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Immersion dans la sphère judiciaire

Economie juillet 2020

Immersion dans la sphère judiciaire

Même en période de confinement, le tribunal de commerce de Casablanca a tourné à plein régime pour assurer la continuité de l’activité. Dans les coulisses de ce tribunal leader, la machine est bien rodée.

Il est 8h30 du matin quand le tribunal de commerce de Casablanca ouvre ses portails imposants. Contrairement à l’accoutumée, il n’y a pas grand monde qui défile. A l’intérieur, les choses suivent leur cours et les audiences ont bel et bien démarré. Seule différence, les gestes barrières dès l’entrée dans l’enceinte du tribunal. Avant d’accéder, il est impératif de mesurer la température du corps et de se désinfecter les mains. Ce jour-là, notre visite a coïncidé avec l’arrivée d’une équipe médicale pour effectuer le dépistage aux fonctionnaires du tribunal.
Les RC en ligne explosent
Par ailleurs, il n’est pas étonnant de voir que les visiteurs ne se bousculent pas devant l’entrée puisque bon nombre de services fonctionnent via la plateforme dédiée, mahakim.ma. En effet, bien que l’application ne date pas d’aujourd’hui, le recours aux services proposés était limité et citoyens comme auxiliaires de justice préféraient effectuer le déplacement au tribunal. Mais à quelque chose malheur est bon. La pandémie survenue au Maroc, et qui a imposé un confinement général, a propulsé l’usage de la plateforme pour atteindre, en seulement 3 mois, une apogée. Il est vrai que le tribunal de Casablanca reste le projet pilote en matière de digitalisation de la justice, mais l’utilisation par les intéressés peine à décoller, au grand dam des fonctionnaires. Cependant, suite aux progrès réalisés durant le confinement, plus question de faire la queue pour un service disponible en ligne. Ainsi, certains services s’effectueront exclusivement via la plateforme. Il s’agit notamment de la délivrance du registre de commerce et le certificat J, ainsi que le dépôt des états de synthèse. A noter que depuis la reprise effective du tribunal, le nombre de demandes de certificats s’est élevé à 13.471 entre le 11 et le 30 juin, l’équivalent de 1.000 dossiers, en moyenne, par jour. Durant la même période, les dépôts de synthèse ont atteint 2.281. Cette tendance haussière a été enregistrée en période d’arrêt et s’est poursuivie après la levée du confinement, car il faut signaler que le tribunal de commerce a continué à tourner à plein régime pour traiter les affaires urgentes, à savoir celles qui étaient en délibération et dans l’attente d’un jugement final, les référés, les injonctions de paiement et les saisies-arrêts. «Nous avons mobilisé nos équipes pour ne pas entraver l’économie du pays et garder le même niveau de rendement qu’en temps normal. Pour ce faire, certains fonctionnaires ont assuré leur mission en télétravail et d’autres en présentiel pour statuer sur les affaires urgentes. Pour illustrer le degré d’implication, des registres de commerce ont été délivrés à des heures tardives», précise Khalid Adraoui, greffier en chef au tribunal de commerce de Casablanca. Dans la même optique, les fonctionnaires ont témoigné d’une grande capacité d’adaptation pour maintenir le cap. En effet, un mouvement particulier a marqué cette période. Il s’agit de demandes innombrables pour l’extension de l’activité d’une entité et ce qu’on appelle dans le jargon juridique les modifs de société. Et comme la procédure y afférente nécessite une présence physique, les équipes ont mis les bouchées doubles pour répondre aux requêtes des entreprises dont l’extension de l’activité est d’utilité publique. Ainsi, afin d’accélérer la démarche et éviter de se retrouver avec une armada de personnes devant le tribunal, ce qui risque de mettre en péril la santé des citoyens et des fonctionnaires, la section concernée a procédé à la création d’adresse email dédiée pour réceptionner les requêtes. Après examen du dossier, un rendez-vous est accordé à l’intéressé pour récupérer sa paperasse. Cette solution a permis de traiter plus de 1.200 demandes d’extension. La même procédure a été appliquée auprès des experts assermentés. «Cette alternative a permis à la chaîne de poursuivre son activité en attendant de développer le service en ligne. Je tiens à préciser qu’il existe encore des prestations qui ne sont pas digitalisées et sur lesquelles un travail d’orfèvre est fourni par tous les fonctionnaires du tribunal. Car notre force réside dans le travail en équipe», relate avec fierté Khalid Adraoui. Ceci dit, il déplore le manque d’implication des citoyens dans ces démarches digitales qui sont bénéfiques pour toutes les parties prenantes. Des déplacements inutiles, selon le greffier en chef, sont recensés tous les jours. D’ailleurs, lors de notre visite, nous avons pu l’observer de visu. Et les chiffres corroborent ce constat à quelques exceptions près. Sur la période allant du 11 au 30 juin, les demandes via la plateforme restent timides pour certains services en comparaison avec les affaires enregistrées directement. Cela concerne surtout les saisies-arrêts, les saisies conservatoires, les injonctions de paiement et les référés. Seuls les fonds et la récupération des véhicules ont connu une affluence plus importante via la plateforme. Concernant les difficultés de l’entreprise, le tribunal n’a enregistré que trois demandes. Néanmoins, le greffier en chef s’attend à un rush dès la rentrée vu la conjoncture. Des demandes de redressement, de liquidation ou de sauvetage vont probablement s’accroître, ce qui nécessite une préparation pour gérer le flux.
Encore plus de services électroniques
Certes, la digitalisation du tribunal de commerce a réalisé des prouesses, mais les hauts responsables ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Ils ambitionnent de dématérialiser d’ici la fin de l’année la majorité des services, car selon Adraoui, la volonté d’y arriver ne manque pas. En effet, en faisant le tour des sections, la machine est rodée à l’exercice. Mieux encore, ces dernières travaillent conjointement pour proposer des solutions adaptées et en relation avec la vision globale du département de tutelle. De ce fait, de nouveaux concepts sont en cours de développement tels que l’organisation des ventes aux enchères des titres fonciers et des fonds de commerce en ligne. Et pour y arriver, l’avant-projet de loi relatif à l’usage des moyens électroniques dans les procédures judiciaires doit être adopté. Quoi qu’il en soit, le haut fonctionnaire reste optimiste et s’attend à une adoption incessamment. Mais si le tribunal de commerce, et particulièrement celui de Casablanca, détient une position de leader, c’est simplement parce que son activité représente près de 60% de l’activité juridique à l’échelle nationale. D’où l’intérêt d’une politique de digitalisation et de modernisation des procédures juridiques, entamée déjà quelques années et qui a permis aujourd’hui au tribunal de tenir face à la crise sanitaire. Autre atout et non des moindres, la digitalisation de la justice demeure parmi les facteurs déterminants pour hisser le Maroc dans le classement Doing Business. En effet, la désignation aléatoire en ligne du juge rapporteur, adoptée il y a un peu plus de 2 ans, a valu au Maroc la première place en Afrique du Nord et la 3e dans la région Mena. Dans la même perspective, le greffier en chef a soulevé que les yeux sont rivés sur le tribunal de commerce de Casablanca puisque des inspections récurrentes sont effectuées par des représentants de la Banque mondiale et le Comité européen pour l’efficacité de justice (CEPJ).