Horani, dos au mur!
Si la CGEM fait l’objet de critiques dans le monde des affaires, c’est qu’elle a failli à sa mission. Doit-on faire porter le chapeau à l’homme qui la dirige ? Les problèmes de la CGEM sont beaucoup plus complexes.
En juin 2009, Mohamed Horani déclare au magazine Jeune Afrique «qu’il préférait se taire et laisser son travail parler pour lui». Un an après, la réponse est cinglante: «La CGEM manque de propositions et elle se contente de faire du réchauffé». C’est Mohamed Chafiki, directeur des Etudes et des Prévisions Financières, qui a lancé cette boule de feu, excédé par la léthargie de la confédération, dans les discussions du comité de veille stratégique. Aussitôt, tout le landerneau économique se lance dans l’évaluation du bilan Horani. Les paroles de Chafiki, homme pourtant porté sur la discrétion et le politiquement correct, ont été interprétées comme une «disgrâce» émanant d’en haut, du patron des patrons. Si l’on pousse plus loin l’analyse, elles ont ranimé les vieilles blessures d’une confédération, dont les enjeux ont toujours été liés au pouvoir politico-économique.
Horani a-t-il été lâché? «C’est un peu hasardeux de l’affirmer. Car, n’oublions pas qu’il a été choisi par le Pouvoir lui-même pour succéder à Moulay Hafid», rappelle un fin connaisseur de la Confédération.
Un fédérateur mi-figue mi-raisin
N’empêche, l’homme n’a pas su fédérer ses collègues autour de lui. On raconte même que les grands patrons ne sont plus motivés pour l’accompagner dans les missions d’affaires, à cause de «son manque d’agressivité» dans la défense des intérêts de la confédération. «Mais qu’espéraient-ils au juste?», rétorque, sur un ton enflammé, un ancien membre de la CGEM. «Ce n’est pas un seul homme qui va rendre à la CGEM ses lettres de noblesse. Celle-ci a été tuée depuis le putch contre Hassan Chami», poursuit-il. Ce constat, auquel EIE avait consacré son enquête dans son édition de mai 2009 (pages 18-24) place le débat sur un niveau plus global. Mais Horani n’a-t-il pas sa part de responsabilité?
Au sein de son organisation, l’homme qui voulait «oser et innover» était loin d’imaginer qu’il allait finir par être lui-même victime du rouleau compresseur d’une confédération vidée de son âme, depuis plusieurs années déjà.
Et ce n’est pas un slogan de campagne, aussi mobilisateur soit-il, qui allait la révolutionner de l’intérieur. Tous les gens qui connaissent ou qui ont travaillé avec Mohamed Horani savent que c’est un homme de compromis, qui fuit les polémiques. Certes, ses qualités sont indéniables: intègre, bosseur, il est à la tête d’une entreprise au rayonnement international. Seulement et c’est là le grand reproche qu’on lui fait, son style est plutôt terne.
En outre, après plus d’un an à la tête de la CGEM, il n’a pu réaliser ses promesses. «Notre duo (ndlr : Avec Mohamed Tamer) s’engage à renforcer la structure permanente de la confédération et à impliquer davantage les fédérations et les unions régionales dans le processus de décision», avait-il promis au quotidien Le Matin du Sahara, à la veille des élections à la CGEM. Aujourd’hui, les fédérations, qui doivent constituer en principe le socle de décision patronale et le propulseur de toute nouvelle dynamique, vivent toujours des problèmes de gouvernance.
«Celui qui voulait «oser et innover» ne pouvait imaginer être absorbé par cette confédération, vidée de son âme depuis des années déjà»
Conflits d’intérêts
Si les propos de Chafiki ont provoqué autant de réactions, c’est qu’il y a une part de vérité sur la défaillance de la gouvernance au sein de ces entités. En effet, les 31 fédérations sectorielles, qui doivent inspirer la CGEM et lui impulser la dynamique nécessaire, souffrent toujours de dysfonctionnements organisationnels et de conflits d’intérêt, affaiblissant leur rôle et donc leur rendement.
L’Amith, par exemple, était au bord de la scission au moment au sujet du démantèlement douanier, concernant le référencement des importations et des exportations. La cause résidait dans la discorde au sein de la profession, lors de la discussion Des clans se sont même constitués pour défendre leurs propres intérêts. Autre exemple de malaise au sein des fédérations: la FIFAGE (Fédération des Industries Forestières des Arts Graphiques et de l’Emballage), jeune fédération créée en 2003, abrite différentes associations représentant des niches, de l’amont à l’aval de la chaîne du papier. Cela a engendré des divergences dans la vision du secteur. «Dans notre fédération, siègent plusieurs associations qui ont des objectifs différents. Cette divergence s’est accentuée au moment de l’accélération du démantèlement tarifaire en 2008/2009», explique son président Mounir El Bari. Et d’ajouter que «c’était un dossier très difficile à gérer mais nous avons abouti à un consensus et avons pu ainsi résoudre, par la même occasion, le problème de différenciation entre le taux de douane de la bobine de papier et le produit fini».
Les voix du vote, une faiblesse
Autre mal qui ronge les fédérations : le non paiement des cotisations. Chantier prioritaire de My Hafid Elalamy, le problème de trésorerie de la CGEM, engendré par les retards de cotisations des fédérations, a donné lieu à des prises de bec entre la confédération et ses affiliés. Pour que ces fédérations paient leurs arriérés, on a dû les menacer de leur enlever leur droit de vote. Ce durcissement n’a pas forcément marché car, à la base, les adhérents aux fédérations ne paient pas tous leurs cotisations. Ce qu’il faut noter aussi, c’est que le fait de lier les cotisations au droit de vote a entraîné une mauvaise habitude: certains adhérents ne paient leurs dûs que lors des élections, pour pouvoir justement voter. Pire encore, lors des deux dernières élections, le fait d’avoir un candidat unique a tout simplement poussé ceux qui ne payaient pas à ne trouver aucun intérêt à mettre la main à la poche. A cette anarchie organisationnelle, il faut ajouter le problème du leadership. La FNBTP (Fédération Nationale du Bâtiment et des Travaux Publics) a le même président depuis plus de vingt ans, Bouchaïb Benhamida. Quant à la Fédération Nationale du Tourisme (FNT), elle se débat encore dans ses problèmes de gouvernance interne.
Bref, en lançant ses mots incendiaires, Mohamed Chafiki savait de quoi il parlait. En évoquant la «panne de propositions» au sein du patronat, il a mis le doigt sur un mal qui ronge réellement la confédération. Mais, dans ce cas, qui pourra sauver la situation ? En clair, si le style Horani ne plaît plus et qu’une bonne partie de ses prédécesseurs ont été controversés, quel est le profil idoine d’un patron de la CGEM?