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Le corps médical au cœur des enjeux économiques

Dossier novembre 2012

Le corps médical au cœur des enjeux économiques

En matière de santé publique, le personnel médical et paramédical est le nerf de la guerre. Au-delà d’un manque quantitatif, c’est également la qualité de certains diplômes, notamment ceux délivrés par les écoles d’infirmiers privées, qui pose réellement problème. A cela s’ajoute la mauvaise répartition territoriale des médecins, principalement concentrés dans les grandes villes.

Il est indéniable qu’à l’heure actuelle, le nombre de médecins au Maroc est insuffisant. Une réalité qui coûte cher au système de santé publique, et qui revêt différents aspects, qui vont de la sélection en faculté de médecine à la répartition territoriale des effectifs.
En médecine, l’université applique un numerus clausus à partir duquel les quatre facultés que compte le Maroc forment chacune en moyenne entre 350 et 400 médecins, dont 10 à 15% ne terminent pas leurs études. Depuis des années, les différents ministres de la santé ont porté des projets pour augmenter ce quota, et pouvoir former au moins 2.000 médecins chaque année. Aucun d’entre eux n’a vu le jour.
Pourtant, il est essentiel que les pouvoirs publics oeuvrent pour rendre l’offre de formation en adéquation avec les besoins réels des établissements sanitaires. Encore une fois, on relève un manque dramatique de stratégie globale au niveau de l’Etat, voire de courage politique. Car pour rendre possible ce genre d’initiatives, il faut que différents ministères – ceux de la santé, de l’éducation et de la famille – puissent œuvrer de concert en ce sens.
Quant bien même les facultés de médecine livreraient chaque année le nombre nécessaire de médecins, il faudrait encore résoudre le problème de leur répartition entre le public et le privé. Au-delà de la vocation, il faut avouer que la situation du libéral est grandement enviée, et considérée par les jeunes médecins comme la garantie d’un salaire confortable. Actuellement, l’ensemble des médecins au Maroc est réparti presque équitablement entre le public et le privé. Pourtant, ce sont les hôpitaux, grandes structures supposées garantir un service public de qualité, qui manquent d’effectifs. Pour pallier ce déséquilibre, il serait judicieux d’obliger les étudiants en médecine à consacrer la ou les premières années de leur vie professionnelle à l’exercice dans les hôpitaux, et notamment ceux des régions reculées.
C’est en ce sens que la réforme de la santé, si elle a lieu, doit être menée au niveau de la formation des médecins. Quant au corps paramédical, il souffre d’un autre mal qui est lui aussi facilement gérable, et c’est un mal qualitatif: celui des diplômes délivrés par les écoles d’infirmiers privées.

L’axe Rabat-Agadir regroupe, à lui seul, plus de la moitié des effectifs médicaux et paramédicaux du Maroc

Encadrer la formation du corps paramédical
Les grèves du staff paramédical au sein des hôpitaux ne se comptent plus. Surmenés par une charge de travail conséquente causée par un manque d’effectifs, les infirmiers et aides soignants ne s’en sortent plus. Parmi leurs revendications, il est indispensable d’abord de permettre à plus d’étudiants d’accéder à la formation, et encore une fois on retrouve cette problématique de cohésion entre l’offre de formation et les besoins réels des hôpitaux, mais surtout, de résoudre la problématique des écoles privées.
En effet, le nombre d’écoles privées formant aux professions paramédicales s’est multiplié au cours des dernières années. Une telle tendance, censée pallier le manque d’effectifs, n’arrange en rien la situation. Car les diplômes délivrés par ces écoles ne sont pas reconnus par l’Etat.
Un doute sérieux peut être émis quant à la qualification des élèves infirmiers de ces écoles. En effet, la qualité de l’enseignement, et le sérieux des études sont critiquables, ce qui n’enlève rien à l’exaspération des infirmiers formés par l’Etat. Surtout que ceux-ci ne peuvent réellement exprimer leurs revendications, dans la mesure où, chose rare, il n’existe pas encore au Maroc un ordre des infirmiers. Contrairement à la grande majorité des pays, le Royaume ne met donc pas à la disposition de son corps paramédical les moyens de s’imposer dans le débat politique, supposé améliorer la santé publique. D’où le recours aux grèves, ultime moyen de pression pour ceux dont on reconnaît à peine la profession.
L’une des solutions proposées serait de superviser ces écoles privées. Il suffirait, par exemple, de soumettre leur formation au contrôle de l’Etat, ou, plus simplement, d’imposer aux écoles privées l’examen national qui confirme les infirmiers formés dans les établissements publics.
Surtout que les élèves infirmiers formés par les écoles privées ne peuvent pas exercer dans les établissements publics, ce qui ne bouche en rien le trou béant en ressources humaines dont ces derniers pâtissent. Et même s’ils sont recrutés par les cliniques privées, dont les dirigeants connaissent bien la qualité réelle du diplôme, ils sont, le plus souvent, admis en tant qu’aides soignants lorsqu’ils ont été formés pour être infirmiers …
Au-delà d’une problématique de chômage créée par l’existence non encadrée de ces écoles, c’est également une fuite des infirmiers des hôpitaux vers le privé qui s’opère. Encore une fois, il relève de la responsabilité du ministère de la Santé de mettre en place un dispositif de formation adéquat, auquel cas la situation ne pourrait que s’aggraver, surtout si le Maroc compte tenir ses objectifs de 8,5 millions de bénéficiaires du Ramed.

Mieux répartir territorialement les effectifs médicaux
L’axe Rabat-Agadir regroupe, à lui seul, plus de la moitié des effectifs médicaux et paramédicaux du Maroc. Nul ne semble ignorer les difficultés d’accès aux soins médicaux dont souffrent les populations les plus reculées, quoi qu’il ne faille s’éloigner de plus d’une quarantaine de kilomètres de la capitale économique pour constater cette situation.
Afin de garantir une égalité pour tous d’accéder à un service public de santé, il est fondamental que les pouvoirs publics prennent en charge l’amélioration des hôpitaux et de leurs antennes.
Si le Maroc, tel qu’il est énoncé dans tous les discours officiels, s’oriente vers une régionalisation de ses services publics, il est plus qu’urgent de mettre en place des établissements régionaux, adaptés en capacité litière, en ressources humaines et en équipements, aux populations locales. Une initiative qui demande certes de grands efforts, mais qui doit être placée en ligne de mire des priorités gouvernementales.
Surtout que le milieu rural est la première victime de cette inégale couverture géographique de santé publique. Lorsqu’on sait qu’actuellement, aucun hôpital ne dispose d’un hélicoptère pour évacuer en urgence les malades dans les lieux inaccessibles aux ambulances, on peut constater l’envergure des dégâts…
Quoi qu’il en soit, la réforme de la santé publique est un chantier titanesque qui repose uniquement sur les épaules de Houcine El Ouardi, dont l’expertise en tant que médecin et doyen de la faculté de médecine de Casablanca laisse penser qu’il connaît toutes ces problématiques avant même qu’on vienne lui en soumettre les doléances. Encore faudrait-il espérer qu’il troque sa casquette politique pour respecter le sermon d’Hippocrate qu’il a prêté au tout début de sa carrière…