Intelaka, gare au faux départ !
En 40 ans, le Maroc a compilé les programmes d’appui aux TPME. Le dernier en date semble réunir les ingrédients pour réussir. Tolérance zéro si l’on veut qu’il s’inscrive dans le nouveau modèle de développement.
C’est la ruée vers les agences bancaires, les Centres régionaux d’investissement (CRI) et les agences Anapec. Dès l’annonce du nouveau programme intégré d’appui et de financement aux entreprises, Intelaka, l’engouement était général. Différentes franges de la population se sont bousculées au portillon pour bénéficier dudit programme. Les interlocuteurs signataires se sont ainsi retrouvés submergés de demandes de renseignements. Et comme le flou régnait au lancement, les intéressés ne savaient plus à quel saint se vouer. Les banques renvoient vers les CRI qui renvoyaient à leur tour vers l’Anapec et vice versa. A croire que l’on est dans un pays où il fait bon d’entreprendre et où le climat des affaires est des plus motivants. Pas si sûr que ça. Interrogés, les intéressés, dossier ou pas à la main, veulent juste marquer le coup. Pire encore, certains d’entre eux ne se gênent pas pour exprimer leur volonté de vouloir leur part du gâteau, et bénéficier, en ces termes, de «l’argent de Sa Majesté». Cet amalgame a porté préjudice au projet. Certains pensent qu’il s’agit d’une subvention et non un crédit qu’il va falloir rembourser à la banque. Ainsi, au niveau des institutions concernées il fallait recadrer le contexte pour faire dissiper l’amalgame. Il est important en effet de signaler que dans le cas d’une entreprise qui a moins de 5 ans, le principal interlocuteur reste la banque. Tandis que pour les porteurs de projets qui ne disposent pas d’une forme juridique ou d’un statut, le CRI est la première interface. Après création, c’est au niveau de la banque que le financement se débloque. Dans le milieu rural, l’intérêt n’est pas moindre, comme nous l’ont confirmé deux grandes banques de la place. «C’est assez spectaculaire pour un démarrage. A ce rythme, je pense que l’on va largement dépasser les objectifs fixés par ce nouveau programme», affirme Soumia Alami Ouali, directeur général adjoint en charge de la banque de la PME à la Banque Centrale Populaire. Même constat auprès des Centres régionaux d’investissement et des agences Anapec. «Nous recevons tous les jours une quarantaine de personnes. Certaines sont bien renseignées sur le programme, d’autres viennent s’informer sur les conditions d’éligibilité ou sur les démarches à suivre pour en bénéficier», nous confie une responsable d’agence Anapec dans une ville de taille moyenne. Idem au niveau des banques qui confirment que l’annonce d’un taux de crédit de 2% dans le milieu urbain et 1,75% dans le milieu rural a créé de la confusion dans les esprits. D’ailleurs, bon nombre de personnes pensaient pouvoir racheter des crédits existants à ce même taux. Mais même après avoir levé la confusion, l’enthousiasme ne faiblit pas. L’initiative est accueillie à bras ouverts et pas que par les porteurs de projets, au point que les banquiers songent également à postuler. «C’est une opportunité à ne pas rater, le programme est tellement avantageux que l’idée d’entreprendre me titille sérieusement», avoue un chargé de clientèle rencontré sur place.
La troisième fois sera la bonne
Saluée par les opérateurs, Intelaka suscite tout de même une certaine méfiance au vu des expériences antérieures. Il s’agit principalement de Moukawalati et du Crédit jeune promoteur. En effet, lancé fin des années 80, ce dernier était le premier programme qui avait pour objectif de stimuler l’esprit d’entrepreneuriat. À l’époque, et conscient de l’inadéquation entre le système d’éducation et les besoins économiques d’un Maroc en pleine industrialisation à la sortie du PAS, Feu Hassan II avait décidé le lancement du Conseil national de la jeunesse et de l’avenir (CNJA). Il confiera alors la mission à un certain Habib El Malki qui s’attelle à la tâche. Trois ans plus tard, le projet de loi de Finances apportera une innovation majeure avec la création du Fonds spécial pour la promotion de l’emploi des jeunes doté d’un budget d’un milliard de dirhams. Somme énorme à l’époque surtout rapportée au 6 milliards de dirhams de l’actuel Fonds d’Intelaka.
