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Stations touristiques Les éléphants blancs

Economie mars 2012

Stations touristiques Les éléphants blancs

L’expérience du Maroc dans le domaine de l’investissement touristique est marquée par des succès, mais aussi par le retrait de grands aménageurs internationaux. Face à cette situation, l’Etat a fait le pompier, par le biais de la Caisse de Dépôt et de Gestion, mais jusqu’à quand?

Les temps deviennent de plus en plus durs pour le secteur touristique national! Plusieurs projets se retrouvent dans une situation de flou total. La réalisation des ambitieux projets touristiques du plan Azur peine à voir le jour. Retards dans l’exécution, projets en arrêt, retraits des grands groupes… Bref, ces dernières années, nous avons assisté à tous les scénarios possibles, causés en l’occurrence par la crise financière et économique internationale, le changement obligé des stratégies de développement des grands groupes internationaux qui s’étaient lancés dans plusieurs projets nationaux de grande envergure. Le Printemps arabe a aussi son mot à dire dans cette nouvelle situation. Simple illustration de cette conjoncture difficile, la recherche de nouveaux investisseurs pour Oued Chbika, conduite par Orascom Développement et la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG). En effet, le groupe international a publié dernièrement une perte nette de près de 19 millions de dollars sur neuf mois, contre un bénéfice de 76 millions à la même période de 2010. Ces résultats expliquent en effet le gel des investissements internationaux de l’empire de Samih Sawiris en attendant d’y voir plus clair. Surtout que le groupe est fortement impacté par les troubles sociaux en Egypte et dans d’autres régions touristiques du monde arabe. D’ailleurs, un gestionnaire international de portefeuille nous a affirmé que «dans le monde entier, aucune institution internationale n’investira actuellement dans les projets touristiques!». Or, la succession des mauvaises nouvelles pour le Royaume ne s’arrête pas là! Plusieurs pactes avec des groupes internationaux ont été brisés: le groupe espagnol Fadesa s’était retiré du projet du complexe touristique de Meditérranéa Saidia, le groupe émirati, Sama Dubaï, qui était le principal actionnaire de la joint-venture créée pour la réalisation du projet Amwaj sur les rives du Bouregreg, avait tout simplement jeté l’éponge à cause de problèmes liés à la crise économique internationale. 

CDG, le sauveur !
Cependant, ces différents projets qui n’allaient plus aboutir ont trouvé en un temps record un sauveur qui n’est autre que la Caisse de Dépôt et de Gestion. L’institution nationale vient toujours à la rescousse des projets pharaoniques dans lesquels le pays s’est engagé. Youssef Ismael, directeur général de Ardim, la société gestionnaire de fonds de la Deutsche Bank au Maroc, assure que «c’est quelque part le rôle de la CDG de sauver ces projets, puisque la caisse dispose de fonds pour ce genre de situations, mais il faudrait peut-être changer le schéma de son intervention en misant plus sur l’accompagnement». Ainsi, la CDG, le bras financier de l’Etat, est devenue dans des circonstances de crise le principal architecte de la survie de ces différentes stations balnéaires. L’institution a été invitée à accompagner la réalisation de ces projets, qui nécessiteront la mobilisation d’une enveloppe de près de 24 milliards de dirhams sur la période 2011-2016. Pourtant, après une phase de diversification massive, la CDG a annoncé en 2010 sa volonté de se recentrer  sur ses métiers de base. Avec son arrivée à la tête de l’institution, Anas Alami ne voulait plus enfiler la casquette du pompier qui le poussait à voler au secours des grands projets publics et privés. Mais, finalement, à quoi sert cette stratégie de repositionnement puisque, deux années après son annonce, la CDG continue d’être le facteur de garantie étatique. L’Etat a voulu, depuis l’independance, que l’institution soit un réservoir à cash chaque fois qu’il en a besoin, sans pour autant se préoccuper des risques financiers que la Caisse pourrait encourir.

«Pour l’année 2012, aucune institution internationale n’investira dans les projets touristiques!»

