En mal de compétences…
Deux ans après le lancement du Plan d’urgence de la formation professionnelle, le Maroc souffre toujours d’un manque de ressources humaines qualifiées. Conséquence: La main d’œuvre étrangère est de plus en plus sollicitée.
Près de 10.000 étrangers travaillent au Maroc, selon les statistiques du ministère de l’Emploi. Pour Jamal Rhmani, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, ils étaient 6.000 en 2007, soit une hausse de 40% en seulement trois ans. Aujourd’hui, le nombre croissant des étrangers dans tous les secteurs met à nu les retards observés dans la qualification de la main d’œuvre marocaine.
Et ce n’est pas Jamal Belahrech, président de la commission Emploi de la CGEM, qui dira le contraire. Ce dernier assure qu’«il est de plus en plus difficile de trouver des profils qualifiés sur le marché de l’emploi marocain». L’entreprise a du mal à trouver des profils spécifiques qui correspondent à ses métiers. Surtout pour des secteurs qui deviennent de plus en plus stratégiques pour le pays, tels que l’aéronautique, l’offshoring, les énergies renouvelables, le tourisme… «Il faut accepter les règles de la mondialisation et de l’ouverture des marchés. Puisque le Maroc n’a pas été dans une logique d’industrialisation, il est normal que les opérateurs économiques trouvent des difficultés à trouver des profils de niche», explique Jamal Belahrech.
Bref, la crise des compétences est au cœur du débat chez les opérateurs économiques. Elle a été ressentie il y a plus de deux ans dans le secteur des BTP, avec la panoplie de projets d’infrastructures engagés par le pays (Tanger Med, autoroutes…). Après la pénurie des matériaux de construction, les entreprises ont découvert celle des compétences. Ce sont les professionnels de Tanger qui avaient lancé le cri d’alarme, le manque de techniciens confirmés et d’ingénieurs spécialisés menaçant les chantiers d’infrastructure dans la région.
Dans la même lignée, le secteur du tourisme, avec tous ses gros chantiers lancés à travers le royaume dans le cadre du plan Azur, est sans doute l’activité où la situation est la plus critique. Devoir dénicher des serveurs ou des chefs cuisiniers qualifiés relève presque du miracle. A cela, s’ajoute l’appel d’air provenant de l’Espagne, qui a conclu des accords d’immigration de main-d’œuvre avec le Maroc. Il s’agit surtout de salariés expérimentés touchés par la crise dans leur pays et qui arrivent au Maroc, profitant ainsi de meilleures conditions des entreprises marocaines, dans l’hôtellerie en particulier.
«La pénurie de ressources qualifiées résulte d’une absence de logique d’industrialisation»
Une réforme tardive
Face à cela, que fait le gouvernement? Le 14 juillet 2008, ce dernier annonce en grande pompe son Plan d’urgence dans le domaine de la formation professionnelle.
Le plan, piloté par le ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle, vient combler une très grosse lacune dans les stratégies d’industrialisation du pays: la pénurie de main d’œuvre qualifiée dans les secteurs du tourisme, de l’agriculture, de l’artisanat et de l’industrie. Le Maroc s’est en effet lancé à bras ouverts dans la course aux investissements étrangers, sans disposer d’une base solide et surtout qualifiée en ressources humaines.
En février 2009, le Pacte National pour l’Emergence Industriel vient confirmer le fait suivant: la disponibilité quantitative et qualitative des compétences conditionne la réussite de l’industrialisation du pays. Encore une fois, dans le cadre de ce pacte, le ministère de l’emploi s’engage à promouvoir la formation initiale, celle à l’embauche et surtout la formation continue, qui constitue, à long terme, l’un des piliers de l’amélioration des compétences marocaines.
Mais, cette fois ci, les secteurs concernés, appelés «mondiaux», sont en l’occurrence l’offshoring, l’automobile, l’aéronautique, l’électronique, le textile & cuir et l’agroalimentaire. Le pacte vise à créer 220.000 emplois à l’horizon 2015. En fait, durant les 12 dernières années, le Maroc a connu une dynamique, qui a caractérisée par le lancement de programmes d’urgence dans l’éducation et la formation professionnelle et par l’accélération du rythme des programmes volontaristes de promotion de l’emploi.
