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BAD-Maroc THE BAD TRIP

Enquête juillet 2020

BAD-Maroc THE BAD TRIP

Face à l’émergence du continent africain, la BAD est devenue un terrain géopolitique. Dans ce jeu de pouvoir, le Maroc se positionne en acteur incontournable.

Retour à une date symbolique. Créée le 4 août 1963 à Khartoum, au Soudan, avec un capital initial de 250 millions de dollars, la Banque Africaine de Développement (BAD) s’est dotée d’une mission, en l’occurrence la promotion du développement et la réduction de la précarité en Afrique. Par cet acte, le continent, qui se libérait à peine du joug colonial, affiche sa volonté de se réapproprier son destin. C’est aujourd’hui une institution financière à l’africanité proclamée qui a su, au fil des années, se construire une véritable aura de respectabilité. A ce jour, son capital dépasse les 200 milliards de dollars. Il est utile de souligner que cette consécration est le fruit de l’effort conjugué de plusieurs acteurs qui ont soutenu et accompagné ce projet panafricain. Le Maroc figure parmi ses membres fondateurs. Le Royaume Chérifien fut d’ailleurs l’un des acteurs clés qui ont joué le rôle de catalyseur afin que l’établissement de développement prenne forme. «Le Maroc est un pays fondateur, il a accompagné la BAD dans son évolution en souscrivant substantiellement à son capital. A chaque fois que la BAD a procédé à l’augmentation de son capital, le Maroc a répondu présent», atteste Mohamed H’Midouche, représentant résident de la BAD dans plusieurs pays africains (Egypte, Côte d’Ivoire, Sénégal, etc.). Et de renchérir: «Le Maroc a été un acteur qui a beaucoup contribué au succès et au rayonnement international de cette institution».
En effet, le Maroc fait partie des pays africains qui privilégient une intense coopération avec la BAD, au point d’être son premier bénéficiaire. Et ce double positionnement du Maroc par rapport à la banque panafricaine, en tant que 1er client parmi ses pays membres régionaux et 1er partenaire au sein de la communauté de développement, est un indicateur éloquent du dynamisme et de l’exemplarité des relations de collaboration qui les unissent depuis près de 50 ans. Cette confiance mutuelle entretenue au fil du temps a permis à la BAD de contribuer à la modernisation et à la transformation structurelle de l’économie marocaine.

Une banque au chevet du Maroc
La BAD au Maroc, c’est une histoire bancaire de développement. En poursuivant ses cinq grandes priorités, dites «High 5» que sont «Nourrir l’Afrique», «Eclairer l’Afrique», «Industrialiser l’Afrique», «Intégrer l’Afrique» et «Améliorer la qualité de vie des Africains», la Banque panafricaine a accompagné le Maroc dans la réalisation de plusieurs projets d’envergure. Selon l’économiste Mehdi Lahlou, «la banque a financé près de 170 opérations pour un montant de 11 milliards de dollars». Ces financements couvrent différents secteurs, dont l’énergie et mines, l’eau, les transports, l’agriculture, le secteur financier, le développement social… ainsi que l’appui aux réformes majeures, notamment dans l’éducation et la santé. «Cette stratégie que la BAD a soutenue au Maroc porte sur les infrastructures de base», ajoute H’Midouche, précisant que 84% des opérations de la banque sont dédiées aux infrastructures de base de différents secteurs, à savoir l’énergie, les transports, l’eau et assainissement et notamment l’agriculture. La contribution de l’établissement est d’ailleurs omniprésente dans l’application du Plan Maroc Vert, ce qui a permis d’attirer plus d’un milliard de dirhams d’investissements privés dans les contrats programmes filières. Dans le secteur des transports la BAD a également contribué au financement des grands projets, comme celui de la modernisation de l’aéroport de Marrakech-Menara afin qu’il puisse désormais accueillir 3 millions de passagers supplémentaires pour un total annuel de 9 millions. Sans oublier le dédoublement des voies ferroviaires entre Marrakech et Casablanca. La BAD a aussi soutenu la modernisation et l’extension de l’aéroport Mohammed V de Casablanca. Elle est en train de réaliser aujourd’hui l’extension et la modernisation de l’aéroport de Rabat-Salé. Dans le secteur de l’énergie, la success story du programme d’électrification rurale global (PERG) a bénéficié à près de 13 millions d’habitants. L’appui de la Banque a couvert près de 3.300 villages, soit environ 500.000 habitants qui ont été raccordés au réseau national d’électricité. En seulement 20 ans, ce projet a permis de porter le taux d’électrification en milieu rural à plus de 99% en 2018, alors qu’il n’était que de 18% en 1995. La Banque Africaine de Développement a aussi contribué au financement du complexe solaire Noor qui a permis d’accroître la capacité de production de source solaire de 580 MW. Par ailleurs, au-delà des infrastructures, la Banque est également intervenue dans le secteur social, en l’occurrence l’éducation et santé, contribuant ainsi à l’amélioration des indicateurs de développement humain et, partant, à celle des conditions de vie de la population des zones les plus reculées. D’autre part, au-delà des faits illustrant la bonne santé de ce partenariat, il faut quand même rappeler que tout est fait pour entretenir ce climat. «Il n’y a jamais eu de zone d’ombre dans les relations entre le BAD et le Maroc. Comme je vous ai dit, le Maroc a toujours répondu présent à chaque fois qu’il a été sollicité par l’institution. Soit pour contribuer aux augmentations de capital, soit pour soutenir les stratégies et les visions qui sont élaborées par les différents présidents qui se sont succédé, soit pour renforcer l’intégration économique régionale», commente H’Midouche. Et d’ajouter: «le Royaume est un client bancable. Il n’a jamais failli à ses obligations vis-à-vis de ses partenaires financiers internationaux. Au niveau de la BAD, le Maroc n’a jamais enregistré un arriéré d’un jour au niveau du remboursement de sa dette». «Il y a des échéances pour le remboursement au niveau de la BAD. Il y a deux échéances annuelles (1er janvier-1er juillet de chaque année). Le Maroc s’arrange toujours pour faire les virements avec une baisse de valeurs antérieure à la date d’échéance», précise-t-il. De son côté, la banque demeure également à l’écoute du Maroc. Preuve en est que lorsque la Covid-19 s’est déclarée, la banque s’est à nouveau mobilisée en mettant à la disposition du Maroc 264 millions d’euros. L’objectif de ces opérations était d’aider l’Etat dans son soutien à tous les secteurs. «Les relations entre Rabat et la BAD ne peuvent que se développer encore plus et mieux dans le futur. Et avec une implication davantage plus forte de la BAD dans les programmes de relance visant à tempérer les conséquences économiques et sociales résultant des mesures préventives suite à cette crise sanitaire que nous vivons, comme beaucoup d’autres pays africains d’ailleurs», explique l’économiste Mehdi Lahlou.

