fbpx

Mohamed Sajid|maire de Casablanca

Interview janvier 2013

Mohamed Sajid|maire de Casablanca

L’événement du mois a été le lancement du tramway. A l’occasion, le maire de la ville annonce que le modèle de la gestion déléguée est mort. La mairie reprendra le contrôle des investissements en créant des sociétés publiques spécialisées. Quant à l’exploitation, elle sera confiée à des partenariats public-privé. De cette façon, la ville ne sera pas l’otage des politiciens. 

Quelques jours après le lancement du tramway, quel est votre sentiment?
Je suis fier que Casablanca se soit doté d’un nouveau moyen de transport qui répond aux attentes des Casablancais. La réalisation de cette première ligne est une première étape dans un projet plus global de transport en commun. Cette ligne a été une réussite sur le plan du respect des délais et également au niveau du respect du budget dédié. En termes d’affluence, il y a eu une moyenne journalière de 80.000 passagers. Ce qui est un bon démarrage pour arriver dans quelques mois à 250.000 voyageurs par jour.

Le montage économique du projet de tramway est différent du modèle classique de la gestion déléguée. Pourquoi?
Pour réaliser un projet de cette envergure, il fallait innover en termes de gouvernance. Le réaliser par la ville aurait été extrêmement difficile. Nous avons opté pour une structure dédiée qui est Casa Transports, une société à capitaux publics mais à gestion privée.  Cette société s’occupe du volet investissement. Le volet exploitation a été confiée à Casa Tramway, composée de la RATP et de la CDG. C’est pour vous dire que le projet du tramway inaugure une nouvelle vision dans les investissements et l’exploitation des projets de services publics tout à fait à l’encontre de ce qui se faisait dans la gestion déléguée où on mélangeait investissement et exploitation. Ces deux volets seront désormais séparés dans tout nouveau projet. Casa Tramway est donc un prestataire de service pour Casa Transports et elle sera rémunérée en fonction de sa prestation, du nombre de passagers, du nombre de kilomètres parcourus…

Peut-on en déduire que vous allez réviser les contrats de gestion déléguée existants, notamment celui de la Lydec, afin de les adapter à ce nouveau modèle?
Tout à fait. Il faudra s’attendre à la révision des contrats de concession des services d’eau, d’électricité et de transport dans ce sens. Ce schéma de séparation entre investissement et exploitation permet à la ville de recouvrer son rôle de supervision, de mieux maîtriser nos investissements et de mieux gérer nos services.

Cela pose une grosse charge de travail humain sur le dos de la mairie. De plus, vous estimez-vous capables financièrement d’assurer la rentabilité d’un tel projet? La budget de la mairie de Casablanca a été diminué cette année…
Le budget n’a pas diminué. Plutôt le contraire. Nous avons démarré avec 2 milliards de dirhams en 2003 pour arriver actuellement à 3 milliards. Bien entendu, tous les projets de la ville demandent des investissements massifs mais nécessitent aussi l’implication des partenaires de l’Etat, des ministères, du Fonds Hassan II… comme c’était le cas pour le projet du tramway. La ville ne peut pas toute seule faire face à tous ces investissements, qui ont été estimés à 60 milliards de dirhams.

Oui, mais quelles garanties donnez-vous pour la réussite de ce modèle avec un conseil de la ville éclaté et ravagé par les guerres intestines?
Pour mener à bien tous ces projets, nous avons besoin d’innover en termes de gouvernance à travers la création de sociétés dédiées: Casa Tram pour ce transport public, Idmaj Sakane pour la résorption des bidonvilles et Casa Aménagement qui mène pour la ville un certain nombre de projets. Nous ne pouvons pas nous contenter des moyens traditionnels d’une commune. Il faut absolument contourner ces difficultés en créant des sociétés plus souples et engagées dans une culture de résultats.
Au même moment, la ville doit disposer d’une structure administrative forte à même de suivre et d’accompagner ces nouvelles délégations. 