Il faut admettre les erreurs de départ
Maintenant, la question évidente qui se pose est la suivante: est-ce que ces projets ont été mal étudiés dès le début? L’arrivée de la crise a aggravé les choses certes, mais la réponse à cette question est évidente pour les observateurs du marché économique national. Dans ce sens, Youssef Ismael explique que «dans une situation d’euphorie, ces grands projets ont été acceptables, mais la crise est survenue pour faire resortir le gap qui existe entre l’offre et la réalité du marché touristique national». Ceci dit, avec la crise, les grands groupes qui se sont lancés dans la réalisation de ces concepts de stations balnéaires se sont trouvés dos au mur, ils ont eu du mal à faire front à la crise financière. Les exemples sont en effet nombreux, Fadesa a cédé 50% de sa filiale marocaine au groupe Addoha en 2007, le fonds d’investissement américain Colony Capital s’est désengagé du projet de la station Taghazout pour non-respect de ces engagements en 2009, avant d’y revenir dans le cadre d’un consortium mixte impliquant des nationaux et des étrangers.
Ainsi, la grosse erreur, c’est que les stations ont été concédées au début en accordant une composante immobilière de 30% du projet, suffisamment alléchante pour des investisseurs qui présentent un profil de promoteurs immobiliers. Ces derniers se sont attardés sur la composante hôtelière et touristique (70% des stations). Il faut reconnaître que la solidité financière et l’expertise des promoteurs sélectionnés n’ont pas été à la hauteur. Finalement, à un moment donné, quand un groupe étranger voit qu’il ne peut pas honorer ses engagements, il ne tarde pas à se retirer et ainsi déclarer des pertes. Le scénario n’est pas le même pour les acteurs nationaux, selon les économistes, ces derniers préfèrent la politique de l’autruche au lieu de déclarer tout simplement leur défaite. L’exemple de la station de Taghazout illustre parfaitement ce scénario. Le projet qui, après la confirmation de la prise de participation de la CDG à hauteur de 35% et celle de la Société Marocaine d’Ingénierie Touristique à hauteur de 5% dans le capital de la société gestionnaire de la station, a dû réduire son investissement de 20 milliards de dirhams au début, puis de 10 milliards, pour se fixer aujourd’hui à 6 milliards de dirhams.     

Gap entre l’offre et la demande
Ainsi, face aux retards et à la révision à la baisse de certains programmes d’investissement, le gouvernement marocain s’est retrouvé entrain de chercher de nouveaux repreneurs immédiats pour ces grands projets touristiques. D’ailleurs, l’ancien ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Mohamed Boussaïd, avait lui-même reconnu devant la presse que «le Plan Azur, tel qu’il a été conçu, pèche par excès d’ambitions en termes de délais de réalisation et de capacités litières».
Du coup, le projet a été redimensionné, tenant compte bien évidemment des effets de la conjoncture économique mondiale en incluant de nouveaux concepteurs et réalisateurs des projets, mais, cette fois-ci, ce sont des entreprises marocaines. Mais, le grand bémol est que même ces entreprises trouvent du mal à réaliser leurs projets, puisque l’offre des stations touristiques marocaines ne concorde plus avec la demande.
Car, si  un touriste européen a le choix d’acheter une villa au Maroc ou en Espagne, son choix sera évident, il optera pour l’offre espagnole qui est moins chère. Mais aussi parce qu’il aura plus de moyens de loisirs. Le Maroc peut offrir ces moyens de divertissement, mais à petite échelle. C’est donc le facteur culture qui joue ici un rôle primordial, puisque les traditions ne sont pas les mêmes et l’offre culturelle nationale n’est pas aussi étoffée qu’a l’étranger. Les stations touristiques marocaines ont été conçues dès le début pour une clientèle riche qui, en temps de crise, n’est plus aussi intéressée par cette offre. Ces carences dans la construction d’une offre touristique et culturelle intégrée ont poussé le ministère du Tourisme à revoir la Vision 2010 et à concocter un nouveau programme de financement afin de sauver les stations touristiques en souffrance. L’ancien ministre, Yasser Zenagui, avait estimé que construire des hôtels et des résidences n’est jamais suffisant pour façonner un vrai produit. Il avait assuré dans un entretien accordé à Economie/Entreprises que «la seule solution est de trouver les financements pour construire en parallèle toutes les composantes touristiques des stations touristiques… C’est une responsabilité de l’Etat et des acteurs privés nationaux. Par la suite, on pourra faire suivre des investisseurs étrangers». Une manière d’éviter de donner les projets clés-en-main aux investisseurs internationaux et d’éviter à l’Etat de perdre le contrôle de son programme touristique. Car, vu que le projet a été concédé en totalité à un seul investisseur, il était difficile pour l’Etat de faire un suivi rigoureux et donc de rectifier en cours de route. La crise s’est chargée du reste.

