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CREDIT CONSO Effet de cannibalisme

Entreprises octobre 2012

CREDIT CONSO Effet de cannibalisme

Depuis quelques années, les banques empiètent sur le terrain de leurs filiales, les sociétés de financement, en proposant des taux plus intéressants aux particuliers désireux d’accéder au crédit à la consommation. Un comportement dangereux, qui risque de les mener droit dans le mur.

Dans la jungle de la finance, les plus grands prédateurs ne sont jamais à l’abri du danger. Les banques marocaines ont développé, depuis  quelques années, un comportement que d’aucuns attribueraient à l’inattention: elles grignotent désormais les parts de marché de leurs filiales spécialisées dans le crédit, la plupart du temps à des taux d’intérêts bien plus avantageux. Cela même alors que le crédit  à la consommation ne représente qu’une part marginale de leur PNB.
En 2006, 38% des crédits à la consommation étaient portés par les banques. Les récents chiffres établissent qu’en 2011, ces mêmes banques octroyaient plus de la moitié des crédits: leur part était de 53%. Ainsi, les banques ont crû au détriment des sociétés de financement, celles-là mêmes qui sont supposées être les usines de traitement de leur société-mère.
Ainsi, on a pu observer une baisse de 11% de la production des crédits personnels au niveau de ces sociétés de financement, réduite de 9,5 milliards de dirhams en 2010 à 8,5 milliards en 2011. La tendance ne s’estompe pas: déjà au premier semestre 2012, la baisse est encore de 8%.
Certes, les sociétés arrivent à compenser cette tendance baissière par les crédits automobiles, mais il n’en demeure pas moins que celle-ci résulte d’une absorption par les banques de ces parts de marché. «Cette baisse est due à une plus grosse restriction au niveau de la qualité des crédits de la part des sociétés de crédit à la consommation», explique Amine Bouabid, président du directoire de Salafin.
In fine, c’est vers une dégradation du risque que les banques se dirigent. La question qui se pose, à l’heure actuelle, est de savoir combien de temps il reste aux banques avant que leurs états généraux ne s’alarment. 

Un problème d’origine culturelle
La signature par les banques de conventions avec les entreprises, doublée d’une croissance très forte du développement des agences bancaires, a contribué à l’accroissement des banques au détriment des sociétés de financement. Mais ces mêmes banques n’ont pas développé une maîtrise approfondie de la gestion du risque.
A la différence des banques françaises, qui connaissent une réelle culture du risque, les banques marocaines n’ont pas encore conscience des dangers de leur comportement dans la mesure où la quote-part du crédit à la consommation ne représente que 3 à 5% de leur PNB.
Ce qui est impensable en Europe est ainsi pratiqué par les banques marocaines, pour qui les outils de sélectivité dans l’octroi de crédit ne sont pas très sélectifs tandis que les sociétés de financement se basent sur un modèle statistique pour établir la solvabilité de leurs clients potentiels.
Pour certaines banques, le coût du risque a doublé. Les taux proposés sont certainement plus intéressants, mais sont-ils fiables pour autant ? En ouvrant la vanne des particuliers, elles ont souhaité ouvrir leur réseau. Dans ce cas, on peut se demander à quoi sert encore de créer des filiales spécialisées dans le crédit. Au risque de les étouffer, les banques sont également entraînées à se mettre elles-mêmes en danger.
Egalement parce qu’elles peinent à trouver des projets intéressants, les grandes banques se globalisent, et ne se limitent pas au seul rôle commercial qui est supposé être le leur. «Le taux de transformation des crédits est passé historiquement d’un niveau de 80% (modèle africain) à près de 120% aujourd’hui pour répondre aux standards des banques européennes, ce qui aura pour effet de renchérir le coût des ressources». C’est ainsi que Amine Bouabid résume le schéma actuel.
Au-delà des considérations d’économie, faut-il pour autant se perdre dans une course au chiffre? Et surtout, est-il encore possible de faire marche arrière? «La course aux parts de marché de crédit sans critères de sélectivité objective risquerait de produire des coûts de risque importants in fine», résume Amine Bouabid.

«Les banques marocaines grignotent désormais les parts de marché de leurs filiales spécialisées dans le crédit»

Une bombe financière à retardement
La cohabitation entre banques et sociétés de financement devient de plus en plus difficile. Ces dernières ont volontairement freiné le crédit au particulier, obligés de «serrer les vis». A également été constatée une totale dégradation de la qualité de la clientèle. Conséquence immédiate: les taux de rejet sont plus importants, et les critères de plus en plus sévères. Les choses ont changé avec les rappels de Bank Al-Maghrib qui s’est inquiété de l’état de la gouvernance et des procédures d’octroi des crédits dans le milieu des sociétés de financement. On se rappelle de sa réunion en décembre 2010 avec l’Association Professionnelle des Sociétés de Financement (APSF) où Abdellatif Jouahri s’est invité à la réunion du conseil de l’Association. A l’époque, l’évolution des encours à fin 2010 faisait état d’un recul des financements en crédit-bail, d’une hausse des remises de créances auprès des factors, d’une stagnation du montant des garanties et des crédits à la consommation distribués. Et c’était aussi à cette époque où la centrale de risques commençait à opérer afin de mettre de l’ordre dans les dossiers de surendettement.
Si les sociétés de financement indiquent serrer la vis, les banques de leur côté voient leurs ressources augmenter, alors qu’elles étaient presque nulles auparavant. Le ratio de transformation bancaire est actuellement inversé, les coûts ne peuvent qu’augmenter. La prise de conscience est nécessaire, car les crédits octroyés actuellement se dégradent avec le temps, et on ne s’en rend compte que trop tard. A court terme donc, ces crédits sont «gérables» mais ils finiront, tôt ou tard, par causer un réel breakdown dans le secteur.
L’association professionnelle des sociétés de financement travaille actuellement sur l’amélioration de leur business model, et plusieurs pistes s’ouvrent à elles: il leur est notamment possible de s’attaquer à un nouveau type de clientèle, tel celui des professionnels. Elles envisagent même de nouveaux métiers, notamment en s’orientant vers les produits d’épargne. Encore faudrait-il ne pas dénaturer leur propre profession, au risque de reproduire au final le comportement qu’elles reprochent aux banques.