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La Chine nous guette

Economie février 2014

La Chine nous guette

Un accord de libre-échange et la suppression du visa pour les Chinois, voilà ce que demande la Chine au Maroc. Cela lui permettra de mieux inonder le monde avec ses produits. Mais pour quelle contrepartie?

Lors de sa visite officielle au Maroc, les 23 et 24 décembre dernier, Wang Yi, ministre des Affaires Etrangères chinois, a émis le souhait de contracter un Accord de Libre-Echange (ALE) avec le Maroc.  Les Chinois ont compris depuis fort longtemps que leur expansionnisme ne pourrait s’étendre durablement qu’avec  le concours de pays convoités. Et, visiblement, le Maroc occupe dans cette perspective une place de choix. Car le pays dispose d’avantages comparatifs que les autres pays de la région n’ont pas. Il permet en effet à la fois de compléter le quadrillage chinois des routes maritimes mondiales tout en permettant un accès commercial libre à quatre continents! Pour le côté logistique et transports, les ports chinois traitent un tiers du commerce maritime mondial avec environ 2,7 milliards de tonnes de trafic. La stratégie de sécurisation maritime de la Chine est de ce fait primordiale, puisque ses échanges se font massivement par la mer. Le Maroc constitue dans cette perspective un emplacement stratégique dans la région de la Méditerranée et l’Atlantique via le port de Tanger Med, mais aussi par le port de Nador West Med. Lors de l’annonce de ce projet, une équipe de 12 ingénieurs de la société chinoise China State Construction Engineering Corporation Limited a entamé des études géologiques et marines sur le site devant accueillir le futur Port afin d’établir un devis pour l’appel d’offres du projet.

49% de Terminal Link
En plus de la construction du port, les Chinois étaient intéressés par la mise en place d’une zone industrielle en base arrière. Chose qui n’a pas eu de suite puisque le projet a été retardé pour approfondir les études. N’empêche, la Chine a déjà posé les premiers jalons de sa présence dans le secteur maritime au Maroc. En juin 2013, China Merchants Holdings Company International Limited (CMHI) a concrétisé l’acquisition de 49%  pour un montant de 400 millions d’euros dans le capital de Terminal Link, filiale de CMA CGM à Tanger Med. La filiale française est  classée 12ème au rang mondial en termes de volume, avec 8,1 millions de conteneurs traités en 2011. Plus que ça, son réseau couvre 15 terminaux, dont 8 en Europe, 2 aux USA, deux en Chine et trois en Afrique (Abidjan, Casablanca et Tanger). En 2012 déjà, CMHI a acquis la moitié du capital du concessionnaire d’un nouveau terminal à conteneurs au Togo. L’opérateur chinois opère également dans le terminal de Tin-Can au Nigeria, et a investi dans le secteur maritime à Djibouti. Sans oublier qu’un mois auparavant, en mai 2013, l’opérateur chinois a signé un accord avec la Tanzanie pour la construction d’un nouveau port, une zone économique dédiée, une route et un réseau de chemins de fer. La stratégie chinoise est claire pour ce qui est de son implantation en Afrique, et met les bouchées doubles pour assurer financièrement ses entreprises.

«Un ALE général est impossible, les produits chinois étant très compétitifs auront un impact négatif les produits locaux»

Agressivité commerciale
Avec une base arrière logistique et industrielle au Maroc, la Chine pourra ensuite mieux inonder le monde avec ses produits déjà ultra-compétitifs. Ces derniers le seront davantage en contournant les droits de douane par le biais des ALE signés par le Maroc avec l’UE, les Etats-Unis, la Turquie, l’Afrique Subsaharienne, la Tunisie, l’Egypte, les Emirats et la Jordanie! Ce n’est donc pas pour rien si le développement des échanges bilatéraux a accaparé une part prépondérante lors des discussions entre le chef de la diplomatie chinoise et son homologue marocain Salaheddine Mezouar. Selon les Chinois, le volume de ces échanges est de 3 milliards de dollars en 2012, «alors que le potentiel est beaucoup plus important». L’ALE serait donc le sésame pour exploser le commerce bi et multilatéral. Mais si le bien-fondé de la démarche est incontestable du côté chinois, le retour sur investissement pour le Maroc n’est pas démontré. L’impact pourrait même être catastrophique. Il faut noter à ce propos que l’échange commercial entre les deux pays est déjà assez déséquilibré en faveur de la Chine. En 2012, le volume des exportations chinoises au Maroc (textile, électroménager, équipement industriel et thé) a atteint 3,13 milliards de dollars, alors que celles du Maroc vers la Chine (engrais phosphatés, produits de mer) n’ont pas dépassé 558 millions de dollars! «Nous pensons qu’un ALE général est impossible à faire pour le moment entre le Maroc et la Chine, car les produits chinois sont très compétitifs et donc vont impacter négativement les produits locaux», affirme Sanaa Lassouli, de la Société pour la promotion de produits de Chine dans les marchés francophones, le bureau  de liaisons d’affaires chinois au Maroc. Selon cette dernière, avec l’ALE, «une boîte de concentré de tomate chinoise serait proposée à 1,2 dirham dans les commerce du pays au lieu de 2,4 dirhams pour le made in Morocco»! Les IDE auraient pu compenser cette agressivité commerciale chinoise. Mais, en face des 3 milliards d’exportations, ceux-là s’élèvent à quelque 160 millions de dollars seulement entre investissements dans la pêche, la transformation plastique, l’assemblage de moto et les télécommunications. C’est clair, le co-développement, la Chine connaît pas!