Plusieurs aléas entrent en jeu
L’Etat devrait dans cette perspective, jouer son rôle de régulateur. Il devrait en même temps maîtriser et réduire les risques liés à ces grands projets, mais aussi  déterminer le niveau de priorité pour chaque projet annoncé. Surtout, après la création de l’autorité marocaine de l’investissement touristique «Wessal Capital», qui donnera un apport financier non négligeable de 23 milliards de dirhams à la vision touristique nationale. Mais au-delà de ce montant mobilisé, c’est la création de cette autorité qui est en elle-même un évènement, dans la mesure où elle réunit des fonds souverains arabes de renommée: Aabar d’Abu Dhabi, Kuwait Investment Authority, Qatar Holding, adossés au Fonds marocain de développement touristique. Toutefois, les professionnels du secteur touristique restent sceptiques par rapport à cette création, car bien qu’elle soit une bonne nouvelle pour le secteur, le challenge de l’autorité résidera dans le fait qu’elle doit trouver encore une fois les bons projets, mais doit surtout sauver ceux déjà entamés et se trouvant en difficulté. Tous les projets ont connu des difficultés et des retards dus à la révision des plans d’aménagement, le retard des travaux, les problèmes du foncier et les changements d’investisseurs… Aujourd’hui s’ajoute à toutes ces contraintes le fait que les banques nationales qui se sont également engagées à donner des crédits à ces projets se retrouvent en manque de liquidités. Mais, là où il y a problème, c’est qu’elles n’osent pas sortir les cadavres de leurs placards, c’est-à-dire tous ces dossiers immobiliers et industriels qui les ont plombées, de peur d’affoler le marché et de perturber un équilibre précaire. Le groupe Legler avait sonné l’alarme. Pourtant, depuis, même si la communauté financière parlait de beaucoup de gros dossiers en souffrance, personne n’osait crever l’abcès. Mais jusqu’à quand? Car si aucun état des lieux transparent n’est fait sur «ces éléphants blancs», la nouvelle stratégie touristique sera bâtie sur des spéculations et ne retiendra pas les leçons de l’Histoire. Peut-être que seule une classe d’initiés est informée de ces dérapages et cherche à les contourner. Mais l’ère de l’ouverture sur l’opinion publique initiée par le nouveau gouvernement impose d’abord de comprendre exactement ce qui s’est passé pour pouvoir rebondir sur une base saine.

La fin du rêve Marrakech ?

Le débat bat son plein quant à la situation du secteur touristique dans la ville ocre. En effet, depuis plusieurs semaines, les supports de presse parlent des problèmes que rencontrent les professionnels du tourisme dans la ville et de leur résistance face aux effets de la crise économique internationale. La polémique a débuté quand une vingtaine de professionnels hôteliers ont adressé un courrier aux autorités locales, afin de les sensibiliser à la gravité du repli de l’activité touristique dans la ville. Entre temps, des sources proches du dossier préférant garder l’anonymat nous ont même parlé de fermeture éventuelle de quelques établissements hôteliers et la perte de milliers d’emplois dans le secteur. Mais ces affirmations ont vite été démenties par l’Association de l’industrie hôtelière (AIH) de Marrakech, qui a lancé un communiqué de presse pour tempérer toutes les rumeurs auparavant lancées. Ainsi, dans son communiqué, l’AIH affirme que «la situation reste fragile; le système de distribution est malmené sur tous les marchés européens depuis fin 2011. Néanmoins, les professionnels de l’hôtellerie, et notamment les 21 signataires du courrier, restent convaincus que Marrakech continue d’être une destination à forte résistance». Une chose est sûre: Marrakech file du mauvais coton.