Cela a permis d’enregistrer un net recul du taux de chômage national, qui est passé de 13,6% en 2000 à 9,1% en 2009.
Une absence de compétences pointues…
Mais il faudrait tout de même noter que les entreprises marocaines ont toujours du mal à recruter des compétences dans des métiers de niche. Après la pénurie des matériaux de construction évoquée par exemple dans le secteur des BTP, les entreprises découvrent celle des compétences.
Pour pouvoir fonctionner, celles-ci doivent soit se contenter de débutants, soit investir un peu plus dans la formation sans être sures de les garder, puisque la rareté des RH encourage la mobilité externe. Cela s’explique par le fait que les secteurs concernés (les technologies de l’information, le textile et les BTP) soient en pleine croissance et que le système de formation ne soit toujours pas en mesure, du moins à court terme, de pourvoir aux besoins.
L’avènement du secteur de l’offshoring a, en fait, provoqué une nouvelle montée de tension. Les patrons du secteur sont unanimes: la demande de compétences pointues est très forte. L’activité des call centers, qui disposait, depuis son apparition, d’un vivier de compétence nationale, se trouve maintenant en manque. Auparavant, les patrons recrutaient un candidat sur quatre après entretien.
Aujourd’hui, ils sont obligés de faire passer au moins vingt entretiens pour recruter un seul candidat en fin de compte, à cause de la non-maîtrise du français, langue usitée dans le monde du travail. «Cette nouvelle tendance a engendré une hausse des salaires des employés dans le métier des call centers. Cela peut rendre le Maroc moins compétitif au niveau de la délocalisation», analyse le ministre Jamal Rhmani. D’où la nécessité de procurer aux entreprises des solutions d’urgence et ponctuelles, en termes de formation des compétences.
Autre exemple: dans le secteur du tourisme, les croupiers des casinos n’ont pas de formation initiale au Maroc, que ce soit dans les académies de tourisme ou éventuellement dans les offices. Pour de tels métiers, le ministère de l’Emploi, en collaboration avec l’ANAPEC, donne des autorisations aux expatriés pour travailler au Maroc. L’objectif est de rehausser le niveau des nationaux puisqu’un transfert de savoir-faire s’opèrera.
Ces autorisations se sont étendues aux stations balnéaires qui nécessitent une main d’œuvre très spécifique – inexistante dans le pays- et que le ministère de l’emploi qualifie d’exceptionnelles et très contrôlées. «Nous sommes dans une économie libre et mondialisée, mais nous avons des contraintes légales, qui obligent bien sûr à favoriser les nationaux en premier», explique le ministre de l’emploi.
… comblée par les étrangers
Mais l’opération, lancée début mai par le ministère sur le contrôle des travailleurs étrangers travaillant au black, a tiré la sonnette d’alarme. «Aujourd’hui, l’inspection du travail est tenue de faire un contrôle dans les entreprises, afin de détecter toute sorte d’illégalité des conditions de travail des étrangers. Elle vise tous les secteurs d’emplois mais se limite aux grandes villes du pays», explique le ministre de l’emploi.
Crise ou pas, les travailleurs étrangers sont de plus en plus attirés par le marché marocain et s’intéressent à tous les secteurs d’activité.
Or, qui dit travail au noir dit non-déclaration à la CNSS et, de ce fait, pas de protection sociale. Cela représente un manque à gagner, tant pour l’Etat que pour le travailleur.
La chasse aux étrangers travaillant au black dans le pays ne représente qu’une petite action, qui, certes, privilégiera les compétences marocaines et leur laissera plus de champ de manoeuvre.
Mais le vrai deal à résoudre, aujourd’hui, demeure celui de l’obligation de combler le grand déficit des compétences marocaines et ce, afin de pouvoir assurer le développement de tous les secteurs «mondiaux» du pays.