Quand Rabat venait à la rescousse de la BAD !
Kabbaj et son opération commando. La BAD, comme tout organisme de financement, a eu à faire face à des moments de difficultés qui ont sérieusement impacté son fonctionnement. Ce qui lui a valu la perte de sa notation triple A. Entre 1992 et 1994, les bénéfices de la BAD avaient fondu de plus de 90 millions de dollars, passant de 165,2 millions à 77 millions de dollars. Le décaissement de prêts s’était fixé à 1,4 milliard de dollars en 1994, contre 3,4 milliards en 1991. Par ailleurs, et durant cette même période, le FAD (Fonds Africain de Développement), alimenté par des dons occidentaux et géré par la BAD, subissait également un véritable sevrage. C’est donc dans ce climat assez compliqué que l’ancien ministre marocain chargé de l’Incitation économique, Omar Kabbaj, a été proposé par feu Hassan II pour présider la BAD. C’était en 1995. Pour la petite histoire, il faut rappeler que cette candidature du Maroc avait dans le temps eu le soutien ferme de la France, de la Côte d’Ivoire, du Gabon pendant que les États-Unis soutenaient le candidat du Lesotho, Timothy Thahane. Une élection qui n’aura abouti qu’au bout de plusieurs tours, tellement les tractations étaient intenses entre les deux tendances. Le président étasunien Bill Clinton avait même écrit au roi Hassan II afin que le Maroc jette l’éponge. En vain. Malgré cette farouche opposition, le Marocain Omar Kabbaj fut élu, fortement appuyé par la France. «Kabbaj avait hérité d’une institution dans une situation un peu difficile parce que la BAD, à l’époque, avait perdu son «triple A». Il fallait donc restaurer cette notation internationale. Kabbaj avait trouvé que le Conseil d’administration avait recommandé la mise en place d’un plan de restructuration qui devait aboutir au départ de 221 personnes», commente H’Midouche. Omar Kabbaj a vite obtenu les moyens et le feu vert du Conseil pour se débarrasser de son personnel incompétent et non performant. Durant l’opération, des profils, comme celui du Nigérian Bisi Ogonjobi, durent perdre leur poste de directeur en raison de leur non éligibilité au poste, conditionné désormais à un MBA. Ce dernier était obligé de prendre un congé sabbatique pour aller étudier à l’étranger d’où il est revenu avec un MBA. Une montée en compétence qui lui a permis de retrouver son poste de directeur départemental, et même d’être promu plus tard par Kabbaj au poste de vice-président. Une promotion qui l’avait qualifié pour candidater au poste de président de la BAD, contre Donald Kaberuka. «Omar Kabbaj a également réussi à assainir le portefeuille de la banque, avec à la clé un gain de 2,5 milliards de dollars. Bien que la démarche Kabbaj ait été la cible de plusieurs critiques en interne, le modus operandi de Kabbaj a porté ses fruits. En 1997, il a réussi l’exploit de rétablir la notation du triple A de la banque. Le président Kabbaj a également réussi à augmenter le capital de la BAD», énumère H’Midouche. Notons que son prédécesseur, le Sénégalais Babacar Ndiaye, n’avait pas trouvé le courage d’appliquer les dures réformes préconisées par le Conseil d’administration. Peu enclin au doute, le pragmatique Kabbaj n’a pas hésité longtemps pour faire le job. Sa magistrature n’a pas été sans heurts cependant, notamment avec le personnel, «mais ceci ne l’a pas empêché d’être réélu par acclamation», conclut Mohamed H’Midouche.