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Le RAMED va droit dans le mur

Dossier novembre 2012

Le RAMED va droit dans le mur

Sitôt mis en place, le Régime d’assistance médicale fait déjà montre de ses premiers signes de faiblesse. Malheureusement, ce ne sont pas des écueils financiers, c’est tout le dispositif qui est à revoir car en pratique, ses nombreux dysfonctionnements justifient à eux seuls le maigre succès qu’il connaît auprès des plus vulnérables.

Dans le hall d’entrée bondé de l’hôpital d’enfants du CHU de Casablanca, une foule de parents inquiets inonde l’accueil. Parmi eux, un patient s’impatiente et tandis que les nerfs le lâchent et que son enfant se meurt, les infirmiers lui expliquent qu’il ne peut plus inscrire son nom au cahier de gratuité. Soupape administrative pour prendre en charge les plus démunis par la seule apposition de leurs empreintes, ce cahier de gratuité a tout bonnement été supprimé, au profit de la mise en place du désormais célèbre Régime d’Assistance Médicale (Ramed).
Le père affolé n’en a jamais entendu parler. Il s’énerve contre un staff impuissant, certainement n’a-t-il pas été touché par la campagne de communication établie par le ministère. On lui explique qu’il doit remplir un formulaire auprès de la commune, présenter un certificat de résidence, un certificat de scolarité pour son enfant ainsi que toute une batterie de papiers administratifs afin de pouvoir en bénéficier. Il sera sorti de force pour avoir perdu son sang-froid : analphabète ayant grandi dans un bidonville, il ne dispose même pas d’une carte d’identité nationale et on ne saura pas ce qu’il est advenu de son fils.
Selon le site officiel, le Ramed est censé «permettre à une population économiquement démunie de bénéficier d’une couverture médicale de base qui offrira ainsi la gratuité des soins et prestations médicalement disponibles dans les hôpitaux publics, les centres de santé et les services sanitaires relevant de l’Etat aussi bien en cas d’urgence ou lors de l’hospitalisation».
Mis en place en mars dernier, il vise 8,5 millions de bénéficiaires démunis, à l’horizon 2014. Sur 1,2 million de dossiers déposés d’avril à juin, seulement 160.000 ont été acceptés. La récente annonce officielle du ministère estime à 1,2 million le nombre de bénéficiaires. Tandis que les parlementaires réunis en septembre ont critiqué le bilan du Ramed pourtant jugé positif par le mnistre de la Santé, Houcine El Ouardi, les praticiens de la santé en relèvent les nombreux dysfonctionnements. Moulay El Kebir Alaoui Selsouli, surveillant général de l’hôpital d’enfants de Casablanca, n’hésite pas à affirmer que si l’on ne peut pas encore parler d’échec, c’est en tout cas le sort qui attend le Ramed.

Le Ramed, un régime voué à l’échec
Si le Ramed est en soi une initiative tout à fait louable, elle demeure toutefois sujette à de nombreux dysfonctionnements à tous les niveaux. D’abord, et comme il a été illustré précédemment, les critères d’éligibilité sont quelque peu stricts, dans la mesure où les plus démunis sont pour la plupart dans l’incapacité de délivrer la paperasse administrative exigée. Pour exemple, certains patients qui présentent le «profil» visé par le Ramed ne disposent pas de carte d’identité nationale, parce qu’ils sont recherchés, ou tout simplement qu’ils vivent dans des conditions de précarité telles qu’il leur est impossible d’en présenter les preuves.
Déjà, on observe que le panel de personnes visées par le régime d’assistance est écrémé d’une grande partie des plus nécessiteux. Et quand bien même le patient disposerait des pièces à fournir, il arrive qu’il souffre d’autres complications administratives, soit parce qu’on refuse de lui délivrer un certificat de résidence du fait que la commune a prévu de raser le bidonville qui l’abrite – un chantage qui force à choisir entre le toit et la santé -, soit encore parce qu’il se retrouve dans un engrenage infernal où il est mené de circonscription en circonscription, au point d’abandonner ses démarches.
Ces difficultés pratiques originelles donnent déjà une explication du maigre succès du Ramed auprès de la population. Sans parler d’une campagne de communication que l’on peut juger très faible, et qui aurait pu ne serait-ce que diffuser des spots publicitaires télévisuels destinés à rendre le Ramed célèbre auprès d’un très large public que l’on sait attaché à la petite lucarne.
Pourtant, les plus téméraires, ou du moins ceux qui ne craignent pas la lenteur administrative et qui finissent par obtenir leur carte Ramed, ne sont pas épargnés par les rouages, déjà rouillés, du régime médical. Car s’il couvre la totalité des soins et médicaments délivrés par l’hôpital au cours de l’hospitalisation, le Ramed ne présente aucun dispositif de suivi. A sa sortie de l’hôpital, le patient pris en charge devra payer lui-même ses médicaments puisque aucune pharmacie n’est concernée par le régime, et aucun système de remboursement n’a été considéré.
La solution, selon Alaoui Selsouli, serait de transformer le Régime d’assistance en mutuelle, à l’aune des systèmes mis en place en Europe. Trahi par sa propre appellation, le Ramed n’est donc pas en soi un dispositif efficace, et encore moins adapté à la réalité des besoins de santé. S’il était mutualisé, il couvrirait toute l’échelle de soins, de la première consultation au suivi médical, en passant par le remboursement des médicaments.

