Le Maroc face à la crise alimentaire
La sécheresse de l’été 2012 a causé l’envolée des prix alimentaires à l’échelle planétaire. Une conjoncture difficile à laquelle le Maroc devra faire face. Les risques qui pèsent sur le Royaume soulèvent la question d’une réaction imminente des autorités, tant inquiétées par l’instabilité des cours mondiaux que par l’incertitude des stocks nationaux.
Au sortir de la saison estivale, les agriculteurs américains s’essoufflent. Le pays de l’Oncle Sam n’a pas connu pareille sécheresse depuis cinquante ans. Les prévisions du ministère américain de l’Agriculture pour la production de maïs en 2012 établissent une baisse de 13% par rapport à l’année dernière. La Russie et une grande partie de l’Europe ont également fait les frais de la rudesse de la nature. Certains économistes parlent déjà d’une nouvelle crise alimentaire, semblable à celle qui a causé famine et émeutes en 2008 sur une grande partie de l’hémisphère sud. Cette année, les cours mondiaux flambent : en un mois, le prix du blé a augmenté de 25%.
Grands exportateurs céréaliers, les Etats-Unis sont désormais soucieux de préserver leurs stocks, au grand dam de plusieurs pays du Sud tenus sous le joug économique américain. C’est le cas du Maroc, dont l’appel d’offres pour importer 300.000 tonnes de blé depuis les Etats-Unis n’a reçu aucune réponse.
Pourtant le Royaume bénéficie d’accords de libre-échange avec la plupart des pays desquels il importe ses céréales. Najib Akesbi, économiste et professeur à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II à Rabat, confiait à la presse que «les prix internationaux du blé ont tellement augmenté en juillet que l’avantage représenté par l’abattement de 38% des droits de douane est annulé, précise l’économiste, car il s’agit d’un avantage en situation de concurrence, or, actuellement, il n’y a plus de concurrence des offreurs sur les marchés du blé». De plus, la sécheresse que connaît cette année le Maroc n’est pas pour améliorer la situation. Si l’Etat ne sonne pas l’alarme, il est néanmoins nécessaire de jauger l’ampleur des dégâts.
Importer, mais à quel prix ?
L’indice FAO des prix alimentaires, qui mesure la variation mensuelle des cours internationaux d’un panier de denrées alimentaires, était de 213 points en août dernier, soit 18 points en dessous de sa valeur au même mois de l’année précédente. La baisse des prix du sucre a compensé celle de la viande, des produits laitiers et du maïs. De fortes pluies, récemment tombées aux Etats-Unis et en Russie, ont permis d’atténuer les dégâts de la sécheresse.
Pour autant, les prix restent élevés, et les importations marocaines feront sentir cette hausse sur les finances de l’Etat qui, à travers sa Caisse de compensation, sera dans l’obligation de suffire aux besoins alimentaires de plus de trente millions d’habitants. Cette même caisse qui, tel qu’annoncé en avril dernier par le ministre de l’Economie et des Finances, Nizar Baraka, présente un déficit alarmant de 10 milliards de dirhams cette année, soit une hausse de 39,3% par rapport à 2011.
Après avoir accusé le coup, il faudra encore réduire la dépendance du Maroc vis-à-vis des grands pays exportateurs, ce qui suppose un soutien de l’Etat à la production locale. Pour le moment, le ministère de l’Agriculture se veut rassurant et mise sur la production intérieure.
«L’année 2012 a révélé les faiblesses de l’économie agricole marocaine, et l’urgence d’une prise en main»
Le ministère compte sur la production intérieure
La rumeur court, selon laquelle l’Onicl (Office national interprofessionnel des céréales et légumineuses) rendrait des visites surprises aux minotiers pour établir une estimation de leurs stocks réels. Bien que les différents protagonistes nient ces faits pour le moins inquiétants, il n’en demeure pas moins que le marché intérieur des céréales est tendu. La production de blé tendre de l’année 2012 serait de 38% inférieure à celle de 2011. Le niveau de collecte des céréales a régressé de 9% à la fin du mois de juillet dernier par rapport à la même période un an auparavant.
Ces chiffres n’inquiètent pas outre mesure le ministère de l’Agriculture. Selon lui, les disponibilités des stocks sont confortables et ne présagent pas de crise. Dans un communiqué, il précise qu’après «avoir atteint son maximum à fin juin cette année grâce au stock de report relativement important et au bon déroulement de la collecte, le stock en blé tendre détenu par les opérateurs devrait rester à fin août à un niveau très confortable de 17,5 millions de quintaux, soit l’équivalent de plus de 4 mois d’écrasement des minoteries industrielles». C’est sans compter la dimension internationale des tensions que connaît l’agroalimentaire. Même à ce niveau, le ministère rassure en énonçant que «toute présomption de restriction des exportations de céréales par ces pays [exportateurs] vers le Maroc est sans fondement».
La deuxième mesure prise par l’Etat est la prolongation de la campagne de collecte de blé tendre jusqu’à fin septembre, afin de «permettre aux agriculteurs de commercialiser la plus grande partie de leur récolte». Les autorités se reposent donc sur la production intérieure, que tous espèrent suffisante. Mais le recours à l’importation n’est pas ouvertement exclu. Le ministère précise qu’une «partie seulement des importations est effectuée dans le cadre des accords de libre-échange pour lesquels l’Onicl lance les appels d’offres. Les importations dans le cadre de ces accords sont effectuées par les importateurs qui choisissent librement leurs fournisseurs selon les opportunités présentées».
Si la crise n’est pas imminente, il n’en demeure pas moins que l’année 2012 a révélé les faiblesses de l’économie agricole marocaine, et l’urgence d’une prise en main afin de pouvoir pallier une éventuelle «grosse crise».
La fièvre acheteuseLa crise alimentaire de 2008 a été tirée par la forte croissance économique du continent asiatique, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Mais les pays semblent moins enclins à s’adonner à des «achats de panique». La création d’AMIS, le système d’information des marchés agricoles développé au cours du dernier G20, a pour but de favoriser la coordination des réponses politiques internationales. Les pays sont donc mieux préparés à une crise éventuelle, mais la vigilance reste de mise pour les pays en développement, les plus vulnérables. |