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Social business, le lucratif … utile

Entreprises novembre 2012

Social business, le lucratif … utile

Faire du business à l’heure où les inégalités sociales se creusent peut avoir du sens. L’économie solidaire, par laquelle les petites et grandes entreprises peuvent consacrer une partie de leur activité à des causes sociales, c’est aujourd’hui possible. Encore méconnu au Maroc, le social business apparaît comme la solution humaniste dans un monde capitaliste.

Lundi 15 octobre a eu lieu la traditionnelle cérémonie des 500 plus grandes entreprises du Maroc. L’occasion de traiter d’une nouvelle tendance entrepreneuriale, encore balbutiante sur la scène économique marocaine, celle de l’économie solidaire.
Dans un contexte socioéconomique tendu, où le privé fait peu et l’Etat fait mal, où l’on peut déjà sentir les rumeurs inquiétantes d’une crise pointant du nez, le débat mené par des experts locaux et étrangers, dont Tariq Sijilmassi qui préside la Fédération nationale des associations de microcrédit (FNAM), ou encore Jean Deydier, président d’Emmaüs Défi, n’a pas manqué de susciter l’intérêt de l’auditoire.
Non pas qu’il s’agisse de calmer la culpabilité intériorisée de quelques capitalistes en mal social. L’économie solidaire, c’est pour le moins un bel oxymore qui donne l’occasion de faire du business pour la bonne cause. Au Maroc, le succès du microcrédit auprès des artisans territorialement isolés, mené entre autres par la fondation Zakoura, a porté ses fruits et il suffit de longer les petites routes nationales pour voir fleurir les coopératives tirant les femmes rurales de la dépendance économique. Mais le social business n’englobe pas uniquement la microfinance. Il est également à la portée des grandes structures. En s’adressant aux grandes entreprises, le séminaire des 500 a démontré qu’il est possible d’adapter une partie de son activité à une tranche sociale dans le besoin. Le top 10 (par ordre décroissant: Marjane Holding, Addoha, Vivo Energy Maroc, Royal Air Maroc, Imperial Tobacco Maroc, Afriquia SMDC, Itissalat Al Maghrib, ONE, Samir et en tête l’OCP) illustre d’ailleurs les différents secteurs où il est possible de mettre en place un business à valeur sociale ajoutée. Pourtant, au-delà des retombées sociales, il s’agit avant tout de faire du business. Un business nouveau, intelligent, utile.

Success stories pour les plus démunis
Les exemples de social business menés à bien ne se comptent plus. Il n’y a qu’à prendre le cas français incarné par Deydier. Le président d’Emmaüs Défi a réussi à mettre en place un partenariat avec les grandes enseignes au profit des plus démunis. Pour sortir les SDF de l’exclusion, il a leur a donné l’occasion de travailler à l’heure dans ses structures, qui valorisent des produits usagés pour les mettre en vente à prix cassés. Quasiment tous ont réintégré le circuit du travail.
«Nous avons constaté que les SDF dépensaient la majeure partie de leur budget dans la téléphonie mobile. L’offre de cartes prépayées en France est extrêmement onéreuse, d’où l’idée de lancer un partenariat avec l’opérateur SFR pour mettre à leur disposition des offres à prix réduits. En visant une nouvelle niche de consommateurs, le partenariat est aussi intéressant pour nous que pour SFR», explique Deydier.
Le même type de partenariat a été mis en place entre Emmaüs Défi et l’enseigne Carrefour. L’occasion, encore une fois, de servir les plus démunis tout en permettant au géant de la distribution d’écouler des produits en fin de vie à des prix attractifs. «Au final, explique Deydier, il revient plus cher à Carrefour de détruire ses produits que de nous les vendre». Dans sa boutique parisienne, qui ouvre chaque samedi, les plus défavorisés peuvent ainsi profiter de produits de qualité à prix cassés, et il suffit de s’y arrêter pour les voir se ruer sur le magasin dès l’ouverture. La collaboration avec Carrefour a ainsi permis de remplir la boutique d’Emmaüs Défi en produits de tous genre, de l’électroménager aux textiles.
Pourtant, Deydier est clair sur une chose : la réussite d’un projet d’économie solidaire est garantie si l’on sait mettre en liaison les différents acteurs économiques. «Tout part du bénévolat. Mais le milieu associatif ne peut pas réussir à lui seul un tel projet. Il faut savoir convaincre les grandes entreprises qu’elles ont autant intérêt à s’investir dans le projet que l’association qui le chapeaute».
Emmaüs Défi a aussi su compter sur le soutien de la mairie de Paris. Le rôle des puissances publiques est aussi essentiel que l’élément humain. Deydier s’est ainsi entouré de jeunes cadres diplômés, dont plusieurs anciens élèves d’HEC. «Aujourd’hui, les jeunes cadres ne s’identifient plus au processus classique de réussite professionnelle. Ils ont envie que leur carrière ait un sens, et les projets de social business les motivent bien davantage que d’intégrer une grande structure», explique-t-il.

