fbpx

Immobilier les pistes de relance

Enquête novembre 2020

Immobilier les pistes de relance

Confronté à la crise, le marché de l’immobilier nécessite de vraies mesures. Tour d’horizon des points de blocage et des pistes de sortie de crise.

Les mesures proposées par le gouvernement lors de la dernière loi de Finances rectificative sont-elles suffisantes pour relancer le marché? La réponse est clairement négative comme affirmé par les nombreux interlocuteurs que nous avons sollicités pour les besoins de ce papier. En effet, bien que le gouvernement ait concédé une baisse des droits d’enregistrement de 50% pour les fixer à 2%, pour les logements inférieurs à 2,5 millions de dirhams, et les supprimer pour les logements inférieurs à 250.000 dirhams, les droits de conservation sont, eux, restés à leur niveau (1,5%), tout comme les droits d’enregistrement de l’hypothèque.
Fiscalité handicapante
L’augmentation de ces droits a eu lieu il y a quelques années, à contre-courant, alors que le secteur vivait un marasme palpable. Etait-ce pour contrebalancer la baisse des recettes? Probablement. En effet, avec cette hausse les charges à l’acquisition d’un logement avoisinaient les 8%, ce qui constitue un facteur de blocage. Et malgré la baisse de 50% des droits d’enregistrement, ce qui est communément appelé les «frais de notaire» et plus précisément les droits de mutation avoisine toujours les 6,5% de la valeur du bien dont plus de 85% reviennent à l’Etat. Cela sans compter la Taxe sur les profits immobiliers, la fameuse TPI de 15% de la valeur du bien, et les divers taxes et droits de timbre. Des impôts et taxes aussi bien supportés par l’acquéreur que le vendeur renchérissant d’autant plus les coûts de transaction et in fine le bien en lui-même. En France par exemple, les primo-acquéreurs ne paient pas de droit sur l’hypothèque. Ils n’ont même pas d’hypothèque sur l’achat de leurs biens car l’accès au logement est considéré comme un droit constitutionnel (tout comme au Maroc). L’Etat garantit les prêts au logement pour favoriser l’accès à la propriété. Ainsi, non seulement certains prélèvements n’existent pas mais, en plus, tous les premiers crédits sont garantis par l’Etat. Les droits de mutation dans ce pays avoisinent les 5% dans la plupart des cas. Ils peuvent aussi dans certains cas être à moins de 1%.
Des taux d’intérêt élevés
A cette question fiscale, s’ajoute la question des conditions du financement. En effet quand on suit les taux d’intérêt débiteurs du secteur immobilier, on remarque que ceux-ci n’ont pas réellement baissé depuis au moins 2006. Variant entre 6,3% en 2006 et 5,1% en 2019, selon les séries statistiques de la banque centrale. Le taux débiteur sur l’immobilier a atteint 4,6% en juillet 2020 alors même que le taux directeur est passé de 3,25%, à 1,5% en 15 ans. Ce qui ressort donc est une faiblesse de transmission de la politique monétaire au niveau des taux laissant ainsi une marge brute conséquente aux banques dans ce secteur qui est directement en prise avec le consommateur final, et sur une longue période. Il est vrai que les spreads de risque sur ce marché ont augmenté avec les diverses difficultés que connaît le secteur, et risquent de s’aggraver encore avec la montée des risques d’impayés, notamment de détenteurs de crédits logement. Il est vrai aussi que la banque centrale a obligé les banques à appliquer des provisions sectorielles au vu de leur exposition qui dépasse parfois les normes prudentielles, notamment de concentration. Mais, il n’en demeure pas moins que les conditions de financement des logements ne sont pas des plus optimales, surtout en cette période de taux historiquement bas. D’autant plus que les conditions de refinancement proposées par Bank Al-Maghrib ont été assouplies. Ainsi, le coût de financement d’un bien atteint dans les conditions actuelles du marché du crédit près de 82% de la valeur initiale du prêt sur 25 ans, 64% sur 20 ans, 47% sur 15 ans.
Immobilier hors de prix
