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Grand corps malade

Dossier novembre 2012

Grand corps malade

Les différentes initiatives étatiques pour améliorer le service de santé publique, orientées autour de l’effort de partenariat entre le public et le privé, font montre de grands écueils tant dans leur concept que dans leur mise en place. Manquant de stratégie globale et ciblée, les pouvoirs publics sont confrontés à de grandes difficultés qui rendent indispensable une refonte du système de la santé. 

La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût: le budget alloué au ministère de tutelle pour l’année 2012 s’élève à près de 12 milliards de dirhams, soit 6,2% du PIB. Une part bien inférieure aux 15% exigés par les normes internationales…
Houcine El Ouardi, ministre de la Santé, a bien du pain sur la planche: s’il est actuellement en train de renforcer le partenariat public-privé, on est en droit de se demander si un ministre de son gabarit aura suffisamment de courage politique pour mener à bien sa mission. Doyen de la faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca, chef du service d’accueil des urgences au centre hospitalier universitaire Ibn Rochd et, entre autres, président du comité de pilotage des urgences à la wilaya du Grand Casablanca, El Ouardi est, pour le moins, un homme de terrain. Pourtant, les praticiens de la santé semblent douter de sa capacité à passer à l’action, au vu des grandes difficultés que connaît le secteur et qui pourtant doivent être placées en priorité nationale.
L’hôpital public pour les pauvres, les cliniques pour les riches: cette dichotomie n’est pas étrangère à qui se soigne au Maroc. Pour la gommer, les officiels misent sur le partenariat entre le public et le privé (PPP), dont les trois initiales apparaissent dans les discours politiques comme une solution magique à tous les problèmes. A bien s’y pencher, on réalise que les réelles problématiques soulevées par les politiques de santé publique peuvent être résolues, si le ministère décide – enfin – de changer de stratégie.
On souhaiterait que la «guéguerre» public-privé, nourrie par des égos lobbyistes et des associations politisées, soit délaissée un instant pour affronter la réalité de la santé au Maroc et mettre les malades au cœur des priorités. Et ce n’est pas être idéaliste que d’avoir de telles aspirations. D’ailleurs, c’est une exigence citoyenne, dans la mesure où, faut-il le rappeler, nous sommes tous concernés par la santé publique, cette machine géante dont les rouages grincent et qui, à défaut d’être huilée, mérite tout simplement d’être changée.

Gérer le service public de santé
Avant de penser à mettre les médecins du privé au service du public, il faut d’abord revoir la gestion des hôpitaux. Il est ici inutile de s’étendre sur la médiocrité du service, l’absence des médecins dans les services d’urgence, sur l’insalubrité de certains établissements sanitaires et les décès dans les couloirs bondés.
La qualité du service public de santé au Maroc laisse à désirer non pas parce que le corps médical est mal formé ou incompétent, mais parce qu’il est mal géré. D’abord, c’est un problème budgétaire. Si le Maroc allouait à la santé un budget deux fois plus important que celui dont elle dispose actuellement, il faudrait encore qu’il soit correctement réparti. Les dépenses totales de santé représentent plus de 47,8 milliards de dirhams, alors que le budget du ministère est de 12 milliards de dirhams… Cette aberration chiffrée s’explique par le fait que 61,9% des dépenses en santé sont effectuées par les ménages marocains. «Il faut à la fois augmenter le budget du ministère et diminuer la dépense en santé des ménages, notamment par la contribution des collectivités territoriales», explique Jaâfar Heikel, épidémiologiste, expert en management sanitaire et enseignant universitaire. «Nous devrions également réfléchir à des solutions fiscales intelligentes, telle par exemple l’augmentation des taxes sur des produits ou services nuisibles pour la sante comme le tabac et l’alcool en faveur de la prevention sanitaire», ajoute-t-il. Par-delà les problèmes financiers, la bonne gestion d’un hôpital passe également par la qualité de son dirigeant, qui doit être médecin formé au management. Avec une double casquette, il lui serait donc possible à la fois de prendre en considération les enjeux médicaux et budgétaires, dont l’alliage est bien souvent à l’origine des soucis fonctionnels de l’établissement. Cette problématique se pose également pour les cliniques privées, dont on critique bien souvent la considération pour le patient. Les exemples de malades dont on a refusé la prise en charge parce qu’ils ne pouvaient présenter sur place le chèque indispensable à l’hospitalisation en clinique et qui sont décédés de leur attente ne se comptent plus. Est-ce seulement une question d’humanité? Encore une fois, une clinique privée doit être aux mains d’un médecin gestionnaire, et pour ce faire, il faudrait que le ministère puisse mieux superviser le secteur privé. C’est en tout cas une condition indispensable pour réaliser le fameux partenariat public-privé afin de servir la santé publique.