La création de ces sociétés mixtes n’est-elle pas elle-même un aveu de l’incompétence des politiques?
C’est un mode de gouvernance abondamment utilisé ailleurs. Aujourd’hui, ce n’est pas le mode de gouvernance qui est un objectif en soi mais l’efficacité de la gouvernance. Si on avait estimé dans le temps que la gestion déléguée était convenable pour la ville, aujourd’hui on recherche une efficacité plus grande. Ce n’est pas un aveu d’incompétence des politiques mais un choix volontariste.

La CDG est votre partenaire de choix dans cette nouvelle aventure de gouvernance. Allez-vous compter uniquement sur elle? Quels seraient vos partenaires dans ces sociétés mixtes?
La CDG est très active dans plusieurs domaines au niveau national. Donc, sa présence avec nous est normale. Nous avons réalisé avec elle le parc d’offshoring de Sidi Maarouf, la zone de l’aérodrome d’Anfa, le projet de la Marina de Casablanca. Mais la porte est ouverte à d’autres investisseurs. L’essentiel est que ces projets restent portées par la ville à travers des structures mixtes public-privé.

Le choix d’un opérateur étranger dans cette société mixte est-il obligatoire comme pour Casa Tramway qui regroupe le français RATP et la CDG?
Pas du tout. Notre objectif est de voir nos entreprises nationales s’intéresser à la gestion des services publics de la ville.

Pourquoi alors avoir choisi un opérateur français pour gérer le tramway, qui déjà connaît une grande concentration française?
Nous ne l’avons pas choisi. Il a remporté un appel d’offres sans privilèges et dans la transparence totale. Notre pays est connu pour son ouverture à l’international. A part les Français, la construction du projet a été assurée par une entreprise turque qui a été la plus performante. 

Pourquoi le tramway a-t-il été une priorité pour vous alors que la ville a plutôt besoin d’un désengorgement de ses grands carrefours?
Notre logique est plutôt l’inverse. Si on veut atténuer les déplacements particuliers, il faut intensifier les transports publics. Le parc automobile casablancais a explosé ces dernières années, pas seulement à cause de l’accessibilité au financement pour les particuliers mais aussi parce que les Casablancais n’avaient pas une offre de transport public diversifiée.

Qu’allez-vous faire donc pour améliorer l’offre en autobus?
Le démarrage du tramway nous impose de restructurer le réseau de bus avec la société M’dina Bus pour arriver à une complémentarité. J’espère que ce projet sera opérationnel dans quelques mois, avec une intégration tarifaire entre ces deux moyens de transport.
Il faut qu’on ait un système de transport confortable et accessible. Le réseau global comprend le bus, le tram, le RER qui va relier Mohammedia à Nouaceur et ensuite un métro aérien, la deuxième étape de notre programme de transport collectif.

Où en êtes-vous au niveau du métro aérien?
L’étude est bouclée chez Casa Transports. Le plan de financement est en finalisation. D’ores et déjà je vous rassure, côté trafic l’aérien constituera moins de gêne que le tram terrien (sourire!). Pour les estimations financières, effectivement, elles sont importantes. Il faut 50 millions de dollars pour construire un kilomètre (ndlr: on parle de 18 kilomètres de tracé, soit 900 millions de dollars ou 8 milliards de dirhams).

Casablanca, c’est 60% de la main-d’oeuvre industrielle du pays. Pourtant, c’est la ville la moins soignée et elle tourne son dos à la mer. Cela ne vous frustre pas, 9 ans après votre arrivée à la tête de la mairie?
Nous avons fait beaucoup de choses tout de même. Casablanca accumule des déficits historiques qui ne peuvent être comblés en un mandat ou deux. Mais aujourd’hui, la dynamique est lancée.
C’est vrai que la ville ne profite pas de la vingtaine de kilomètres de littoral et c’est pour cela que nous réalisons un collecteur sur la côte qui va capter toutes les eaux d’assainissement qui se déversent malheureusement dans la mer. Ces eaux vont être dépolluées dans une station à Sidi Bernoussi et iront dans un émissaire jusqu’à El Hank pour être rejetées à 2 kilomètres de la côte.