«La crise de croissance peut être évitée au Maroc si les grandes entreprises arrivent à intégrer une économie solidaire à grande échelle»

Le concept d’économie solidaire est apparu dans les années 1980 en pleine crise économique. L’un des pionniers en la matière est le bangladais Muhammad Yunus, fondateur de la première institution de microcrédit Grameen Bank, et prix Nobel de la paix en 2006. Dans un entretien au journal le Monde en date de 2008, il explique que «tout le monde espère gagner de l’argent en faisant des affaires. Mais l’homme peut réaliser tellement d’autres choses en faisant des affaires. Pourquoi ne pourrait-on pas se donner des objectifs sociaux, écologiques, humanistes? C’est ce que nous avons fait. Le problème central du capitalisme «unidimensionnel» est qu’il ne laisse place qu’à une seule manière de faire : rentrer des profits immédiats. Pourquoi n’intègre-t-on pas la dimension sociale dans la théorie économique? Pourquoi ne pas construire des entreprises ayant pour objectif de payer décemment leurs salariés et d’améliorer la situation sociale plutôt que chercher à ce que dirigeants et actionnaires réalisent des bénéfices ?»
Le banquier des pauvres a inspiré de nombreux hommes d’affaires à travers le monde. Au Maroc, le succès du microcrédit a eu des retombées sociales énormes dans le milieu rural. Mais d’autres possibilités s’offrent aujourd’hui aux entreprises désireuses de participer à l’effort socioéconomique national.

Le social business made in Morocco
Lors du séminaire des 500, le président de la Fédération Nationale des Associations de Micro-crédit (FNAM) a présenté les problématiques qui se posent au niveau du Royaume. «Pour réussir un projet d’économie solidaire, il faut créer des passerelles entre le militantisme et les entreprises. Celles-ci doivent pouvoir faire preuve d’un grand professionnalisme pour passer de toutes petites à de grandes structures», explique Sijilmassi.
Sur les dix années à venir, le Maroc a besoin de 10 millions d’emplois. Or il apparaît quasiment impossible d’y arriver en suivant le schéma actuel. L’économie solidaire se fait aujourd’hui par le bas d’échelle, alors qu’elle devrait être tirée par les grandes entreprises. Michael Porter, le célèbre professeur de stratégie d’entreprise à l’université Harvard, a expliqué en 2011 que l’entreprise égoïste ne peut plus survivre. L’expérience marocaine de l’économie solidaire a démontré qu’il faut passer de l’idée généreuse voire romantique au profit de l’économie nationale.
Tariq Sijilmassi développe son raisonnement en énonçant que la crise de croissance vers laquelle tend le Maroc pourrait être évitée «si les grandes entreprises, qui peuvent actuellement créer de la richesse  mais pas d’emplois, s’efforcent à intégrer une économie solidaire à grande échelle». Les défis à relever sont encore nombreux : il faut d’une part développer une bonne organisation interne, et que l’Etat prévoie une réglementation prudentielle adéquate; d’autre part il faut que les entreprises deviennent plus créatives en matière de canaux de distribution. «Il est nécessaire qu’elles réussissent à élargir leur gamme de produits proposés. L’économie solidaire peut être une forme d’externalisation pour l’entreprise», explique Sijilmassi.
L’impact sur l’image de l’entreprise est également un des points positifs de l’économie solidaire. Encore faudrait-il que celle-ci soit accompagnée d’une bonne stratégie de communication qui ne mette pas l’entreprise en avant mais bien le projet. Ce qui est sûr, c’est que l’économie solidaire est l’idéal vers lequel tendent les économies aussi bien développées qu’en voie de développement. Une vague sur laquelle devraient surfer dès à présent les entreprises marocaines, petites ou grandes, au risque de continuer à attendre des réformes étatiques que les gouvernements successifs promettent et qui ne viennent toujours pas …