Maroc Telecom, quelles chances pour Qtel?
Qatar Telecom est intéressée par Maroc Telecom et elle l’a annoncé officiellement. Seul effet jusqu’à présent : la valorisation de l’action Vivendi dans la bourse de Paris. Or, plusieurs indicateurs financiers mettent en doute cette reprise par l’opérateur qatari.
Vivendi a reçu quatre marques d’intérêt pour la vente de sa participation de 53% dans l’opérateur Maroc Telecom dont le conglomérat espère tirer au moins 5,5 milliards d’euros. Il a eu des contacts avec quatre acteurs régionaux du secteur: le qatari Qatar Telecom, le saoudien STC, l’émirati Etisalat et le sud-africain MTN.
Mais pour l’instant, seul Qtel a confirmé son intérêt. Le magazine anglais Financial Times avance même que Vivendi serait déjà en négociation avec le groupe qatari. En effet, ce scénario répond parfaitement à la stratégie de positionnement de Qtel à l’international.
D’ailleurs, le marché marocain est fortement stratégique pour Qtel, d’abord parce que c’est le seul où l’opérateur n’a pas encore réussi à s’introduire. L’opérateur est présent en Algérie à travers deux opérateurs Nedjma et Djezzy, et en Tunisie à travers l’opérateur Tunisiana. «Cette acquisition renforcerait davantage la position de Qtel au Maghreb. Néanmoins il ne faut pas s’attendre à une grande synergie (notamment pour le service roaming), compte tenu de la faiblesse des flux de voyageurs entre le Maroc d’une part et de l’Algérie et Tunisie d’autre part», note Sebastien Henin, gérant du portefeuille MENA à the National Investor. Seulement pour que ce scénario tienne, d’autres paramètres doivent être pris en considération.
Stratégie de renforcemen
La stratégie du groupe Qtel est depuis toujours la conquête de nouveaux marchés.
Qtel est un groupe qui est très présent à l’international, totalisant 18 pays, situés dans la zone MENA et en Asie du sud. Son objectif sur les 5 prochaines années est d’être parmi les 20 opérateurs mondiaux de télécoms dans le monde (sur la base de la capitalisation boursière). Pour y arriver, Qtel devrait tripler de taille au cours de cette période. Ceci suppose que l’opérateur doit continuer sur sa stratégie d’acquisitions et procéder à de nouvelles sur les années à venir. L’opération Maroc Telecom rentre parfaitement dans cette stratégie.
Mais Qtel en a-t-il les moyens? Depuis 2007, l’opérateur qatari s’est lancé dans une vague d’acquisitions un peu partout sur les marchés avoisinants, dont les plus importantes sont Wataniya sur les marchés du Koweit, de Tunisie et d’Algérie, ainsi que l’acquisition d’Indosat, deuxième plus grand opérateur indonésien. Plus récemment, le groupe a entrepris de se renforcer dans le capital de ces filiales, comme cela a été le cas en Tunisie, en Irak ou au Koweit.
Qtel a d’ailleurs annoncé le 5 octobre avoir porté ses parts dans le groupe koweitien Wataniya Telecom de 52,5% à 92,1%. Ce qui a induit une prise de contrôle totale de l’opérateur algérien Nedjma et par la même occasion, comme cela a été le cas pour Djezzy, l’autre opérateur algérien tenu à majorité par Qtel.
Hormis le positionnement stratégique de Qtel, on comprend que l’opérateur a une stratégie commune pour ses acquisition: se renforcer dans le capital pour être majoritaire dans les actifs performants. Cela a été le cas en 2010 pour l’opérateur tunisien Tunisiana et l’algérien Djezzy, lorsque Qtel a repris les parts d’Orascom sorti en catastrophe.
A l’époque, le cheikh Abdallah Al Thani, président de Qtel avait déclaré que «cette acquisition est conforme au projet de Qtel Group (…) et avec la stratégie de développement actif de notre portefeuille, qui pourrait nous amener à augmenter notre participation dans des actifs performants et susceptibles de poursuivre leur croissance».