A la cherté du bien, des taxes, et du financement, il faut aussi ajouter la cherté relative du bien en lui-même. Ainsi, il est impossible pour un cadre du privé touchant 10.000 dirhams par mois d’accéder à un logement dans les centres des villes comme Casablanca, Rabat, Tanger ou Marrakech. En effet, pour un salaire de 10.000, la capacité d’endettement ne dépasse pas les 4.000 dirhams, ce qui confère la possibilité d’acheter des biens en dessous de 600.000 dirhams, soit au minimum 10.000 dirhams par m² pour un bien de 60 m². Or ces offres ne sont disponibles qu’en périphérie des villes, du moins dans le neuf. Sachant que moins de 6% des salariés du privé ont un salaire supérieur ou égal à 10.000 dirhams, il s’avère ainsi impossible à l’écrasante majorité d’habiter en centre-ville ou du moins des logements proches des zones d’activités et de loisirs. Pour avoir le privilège d’habiter en centre-ville ou dans des endroits pas trop excentrés, il faut compter au minimum 13.000 dirhams/m² pour le neuf. Soit pour la même superficie, le salaire doit être au minimum de 13.000 dirhams par mois. A ce niveau de salaire et de prix du m², pour accéder à un logement au centre-ville, un salarié qualifié passera au minimum 10 ans et 3 mois à travailler uniquement pour payer son logement de 60 m². Ce qui positionne les coûts d’accès au logement moyen à proximité des centres-villes des grandes métropoles marocaines un peu plus cher que celui de Munich et Amsterdam (9 ans) et un peu moins cher que New York (11 ans) selon le baromètre de la banque UBS (UBS Global Real Estate Bubble Index 2020). Une situation ubuesque pour un pays qui compte 42% de jeunes qui par définition ont des salaires faibles, quand ils trouvent un emploi. Cette cherté est aussi bien subie que voulue. La bulle immobilière qui s’est formée depuis des années, et accompagnée dans la durée par les autorités marocaine, fait que l’ensemble des facteurs tendent à la maintenir.
Nécessaire refonte
En effet, plusieurs leviers peuvent être utilisés pour baisser les prix de l’immobilier et le foncier qui représente près du tiers des coûts de l’opération de promotion immobilière. Au-delà des aides et autres plans de soutien au logement social ou la classe moyenne (projet mort-né), il y a plusieurs actions qui restent encore inexplorées. Comme démontré plus haut, les droits de mutations restent élevés ainsi que la fiscalité liée au logement, notamment pour les primo-accédants. Une refonte et une progressivité de la fiscalité sont des leviers importants. Il en va de même pour la taxation des logements vacants. Représentant près d’un million d’unités essentiellement dans les centres-villes, l’activation d’une fiscalité de cette niche pousserait non seulement à introduire une nouvelle offre sur le marché, concrétisant une pression à la baisse des prix, mais représenterait une manne fiscale de près de 3 milliards de dirhams, selon l’économiste Driss Effina (voir Economie Entreprises d’octobre 2019 disponible via le QR Code ci-dessus).
Idem pour l’activation du levier locatif, à travers un rééquilibrage de la loi entre propriétaires et locataires pour en garantir la sécurité des deux parties. Cette fluidification attendue des relations entre locataire et propriétaire permettrait d’intégrer l’offre du résidentiel dans la composition des Organismes de Placements Collectifs en Immobilier (OPCI), qui ne semble pas pour le moment intéresser les investisseurs», estime Ahmed Bennani, consultant en immobilier. Bien que permis par la loi, les OPCI dans le résidentiel bloquent, selon de nombreux contacts sollicités par EE, en raison de la loi sur la location qui bien qu’elle ait été amendée en 2013, reste pour les investisseurs pas suffisamment attractive. Sa réforme ouvrirait ainsi la possibilité non seulement de redynamiser le secteur de l’immobilier en créant de la profondeur dans l’offre, mais pourrait aussi permettre de contribuer à la rénovation et la revalorisation des centres anciens. Elle permettra surtout des arbitrages entre achat et location à travers une offre locative moderne et professionnelle comme celle proposée aujourd’hui par certaines compagnies d’assurances ou la foncière Balima à Rabat.
La hantise des baisses des prix
D’autres propositions sont avancées par les professionnels comme la verticalité, notamment la permission de dépasser les 4 étages règlementaires dans le logement social, ce qui permettrait de maintenir les prix du m² à moins de 5.000 dirhams sans aides de l’Etat, ou encore la baisse des taux bancaires dans l’immobilier à travers la garantie de la CCG. Des solutions qui ne semblent pas compliquées à mettre en œuvre, mais qui tardent à voir le jour. A croire que la baisse des prix de l’immobilier apparaît comme un spectre pour les pouvoirs publics. Le retard dans la règlementation des dations en paiement de la part de la banque centrale en est un exemple parlant. Cette réglementation pourrait libérer de grandes quantités de foncier détenues aujourd’hui par les banques. Celles-ci, sont devenues, à la faveur des dations en paiement, selon un très bon connaisseur du secteur, le premier propriétaire foncier du pays.