détriment du produit national». Ce qui a limité encore plus le champ d’action des banques. Du coup, les banques privées se concentrent uniquement sur le financement des opérations de commerce extérieur, les crédits aux entreprises et le crédit immobilier, ce qui reste très petit comparé au poids des banques publiques. Cette situation a entraîné une surliquidité structurelle liée particulièrement au niveau élevé de l’épargne.
Le secteur privé se retrouve donc confronté à des obstacles qui l’empêchent de se développer davantage, bien qu’il soit le principal secteur pourvoyeur d’emplois en Algérie.  Selon les chiffres de l’ONS, l’office national des statistiques algérien, le secteur tertiaire (commerce et services) emploie plus de la moitié des salariés, soit 59,8% des actifs, suivi du BTP avec 16,6%, l’industrie (13%) et l’agriculture (10,6%). Le secteur privé représente ainsi 58,8% de l’emploi total. «71% des placements réalisés par l’Agence nationale de l’emploi (ANEM) ont été opérés dans le secteur privé», avait annoncé Mohamed Benmeradi, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, lors de la rencontre nationale des directeurs de l’emploi, en janvier.
Deux éléments sont aujourd’hui des freins au développement de l’économie et de l’industrie en Algérie. La forte dépendance des hydrocarbures et ce que cela engendre comme rente et paresse dans la diversification avec appui quasi total sur l’importation. Mais aussi et surtout l’absence d’un vrai projet économique qui vise le développement à long terme. «Il est urgent de mettre en place une vraie stratégie de diversification économique pour contrer la dépendance des hydrocarbures, mais surtout instaurer une législation plus souple» affirme Belkaid. Ceci nécessite une réelle ouverture de l’économie algérienne vers l’extérieur, à travers la facilitation législative et les encouragements fiscaux vis-à-vis de l’investissement privé. Le rôle de l’Etat sera déterminant, certes, en tant que régulateur et parfois même partenaire, mais encore une fois, c’est le secteur privé qui devra bénéficier de plus de marge de manœuvre pour jouer pleinement son rôle.