Médiation, le substitut discret au tribunal
Les relations d’affaires soumises à des tensions continues nécessitent souvent le recours à un règlement amiable des conflits, indispensable à leur pérennité. Afin d’éviter les lourdes et coûteuses procédures devant le tribunal de commerce, il est possible de faire appel à un médiateur, dont la discrétion et l’indépendance font le succès.
Il n’y a que les juristes chevronnés pour trouver plaisir à courir les mornes couloirs d’un tribunal de commerce. Quiconque soucieux de préserver sa fortune se garde bien de figurer aux indiscrétions de quelque chronique judiciaire.
Les amoureux de la réserve sont familiers de l’arbitrage. A ce mode alternatif de règlement des conflits, ils reconnaissent l’avantage de pouvoir choisir eux-mêmes celui ou celle qui tranchera, avec la même autorité qu’un juge judiciaire, l’objet de leur litige, le tout se déroulant bien loin d’un austère tribunal, que remplacent confortablement les fauteuils d’une confidentielle salle de réunion. Mais ils lui connaissent sûrement sa cousine la médiation, qui par une rime triviale assure la discrétion.
Déjà l’Association des Femmes Chefs d’Entreprise du Maroc (AFEM) a entrepris de faire connaître cette pratique à travers des caravanes de sensibilisation qui ont sillonné les différentes régions du Royaume à commencer par El Jadida. Et si la diplomatie est une qualité que l’on reconnaît souvent à la gent féminine, les PDGettes ne sont pas les seules à accueillir la médiation avec enthousiasme. Car à la différence de l’arbitre, le médiateur n’impose pas sa décision aux parties qui l’ont choisi. C’est par un débat tripartite que l’on accède à l’accord, et c’est tout l’intérêt d’y recourir. Enfin, quand bien même la médiation échouerait, les parties demeureraient libres de se retirer à tout moment de la procédure.
Une procédure rapide, légère et sans obligations
Outre son caractère circonspect, la médiation assure son succès par la rapidité de sa procédure. Ainsi, lorsque les négociations d’un quelconque accord commercial sont bloquées, l’une et/ou l’autre des parties peuvent proposer le recours à un médiateur, qui a reçu une formation préalable auprès de l’un des centres spécialisés, dont le plus important est le Centre Européen de la Médiation et de l’Arbitrage (CEMA). Désireux de promouvoir ce mode alternatif, le CEMA, par les mots du président de son directoire, Hassan Alami, expose la nécessité de cette formation, à défaut de laquelle «le médiateur a tendance à reproduire le raisonnement du juge, en cherchant directement une solution au conflit. Au contraire, il lui faut explorer les contours du problème, et faire au mieux pour évacuer les tensions entre les parties».
Le médiateur, choisi en général pour son expertise dans un certain domaine économique, peut également être proposé par le CEMA. Il faut aussi préciser que dans le cas où le conflit a déjà été porté devant les tribunaux, la médiation interrompt la procédure judiciaire. Le juge doit ainsi attendre qu’elle soit achevée pour pouvoir reprendre le procès.
Les parties signent alors une convention qui soumet le litige à la médiation: c’est le compromis de médiation, qui détermine l’objet du litige, désigne le médiateur et prévoit les modalités de sa désignation. Elles peuvent refuser une seule fois le médiateur, qui, tenu au secret professionnel, peut être poursuivi en justice au cas où il manquerait à son obligation de confidentialité.
De préférence assistées de leurs avocats, les parties entament alors les pourparlers, au cours desquels elles peuvent avoir recours à des experts. Si la médiation aboutit à une entente, celle-ci est inscrite dans une transaction, acte par lequel les parties et le médiateur s’engagent par écrit à respecter les modalités de règlement du litige. La transaction revêt alors autorité de la chose jugée, ce qui, dans le jargon juridique, signifie qu’elle acquiert la même valeur juridique que la décision de justice prise par un juge.
Toutefois, les parties demeurent libres de se retirer de la médiation à tout moment, et ce, sans incidence aucune sur le conflit. C’est un des principaux avantages de la médiation, qui s’allège ainsi des impédiments d’une longue et bien souvent pénible procédure judiciaire.
Enfin, la médiation est généralement moins coûteuse, et l’économie qui la fait prévaloir est davantage plus intéressante lorsque le litige porte sur un montant élevé. Pourquoi ne connaît-elle pas alors, à l’intérieur de nos frontières, le succès qui la porte à l’étranger, et plus particulièrement dans des économies libérales où elle est intégrée dans les us et coutumes professionnels? La question de son adaptabilité aux pratiques commerciales marocaines mérite réflexion.
«La médiation aurait l’avantage d’alléger les tribunaux en fluidifiant le traitement des litiges commerciaux»
Médiation et Marocains
La médiation est une pratique encore méconnue du milieu des affaires. Le CEMA ne traite actuellement qu’une centaine de litiges par an. Procédure encore jeune, elle est régie par la loi n° 08-05, introduite au paysage juridique par le dahir du 30 novembre 2007. Si ce texte est satisfaisant et globalement conforme aux lois internationales, les praticiens de la médiation sont toutefois dans l’attente d’une loi spécifique à la médiation judiciaire, dont un projet de loi devrait voir le jour l’année prochaine. Pour Hassan Alami, «il faudrait que le juge renvoie les parties à la médiation avant de statuer sur une affaire qui lui est présentée».
Cette solution intermédiaire aurait l’avantage d’alléger les tribunaux en fluidifiant le traitement des litiges commerciaux. Faut-il pour autant attendre l’intervention du juge pour que la médiation soit plus répandue? Au Maroc, ce ne sont malheureusement pas les lois qui font les pratiques. La médiatisation de la médiation ne saurait suffire non plus à son extension.
Le CEMA table sur une stratégie de cinq à dix ans. Loin d’être garanti, le succès de la médiation auprès des agents économiques demeure toutefois souhaitable, qu’il soit introduit par une modernisation des pratiques commerciales, ou par un rejet des tribunaux qui souffrent de l’inapplicabilité des lois.
Lorsque l’on sait l’aversion des professionnels marocains pour le règlement institutionnel des litiges, on s’étonne que la médiation demeure si peu répandue parmi eux. Sans pour autant pratiquer une généralisation vulgarisée des arrangements officieux, on peut toutefois croire que la médiation apporte la sécurité du tribunal et la confidence de l’entente secrète. C’est finalement un bon compromis entre les deux pratiques, une sorte de procès à l’amiable à moindres frais, qui saurait entretenir les meilleures amitiés professionnelles. Encore faudrait-il disposer d’un état d’esprit de dialogue et d’échange, qualité qui semble actuellement manquer au business marocain, peut-être encore trop agressif.
Pour autant, le maigre succès de la médiation ne tient pas seulement à son concept. Selon Amin Hajji, avocat au barreau de Casablanca, c’est avant tout un problèmes d’hommes : «N’est pas médiateur qui veut ! Les diplômes, délivrés par exemple par le CEMA après une formation d’une semaine, ne suffisent pas à garantir la confiance des chefs d’entreprises. Il faut à la fois une expérience professionnelle forte et une grande connaissance du monde des affaires. Pour rassurer les professionnels, il faut disposer de grandes qualités humaines, et les critères en matière de médiation, très élevés, sont manifestement supérieurs à ceux de l’arbitrage ou du système judiciaire».
Si certains l’ont déjà adopté, d’autres hésitent encore à placer leur confiance dans ce mode alternatif – ou finalement avant-gardiste – de règlement des conflits.