Dans combien de temps les Casablancais auront-ils une ville dont ils pourront être fiers?
Notre ville est en train de se métamorphoser et cela demande un temps de réalisation relativement long (Grand théâtre, Corniche, projet oued Bouskoura…). Donc, pour répondre à votre question, je pense que d’ici 2016, la ville connaîtra un changement majeur et les Casablancais pourront avoir un cadre confortable.

Que ressentez-vous face aux critiques sur votre personne et le fait que vous ne soyez pas toujours sur le devant de la scène?
On entend toutes sortes de critiques dans mon poste. Ce n’est pas ma personne qui est importante, mais l’avancement de la ville.

C’est beau de parler de tous ces projets, mais la ville, contrairement à ses consoeurs, est saccagée par les politiques et les intérêts, occasionnant des blocages incompréhensibles…
On ne peut pas comparer une ville de 5 millions d’habitants aux autres. Quand vous opérez un projet dans une autre ville, le changement est immédiat. A Casablanca, avec 16 arrondissements et un immense territoire, pour que les changements soient visibles les investissements doivent se faire partout. C’est pour cela que la ville est constamment en chantier. On ne gêne pas le citoyen de gaieté de coeur mais parce que c’est la seule manière pour espérer changer le visage de la ville.

Etes-vous obligés de déplacer la Fontaine de Casablanca pour construire le Grand Théâtre?
Ce théâtre n’est pas seulement un lieu culturel mais il ressuscite l’ancien théâtre municipal qui est resté dans la mémoire des Casablancais.
Je voudrais rectifier cette fausse idée qui dit que la fontaine sera détruite. En fait, elle sera juste déplacée en face du tribunal de l’autre côté du boulevard pour permettre au Théâtre de disposer d’une aire pour les spectacles. Sur cette aire, sera construite une fontaine sèche qui sera ouverte tous les jours et fermée quand il y aura spectacle. 

C’est votre dernier mandat. Comment avez-vous rêvé Casablanca au début de votre mission et comment la voyez-vous à la veille de votre départ?
On peut être fier de ce qui se fait sous l’impulsion de Sa Majesté au niveau national. Nous pouvons avoir des villes plus maîtrisées et offrir aux citoyens un cadre le plus agréable possible. 

Une vie de maire

Impassible, Mohamed Sajid tressaillit quand on l’interroge sur l’image d’homme passif qui lui colle. Il répond brièvement, déplaçant le débat sur ce qui a été accompli au lieu de s’attarder sur sa personne. Soudainement, l’ambiance devient lourde. L’homme est gêné mais ne veut pas que cela apparaisse. Comme s’il avait un grand fardeau sur le dos…Tout le monde sait que sa fonction n’a pas été des plus aisées avec une équipe éclatée, traversée par les conflits et les intérêts bassement personnels, avec aussi un héritage des plus douloureux depuis que Hassan II a maudit Casablanca suite aux événements de juin 1981…
Mais Monsieur le maire garde sa courtoisie et ne s’en prend à personne. A peine se limite-t-il à appeler de ses voeux la réforme de la gouvernance de la ville pour contourner les enjeux politiciens (sic!). Ajoutés à cela, les lobbys immobiliers qui ont saccagé et étouffé la ville, les intérêts des investisseurs français, américains (Casablanca est jumelée à Chicago)…
A la veille de son départ prévu pour les prochaines élections communales, Sajid continue de faire le diplomate. On sent tout de même la pression qu’il a subie quand il dit que la seule chose qu’il conseillerait à son successeur, c’est d’être «passionné et convaincu pour supporter la charge de cette fonction». Plus que la passion, il faudrait peut-être que le nouveau maire ait un caractère plus fort. N’est-ce pas là un aveu d’impuissance?