Le remodelage du Ramed pour assurer son efficacité
La critique est aisée mais l’art est difficile. Pourtant, il ne faut pas être expert en santé publique pour constater que le Ramed fonctionne mal parce qu’il a été mal conçu. Peut-on s’en contenter? S’il n’est pas évident, voire quasiment impossible, de mettre en place un nouveau dispositif de santé gratuite pour les plus vulnérables, on peut tout de même imaginer – ou espérer – que le ministère dont on ne doute pas de l’expertise dans le domaine et de la grande connaissance des problématiques soulevées par la mise en pratique du Ramed, puisse prendre des décisions allant dans le sens de son amélioration.
Il ne s’agit pas plus d’un problème de moyens que de stratégie. Le Ramed est financé à hauteur de 19% par la tranche supérieure des bénéficiaires, les «pauvres relatifs», dont le revenu annuel est compris entre 3.767 et 5.650 dirhams et qui doivent s’acquitter d’une cotisation annuelle de 120 dirhams; le reste est réparti entre le budget de l’Etat à hauteur de 75% et de 6% pour les communes locales. Sur les 11,8 milliards de dirhams de l’enveloppe octroyée au ministère de la Santé par la loi de Finances 2012, 3 milliards de dirhams ont été alloués au Ramed, une part conséquente qui n’est pas en soi critiquable.
Par contre, il est nécessaire de remodeler son mode de fonctionnement, de l’alléger, le rendre plus accessible au niveau administratif, et en élargir le panier de soins à ceux qui sont nécessaires hors hospitalisation. De telles mesures ne sont pas réellement difficiles à mettre en place. Ce ne sont, au final, que des améliorations qui, d’un point de vue objectif, doivent se faire au plus vite puisqu’elles sont indispensables à la pérennité du Ramed.
A l’aube de 2013, on est forcé de croire qu’il faut mettre fin aux politiques publiques dirigées par un «apeuprétisme» contreproductif. La santé publique doit être une des priorités de l’Etat – avec l’éducation – et il existe de nombreux exemples de pays en développement qui ont réussi à soigner les plus pauvres en misant sur une bonne stratégie politique.
C’est le cas du Costa Rica qui a réussi à coordonner des réformes sociales en profondeur dès les années 1920 et surtout au cours des années 1970, en mettant en place la sécurité sociale pour les couches les plus aisées et la protection sociale pour les plus défavorisées. Parmi ses mesures phares, l’installation des soins de santé primaires, des programmes de santé rurale et des programmes de santé communautaires. La généralisation de la sécurité sociale et la socialisation de la médecine ont été possibles grâce au double effort humain – grâce à l’intervention des communautés elles-mêmes – et financier: les dépenses de santé passent de 2% du PNB en 1950 à 8% en 1980.
Finalement, s’il ne s’agissait que d’un souci de financement, il existe de nombreuses sources innovantes pour couvrir un plus grand public nécessiteux. Augmenter les taxes sur la vente du tabac et de l’alcool en est un exemple classique, qui permettrait par exemple de générer des revenus supplémentaires suffisants pour mutualiser le Ramed.
Les solutions existent et les stratégies ne sont pas difficiles à mettre en place. Encore une fois, il faut mettre l’échec des politiques publiques sur le compte d’un manque de courage politique de la part des hauts responsables, ceux-là mêmes qui n’ignorent rien des impédiments de leurs propres actions.