Pour le Crédit jeune promoteur, l’affluence était telle que la porte s’est ouverte aux métiers libéraux, et c’est ce qui a en grande partie contribué au désastre, selon Abdellah El Fergui, président de la confédération marocaine de la TPE-PME. «Certes, en prenant compte du volume du programme, l’échec était de taille, mais pour ne pas parler que de marasme, le programme a tout de même permis à des jeunes porteurs de projets issus d’un milieu modeste de participer au développement du tissu économique et tenter l’expérience. D’ailleurs, certaines d’entre elles ont été couronnées de succès», explique-t-il. Il est vrai que les 1.900 dossiers jugés contentieux ont plombé l’atmosphère, mais le programme a tout de même permis la création de 12.000 entreprises et de près de 39.000 emplois. Bon nombre des bénéficiaires constituent aujourd’hui la classe moyenne du pays, surtout après l’amnistie de l’État accordée 30 ans plus tard.
Même son de cloche auprès de Jamal Belahrach, président de la fondation Zagora et ancien président de la commission PME à la CGEM, qui pour sa part, pointe du doigt la problématique de la PME au Maroc qui n’a été assujettie à aucun pilotage palpable. «Les expériences du passé ont causé plus de dégâts humainement parlant que de création de croissance ou de valeur, l’échec était cuisant. Le financement n’est pas un graal en soi. Il faut créer l’écosystème adéquat et les conditions systémiques y afférentes», atteste-t-il. In fine, ces professionnels s’accordent à dire que le souci majeur du programme Intelaka consiste à éviter les erreurs du passé. Effectuer un encadrement en amont et un suivi en aval s’avère primordial, comme corroboré par une source proche du dossier. En effet, du laxisme prédominait dans les programmes précédents. Une fois le crédit accordé, aucun suivi pour vérifier la conformité du financement du projet initial ne se réalisait. Ce qui a donné naissance à des détournements. Le promoteur s’est servi du crédit octroyé à des fins personnelles. Ces abus ont également été perpétrés par de grandes entreprises industrielles, qui à la base n’étaient pas concernées par le programme. Des excès qui seraient aujourd’hui beaucoup plus difficiles à commettre avec les nouveaux systèmes d’information des banques et de l’Administration.
Pour Moukawalati, lancé en 2006, le constat est pire. Le manque d’un cadre restrictif a conduit à l’échec. De plus, il n’existe, à aujourd’hui, aucune évaluation qu’elle soit qualitative ou quantitative sur les programmes précédemment lancés. Dans ce même registre, la question relative aux erreurs du passé a été soulevée à Bank Al-Maghrib. Une sorte de garde-fou qui permet d’éviter les erreurs du passé et d’évaluer le dispositif de façon permanente. Dans sa circulaire dédiée à ce nouveau programme, BAM exige des banques de soumettre des reportings périodiques.
Garde-fou
Bien que les TPE représentent 95% du tissu économique national, elles ne bénéficient pas pour autant d’un intérêt particulier, encore moins d’une écoute attentive de la part des banques. Comme elles ne disposent pas de garanties solides, la banque fait fi des attentes de cette catégorie professionnelle. Il a bien fallu que la décision émane de la plus haute autorité pour qu’elles s’exécutent. Le taux annuel effectif global préférentiel de 2,3%, en additionnant les taxes comprises de 10% sur 2% hors taxes, et l’assurance décès invalidité de 0,1%, et la participation à hauteur de 3 milliards de dirhams sur 3 ans, ont été difficiles à digérer. Alors que cette participation représente peanuts face aux encours des crédits. Que valent en effet 1 milliard de dirhams par an rapportés aux 367 milliards de dirhams d’encours du secteur bancaire accordés aux sociétés non financières privées (0,27%)? De même la Caisse centrale de garantie (CCG) endosse 80% des garanties. Les banques n’auront à supporter, en cas d’insolvabilité, que 20% du collatéral sur lequel elles exigent déjà de l’emprunteur un nantissement sur le fonds de commerce ou sur les équipements, en fonction de l’activité. «Ce taux a été fixé à un niveau suffisamment élevé pour que les banques se suffisent des éléments liés au projet, permettant ainsi de financer tous les projets affichant une probabilité satisfaisante de succès», insiste Hicham Zanati Serghini, directeur général de la CCG. Quant à la rentabilité des banques avec ce taux historiquement bas, les avis divergent. Pour Soumia Alami Ouali de la BCP, le raisonnement n’est pas dans cet esprit de caution. «Ce qui nous importe, c’est de faire en sorte de financer les projets qui ont la plus forte probabilité de réussir et l’acharnement du porteur du projet». D’autres affirment que le risque demeure élevé malgré les garanties et qu’il s’agit d’un produit à marge quasi nulle. En revanche, la rentabilité peut se rattraper sur des produits annexes, mais l’intérêt est plutôt social. Pour sa part, l’économiste Najib Akesbi insiste que les banques sont gagnantes à tous les coups. Il attire l’attention sur le fait que les banques marocaines vivent de 60 à 65% de dépôts en compte courant non rémunérés.