Il est important de souligner que Qtel n’a jamais racheté une entreprise, cela ne fait pas partie de sa stratégie. Néanmoins, l’ensemble de ces opérations a mobilisé beaucoup de fonds. L’augmentation de capital de Qatar Telecom pour un montant équivalent de 1,4 milliards d’euros pour doubler ses participations dans l’opérateur Koweitien Wataniya a été le deuxième acquisition de taille pour cette année, après le rachat de 30% de l’opérateur Irakien Asiacell pour 1,13 milliard d’euros.
«Partant des récentes acquisitions de Qtel, il est difficile d’imaginer que celui-ci puisse mobiliser autant d’argent pour la reprise de Maroc Telecom»
Pour le cas de Maroc Telecom, les choses sont différentes. En effet, l’évaluation actuelle des parts de Vivendi dans le capital de la filiale marocaine par les banques mandatées (Lazard et Crédit Agricole) parle de 4 milliards d’euros. Partant des récentes acquisitions de l’opérateur qatari, il est difficile d’imaginer que celui-ci puisse mobiliser autant d’argent. «En se référant aux différentes opérations sur les cinq dernières années, Qtel n’a jamais procédé à une acquisition d’un montant aussi important», remarque Henin.
La conclusion est que les indicateurs financiers du groupe Qtel ne sont pas en faveur de la reprise des 53% que détient Maroc Telecom, en tout cas pas une reprise totale. Néanmoins, l’autre option serait la reprise d’une partie des 53% par Qtel, et la cession de l’autre partie soit à un fonds d’investissement marocain, soit à l’Etat lui-même afin de reprendre le contrôle de l’entreprise.
Un coup de pouce en bourse
Ce qui est sûr dans touts ces scénarios, c’est que les rumeurs qui circulent sur la réorganisation de Vivendi boostent la valeur boursière du groupe depuis le printemps de cette année, après une longue période de stagnation. En début du mois d’octobre, le cabinet CM-CIC a renouvelé sa recommandation de conserver le titre Vivendi avec un objectif de cours de 15,80 euros.
Cette recommandation a fait suite aux nouvelles offres mobiles de la filiale télécom SFR, pour faire face à la baisse spectaculaire des tarifs sur le marché français avec l’entrée du quatrième opérateur Free. Mais aussi avec l’opération de rapprochement entre SFR et Numericable, sachant que l’opérateur de téléphonie qui plombe le titre en bourse est également sur la liste des activités à céder.
D’autres actualités dont a fait l’objet Vivendi au cours des derniers mois ont engendré une valeur à fort potentiel en bourse.
L’entrée du groupe Bolloré au capital est, selon les analystes de CM-CIC, annonciatrice d’un changement imminent de la stratégie. Ils recommandent donc de suivre toute modification du périmètre d’activité attendue par le marché, particulièrement pour la sortie de SFR, la cession du brésilien GVT et de Maroc Telecom.
Maroc Telecom dont le titre profite également de toutes les rumeurs. Avec l’annonce de l’entrée de l’opérateur Qtel dans son capital, le titre MT a pris le maximum autorisé (c’est-à-dire +6%) pour s’établir à 99,64.
La valeur a été réservée à la hausse le 22 octobre en cours de séance et a drainé 8,33 millions de dirhams de flux en transactions.
Certes, le deal Maroc Telecom est alléchant pour l’opérateur Qtel, le marché est prometteur et les opportunités de développement sont favorables.
Le titre Maroc Telecom est très performant et constitue de ce fait la cible parfaite pour un groupe aussi ambitieux que Qtel. Maintenant, les scénarios de reprise ne peuvent écarter l’hypothèse d’un troisième acteur dans le tour de table puisque la valeur des parts de Vivendi est trop élevée. Celle-ci est largement supérieure aux 800 millions de dirhams que valaient les parts des hispano-portugais lors de la cession de Méditel.
Plus encore, la question de la majorité devient récurrente, si on considère que la cession de 53% à un seul opérateur passera le contrôle de la stratégie à celui-ci. Les différentes hypothèses continuent donc, en attendant l’aboutissement des négociations entre Vivendi et Qtel, dont l’aboutissement est prévu au plus tard dans trois mois.