Avant de penser à mettre les médecins du privé au service du public, il faut d’abord revoir la gestion des hôpitaux

Mettre le privé au service du public
L’une des solutions proposées par les pouvoirs publics pour pallier le manque d’effectifs médicaux dans les hôpitaux, notamment dans le cadre de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO), a été d’inviter les médecins opérant dans le privé à exercer au sein des établissements sanitaires publics. Si cette proposition a été théoriquement bien accueillie, elle a tout de même soulevé le débat du fait qu’elle offrait à ces libéraux une rémunération bien inférieure à celle qu’ils perçoivent habituellement, ce qui n’a pas été au goût de leurs représentants. C’est ainsi que les médecins spécialistes du privé ont massivement refusé d’y prendre part.
Dans un communiqué de presse, le Collège syndical des médecins spécialistes du privé a refusé de poursuivre les négociations avec l’Agence Nationale de l’Assurance Maladie (ANAM), qui leur applique un tarif de 150 dirhams au lieu des 200 dirhams habituellement pratiqués. «Les médecins spécialistes libéraux ne peuvent pas accepter une diminution de 25% de leurs revenus et ce, sans aucune forme de contrepartie. Nous souhaitons que l’adhésion à la convention relative à l’AMO soit libre afin de responsabiliser individuellement les médecins», explique Saâd Agoumi, président du Collège syndical des médecins spécialistes du privé. Quant au Régime d’Assistance Médicale (Ramed), dont le Collège syndical a été l’initiateur en signant la convention de partenariat avec la région de Skhor Rhamna où le régime a été dans un premier temps testé, les médecins libéraux sont encore une fois en opposition avec les décisions gouvernementales dans le cadre du partenariat public-privé. En effet, explique Agoumi, l’Etat a proposé aux médecins du privé d’intervenir dans le cadre du Ramed en des régions reculées où les hôpitaux manquent de spécialistes. «Il nous a été proposé de pratiquer dans le public pour 286 DH TTC… la demi-journée. Ce genre d’initiatives ne motive pas les libéraux à quitter leur cabinet ou leur clinique pour opérer sur le terrain, bien que la cause soit honorable. C’est ainsi que nous avons décidé de refuser l’offre qui nous a été faite, et d’offrir le service gracieusement et de manière volontaire».
Le dialogue entre les pouvoirs publics et les praticiens privés n’est pas chose aisée, ce qui révèle les difficultés pratiques rencontrées dans la mise en place du partenariat public-privé. Encore une fois, il apparaît que la balle est dans le camp étatique, sur lequel repose la responsabilité d’offrir un service de santé publique en cohésion avec les besoins réels des malades. 

L’arrivée potentielle d’hôpitaux privés

L’alternative entre la clinique privée et l’hôpital public, dont on connaît les nombreux exemples en Amérique du Nord et en Europe, pourrait bien faire son entrée sur le marché de la santé publique. Bien que les grandes sociétés d’assurances restent muettes à ce sujet, de nombreux projets d’hôpitaux privés, établissements publics dont on ouvre le capital à fonds privés, seraient en gestation, au grand dam des médecins, libéraux comme publics, pour qui une telle structure serait dangereuse pour la santé publique, en ce sens qu’elle assujettirait les médecins au financier. Et cette aliénation dans leur profession, doublée d’une salarisation, serait accompagnée de l’arrivée de médecins étrangers dont on ne maîtrise pas la formation et qui, en outre, rendraient encore moins fiable le service de santé par un grand problème de langue.

Les polycliniques illégales de la CNSS

La loi est claire à ce sujet: la CNSS ne peut pas être à la fois gestionnaire et prestataire de soins. L’existence même des treize polycliniques est illégale. Créées dans les années 70, elles ont, au fil des années,démontré de grandes faiblesses, à la fois dans leur mode de gestion et leur santé financière. Elles disposent d’un délai allant jusqu’au 31 décembre 2012 pour déléguer leur geston. Pourtant, à quelques semaines de l’échéance, les appels d’offres demeurent vains. Une situation délicate que n’encourage pas l’opposition de l’Union marocaine du travail (UMT) pour qui les salariés cotisants doivent garder le contrôle en siégeant au conseil d’administration.