Par ailleurs, l’effet de levier fixé entre 6 et 7 fois par la CCG prête à confusion. Pour Serghini, l’effet de levier a pour objectif de déterminer les besoins en dotations financières, compte tenu du risque attendu. La même démarche est retenue pour l’ensemble des instruments de garantie et consiste à projeter la sinistralité selon les observations historiques et en utilisant des modèles statistiques. Ce niveau de sinistralité est par la suite utilisé pour dériver les besoins en ressources. A noter toutefois que contrairement à la banque conventionnelle, la banque participative n’est pas concernée par ce programme, puisqu’elle ne bénéficie pas de refinancement auprès de BAM et la possibilité de se faire garantir par la CCG n’est pas encore d’actualité.
Si malgré tous ces défis, les banques ont bel et bien adhéré à Intelaka et se sont mobilisées pour proposer des offres, c’est qu’il y a quelque chose à gagner, ne serait-ce que la paix face à la problématique des TPME. En effet, toujours pointés du doigt pour leur frilosité à financer un segment dont le risque n’est pas maîtrisable, les cols blancs du GBPM ont consenti une opération de com’ publique sous l’impulsion de la volonté royale… qui pourrait au final s’avérer une opportunité fructueuse digne de représenter le véritable lancement pour ces petites structures et inverser ainsi la tendance.
«L’État a encore offert aux banques un marché sur un plateau d’or»
La réticence du secteur bancaire a créé la polémique. Najib Akesbi, économiste, éclaircit la situation.
A votre avis, quelles erreurs faut-il éviter pour que ce programme réussisse ?
Le véritable problème aujourd’hui c’est qu’on passe d’un programme à un autre comme si de rien n’était, sans prendre la peine d’apporter une évaluation critique et objective sur les failles qui ont contribué à l’échec des programmes précédents. Certes, l’on parle d’accompagnement, mais encore faut-il qu’il soit utilisé à bon escient. Soyons clairs, il existe bien des problèmes qui entravent l’investissement dans notre pays tels que la bureaucratie, la corruption, l’inadéquation de la formation et j’en passe. Si l’on n’accompagne pas le jeune à monter son projet en bonne et due forme, le risque de mortalité reste relativement élevé. Pour moi, effectuer une étude de marché et de faisabilité dans des conditions de probité est impératif. L’accompagnement doit aller crescendo.
BAM a communiqué sur un effet de levier de 6 à 7 fois pour ce programme. Sur quelle base a-t-il été défini ?
Il faut prendre en compte plusieurs paramètres pour établir un effet de levier. Plusieurs éléments d’analyse déterminent à combien on peut l’estimer, notamment en fonction de l’activité de l’entreprise. Je vais vous donner un exemple, 43 milliards de dirhams d’investissements publics y compris les subventions ont généré 60 milliards de dirhams d’investissements privés, ce n’est même pas 1,4 d’effet de levier. C’est pour vous dire qu’à mon égard il s’agit d’un chiffre politique et un effet d’annonce pour amuser la galerie.
Quid de la participation des banques ?
La manière avec laquelle les choses étaient présentées au départ, c’est limite dire que les banques allaient faire de la charité. Soyons sérieux, elles ne risquent pas de tomber en faillite. Il faut signaler une chose qui ne figure pas dans les analyses. Les banques marocaines vivent entre 60 à 65% de leurs ressources gratuitement. Ce sont des dépôts en compte courant non rémunérés. Il n’y a qu’à voir les profits réalisés tous les ans qui atteignent entre 12 et 15 milliards de dirhams, en dépit de la conjoncture où le taux de croissance stagne à 2,5%. A mon sens, l’État leur a encore offert un marché comme la facturation de la TVA ou le paiement de la vignette qui leur a été offert sur un plateau d’or. Et encore une fois, c’est l’État qui prend le risque. L’interprétation du message du roi est claire. C’est une manière de leur dire ça suffit.