Pour une nouvelle politique du sport
Une hirondelle ne fait le printemps, la victoire du Maroc contre la modeste équipe du Mozambique ne doit pas nous rendre euphorique et nous faire croire que le football marocain a enfin pris son envol. Et le remplacement de l’ancien entraîneur étranger par un entraîneur national moins coûteux ne changera pas grand-chose à la donne. Depuis plusieurs années, le sport au Maroc ne cesse de cumuler les défaites et ce, dans tous les domaines, et pas seulement dans le football. Le sport ne pourra véritablement se développer qu’à travers la mise en place d’une stratégie nationale à long terme, menée par une nouvelle élite, avec une logique économique de l’intervention publique dans le sport. Le temps du bénévolat dans le sport est révolu. Aujourd’hui, dans les pays avancés, le sport est considéré avant tout comme une activité économique qui génère des retombées économiques importantes pour le pays. Comme pratique ou comme spectacle, le sport fait vivre des milliers de personnes: athlètes, journalistes, agents publicitaires, équipementiers, franchisés, dirigeants sportifs, médecins, soigneurs, avocats, entraîneurs et conseillers en tous genres, jardiniers, architectes. Des millions de personnes tirent directement ou indirectement leurs revenus du sport. Les industries et les commerces du bâtiment, du textile, de l’automobile, du spectacle, des medias et du tourisme travaillent pour le sport. Les contrats des sportifs professionnels, des parrainages publicitaires et des subventions publiques concernent des masses importantes d’argent. Plusieurs clubs sportifs sont des entreprises cotées en bourse. A titre d’exemple, le poids économique du sport dans l’économie française est évalué à près de 37 milliards d’euros, soit près de 2% du PIB, entre les dépenses des ménages, les collectivités locales et les entreprises. Le secteur sportif emploie quelque 400.000 personnes en France. Cette économie permet aux sportifs professionnels de travailler dans des conditions toujours meilleures, aux sportifs amateurs d’accéder à leur loisir à des coûts de plus en plus attractifs et aux spectateurs d’assister à des compétitions toujours plus spectaculaires et plus festives. Par leurs effets multiplicateurs, les activités sportives génèrent des retombées économiques pour le quartier, la ville, la région et le pays dans son ensemble. Le sport étant devenue une économie, il doit être géré par des professionnels et non par des amateurs bénévoles. Son développement requiert une vision globale et des qualités managériales spécifiques. La gestion des activités sportives est devenu une science à part entière. Le sport est confronté à des enjeux de financement, de régulation et de gouvernance. C’est pourquoi le dirigeant sportif d’aujourd’hui doit apporter une réponse globale et concrète aux questions juridiques, économiques, managériales, financières ou commerciales liées à la construction, à la gestion et au développement des enceintes sportives. A l’interface du «sportif» et de l’«administratif» doivent s’ajouter des compétences techniques spécifiques, qui ne s’arrêtent pas à une expérience sportive.
«Le sport étant devenu une économie, il doit être géré par des professionnels et non par des amateurs bénévoles. Son développement requiert une vision globale et des qualités managériales spécifiques»
Si, en Europe, de grandes entreprises s’intéressent de plus en plus au sport, c’est que le modèle économique sportif est rentable. Il répond à des impératifs de bonne gouvernance et de rentabilité. Comment relever le défi du financement du sport et soumettre le sport à la logique de marché (sans toutefois nuire à l’esprit sportif)? Comment attirer le sponsoring (deuxième source de revenus en valeur de l’industrie sportive mondiale, avec 26% du marché)? Quel rôle pour l’entreprise dans la compétition sportive marocaine? Quelle place pour le sport dans le développement de la région future? Autant de questions dont les réponses devraient satisfaire à une triple ambition: développer l’économie du sport par la pratique du sport par le plus grand nombre, notamment en milieux scolaire et universitaire, mieux préparer les élites sportives pour les grandes compétitions à travers la construction et la gestion d’enceintes sportives régionales, inclure le sport dans les axes prioritaires de la politique de régionalisation. Malheureusement, malgré les directives adressées par la lettre royale de Sa Majesté le Roi Mohammed VI aux Assises de Skhirat, le 24 octobre 2008, très peu de progrès ont été accomplis dans ce domaine. Il est clair que le sport n’a jamais fait partie des priorités des divers gouvernements qui se sont précédés, et encore moins de l’actuel puisque le projet de la prochaine loi de Finance propose, au contraire, de baisser de 37% le budget déjà bien maigre du ministère des Sports, ramenant ainsi sa part à 1,065 milliard de dirhams contre 1,300 million de dirhams en 2012. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les sportifs. Un budget du sport réduit à la portion congrue au moment où le marché mondial du sport connaît une reprise progressive et solide. Selon une étude récente du cabinet PWC, au cours de la période 2009-2013, le chiffre d’affaires mondial du sport affichera un taux de croissance annuel moyen de 3,8% sur la période (133 milliards de dollars contre 114). Tous les continents, y compris l’Afrique (4,1%), sont concernés par la croissance. Pour gagner dans l’environnement sportif du 21ème siècle, il est impératif de réfléchir à un nouveau modèle de stratégie nationale du sport. Le changement d’un ou deux responsables sportifs ne suffit pas à faire entrer le Maroc dans l’arène mondiale des champions.