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La corruption, cette hydre à trois têtes

Point de vue septembre 2010

La corruption, cette hydre à trois têtes

Depuis quelques semaines, la presse fait état de différentes affaires de trafic d’influence, d’escroquerie, d’abus de confiance, de corruption et détournement, dans lesquelles sont mis en cause des agents des forces de sécurité et autres fonctionnaires et différents responsables d’établissements publics et privés. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Le phénomène atteint aussi les économies de rente, les gros marchés de l’Etat, le BTP, les autorisations administratives et commerciales… Si la corruption est, par définition, difficile à évaluer, elle représente des chiffres mirobolants. Quand on sait que le montant total des marchés publics représente 15% du PIB et que le secteur du BTP réalise 80% de son chiffre d’affaires grâce à ces marchés, on peut aisément se faire une idée sur l’ampleur du phénomène. Selon les dernières estimations de la Banque Mondiale, le pactole mondialement généré par la corruption porterait sur 2.000 milliards de dollars. C’est plus que le PIB de tous les pays, à l’exception des cinq premières grandes puissances. La corruption est l’une des principales contraintes des entreprises des économies en développement. Elle constitue une taxation importante de l’investissement, équivalente à un impôt de 20% à payer par l’investisseur. Mieux encore, on estime que la croissance des affaires pourrait s’accélérer de 3% avec moins de corruption et plus de respect de l’Etat de droit. Au Maroc, il semblerait que le vent ait tourné. Dans le bon sens. A voir les affaires en cours d’instruction et les dernières mesures disciplinaires prises à l’encontre de plusieurs hauts fonctionnaires, l’impunité, qui semblait constituer la règle il y a quelques temps, n’est plus de mise. Sa Majesté le Roi Mohammed VI n’avait-il pas érigé « …tout abus de pouvoir ou trafic d’influence » en « un crime contre la Patrie, non moins répréhensible qu’une atteinte à ses valeurs sacrées » ? (discours du trône 30 juillet 2005). Plusieurs autres signaux avaient pourtant été émis du côté de l’Etat. Sur le plan juridique, des avancées importantes ont été enregistrées en matière de lutte anti-corruption: adoption d’instruments juridiques de prévention de la corruption, appropriation de certaines conventions internationales dédiées, mise en place de l’Instance centrale de prévention de la corruption, amendement du code pénal pour protéger les personnes dénonçant tout acte de corruption… Malheureusement, beaucoup de chemin reste encore à faire.

«Le moyen le plus efficace pour lutter contre cette hydre dont les trois têtes sont la fraude, la corruption et le blanchiment, reste l’application de la Loi 43-05 du 17 avril 2007 contre le blanchiment de capitaux. »

C’est parce que l’Etat seul ne peut réussir dans la lutte contre la corruption. Seule l’action combinée du public et du privé peut y arriver. C’est pourquoi, nous pensons que le moyen le plus efficace pour lutter contre ce fléau reste l’application de la Loi 43-05 du 17 avril 2007 contre le blanchiment de capitaux. Cette loi constitue le meilleur dispositif légal pour mener de front la lutte contre cette hydre dont les trois têtes sont la fraude, la corruption et le blanchiment. Le mécanisme du blanchiment consiste à introduire de l’argent d’origine criminelle dans l’économie légale pour en masquer l’origine illégale. Ces sources peuvent être les activités de la criminalité organisée, notamment le trafic de drogue, la prostitution, le trafic d’immigrants, le détournement de biens publics, la corruption, le trafic d’influence ou le terrorisme. Les fonctionnaires corrompus sont obligés, à un moment ou un autre, de réinjecter l’argent indûment gagné dans les circuits économiques légaux, notamment en passant par les banques. Cela peut être l’immobilier, les cafés et boites de nuit, le tourisme, les objets d’art ou la bourse. C’est donc au niveau de la première phase du blanchiment – l’intégration- que l’on peut, grâce à la coopération public-privé, maîtriser le fléau de la corruption et la criminalité organisée sous toutes ses formes. En effet, la Loi n° 43-05 interdit l’exploitation du système financier à des fins illégales. Elle établit des normes pour un certain nombre d’opérateurs généralement utilisés par les circuits de blanchiment: banques, sociétés offshore, sociétés d’assurance, cabinets comptables, notaires, avocats, casinos. La loi oblige ces opérateurs  privés ou publics à la dénonciation de toute opération suspecte à l’Unité de Traitement du Renseignement Financier (UTRF) basée à Rabat, qui est chargée d’en faire l’analyse et, le cas échéant, de déclencher des poursuites judiciaires. Si le blanchiment n’est pas maîtrisé, la criminalité organisée peut infiltrer les institutions financières, contrôler des pans entiers de l’économie et continuer à corrompre les agents publics. Les conséquences économiques et politiques peuvent être désastreuses. Le recyclage de l’argent sale peut déstabiliser les économies nationales et prendre en otage les institutions démocratiques du pays. L’argent sale contribue à renchérir le coût de la vie et à fausser les lois du marché. Une lutte efficace contre le blanchiment de capitaux aboutirait à un véritable assainissement des institutions et de l’économie nationale. La loi anti blanchiment devrait être appliquée et et l’UTRF activée et dotée de moyens humains et logistiques qui soient en adéquation avec sa mission… pour que la loi et la justice soient souveraines, que les bons citoyens soient tranquilles et que les mauvais ne le soient pas.