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Un ministre qui fascine

Economie mars 2020

Un ministre qui fascine

Propulsé à la tête de l’un des ministères les plus techniques, Mohamed Benchaâboun séduit à plus d’un titre. Cet ingénieur télécoms au profil très discret a bien su percer, bien au-delà des strates du gouvernement. Fin connaisseur de ses dossiers, l’argentier du royaume, la cinquantaine avancée, a su concilier entre efficience opérationnelle et tact politique. Portrait.

C’est l’une des dates charnières dans l’agenda du ministre de l’Économie et des Finances. Le 23 octobre 2018, à la salle de conférences de la tutelle, Mohamed Benchaâboun, à moitié absorbé par ses réflexions, a toute l’attention médiatique. L’esprit alerte, le regard déterminé, il défend ses convictions libérales dans le cadre du PLF 2019 face à une audience de journalistes captive. Dans un discours tranchant, exempt de figures de style, il joue carte sur table: «Moi, je viens de l’univers de la banque et quand je m’engage sur un dossier je l’exécute». Sur la forme, les sorties de Benchaâboun se ressemblent trait pour trait. Depuis qu’il est aux commandes, l’argentier du Royaume est constamment sur le qui-vive. Est-ce le poids de la responsabilité, de l’obligation de résultat, ou le tintement toujours retentissant des casseroles de son prédécesseur? 

Dans les faits, nul ne peut nier qu’après un an et demi de prise de fonction, cet expert des rouages bancaires a su concilier deux doctrines, l’efficience opérationnelle et le tact politique. Un changement opéré d’abord en interne où il a pu transposer son style de management aux départements de l’Économie et des Finances. Un climat de connivence semble d’ailleurs unir ses troupes comme en témoignent son entourage, ses collaborateurs qui, interrogés à son sujet, lui font l’honneur de le considérer «l’homme de la situation compte tenu de la conjoncture», celui qui «maîtrise ses dossiers», «un monsieur qui a le sens aigu des responsabilités»… Des avis approximatifs à sens unique certes, mais qui dessinent les contours d’une administration soudée.

Le grand ménage

Si ce grand commis de l’État a réussi à fédérer ses équipes autour d’une vision globale, le vrai grand ménage est à mener dans la sphère économique. Appelé à la rescousse pour donner un coup de fouet aux réformes suite au limogeage de Mohamed Boussaid, l’affectation du ministre s’est déroulée sans anicroche. Mais elle intervient, pour rappel, dans un contexte économique et social particulier. Benchaâboun vient en appui à un exécutif en manque de dynamisme qui cumule les retards sur les réformes économiques annoncées, en bisbille avec le privé, suite à la gestion calamiteuse du dossier du boycott. 

Au lendemain de son intronisation, les dossiers épineux à traiter donnent le tournis: PLF 2019, seconde phase de flexibilité, réforme fiscale, nouvelle loi sur les PPP, restructuration du pôle public… Et ce n’est pas tout. Il est également attendu sur d’autres fronts qui ne relèvent pas de son champ de compétence, notamment sur la promotion du made in Morocco. Au cœur de l’automne 2018, il conduit la délégation marocaine à Berlin aux «Compact with Africa», une rencontre entre chefs d’État en marge du G20. L’occasion pour le ministre de faire valoir les atouts des «secteurs émergents de l’automobile, de l’aéronautique, de l’électronique et des énergies renouvelables où l’Allemagne dispose d’un savoir-faire et d’une avance technologique», comme le souligne à l’époque un communiqué de son département. Le sommet réunissant chefs d’État et de gouvernement est immortalisé par une photo où l’on aperçoit un Benchaâboun effacé qui se tient à l’écart de l’épicentre représenté par la chancelière Angela Merkel, à sa droite, Paul Kagame, président du Rwanda – premier berceau africain du groupe Volkswagen dont MHE espère la venue au Maroc depuis 2011- et sur sa gauche, Abdel Fattah al-Sissi, débirentier de Berlin. S’il s’est fait plutôt discret à l’international, c’est à son retour qu’il entame la mise en œuvre des grandes lignes de ses réformes.

Le ministre doit mouiller la chemise pour relancer une économie marquée par le ralentissement de la demande interne sur fond d’inégalités sociales. Son intervention prend moult formes. Méthodique, avant de mettre les mains dans le cambouis, il s’attarde sur les difficultés structurelles qui minent le bon fonctionnement du circuit économique. Après les crédits de TVA remboursés dans leur intégralité, c’est au tour des délais de paiement. Le ministre s’engage à faire en sorte que l’État respecte sa signature. Les effets de synergies avec le trésorier du Royaume, Noureddine Bensouda, permettent de prendre le dessus sur un fléau traîné comme un boulet par les gouvernements antérieurs, et dont l’impact sur la croissance et la circulation du flux monétaire est non négligeable. D’ailleurs, Benchaâboun peut compter sur le soutien du patron de la TGR quil compte parmi son réseau de puissants alliés à tous les niveaux de l’État. Pari relevé haut la main puisqu’en novembre 2019, le département des Finances publie les listes des bons et mauvais payeurs -courts et longs payeurs dans le jargon de la tutelle- et promet des sanctions pour inciter les entreprises publiques à se conformer à la loi. Une mesure applaudie par les acteurs marchands et «pour la première fois, le public paie mieux que le privé», concède El Mehdi Fakir, économiste et expert-comptable.

Posture atypique

Lorsqu’il s’agit de commenter le bilan économique de l’exercice 2018, Benchaâboun adopte une posture qui contraste fondamentalement avec les prises de position de ses prédécesseurs qui faisaient sans cesse les louanges de l’économie. Bien qu’il se montre «optimiste» quant aux perspectives à venir, il n’hésite pas à pointer du doigt l’aggravation du déficit budgétaire et à commenter le niveau de croissance faible. En optant pour la transparence, l’ex-PDG de la Banque Populaire veut éviter de se retrouver, à son tour, dans le viseur de Driss Jettou. En réalité, il prépare le terrain à la mise en œuvre d’une politique d’austérité qui ne dit pas son nom, et qui n’est, après coup, que le prolongement d’un cap fixé lors des années 90 avec le Plan d’Ajustement Structurel. Au moment des préparatifs du PLF 2019, intervient alors le premier duel face au pouvoir législatif. Benchaâboun force le trait. C’est le cas de le dire lorsqu’il s’agit de ressortir le dossier de la privatisation rangé au fond des tiroirs depuis 2008. La gestion active du portefeuille des participations de l’État et les opérations de privatisation qui peuvent en résulter est bénéfique au budget et à l’économie, juge le ministre. Pour renflouer les caisses de l’État, une liste des EEP éligibles est dressée. Chacun est appelé à mettre la main à la poche et à se débarrasser des actifs qu’il détient et qui n’ont rien à voir avec son cœur de métier. Un véritable coup de pied dans la fourmilière qui pousse les administrations à se bouger.

Rationaliser au dirham près!

En première ligne de la bataille qui oppose l’exécutif au législatif, les parlementaires découvrent une nouvelle facette, et un homme capable de dire «Non», de défendre ses idées, de prendre des décisions à contre-courant. Pour le PLF 2020 cette fois-ci, une série d’arbitrages budgétaires sont à effectuer pour redonner du pouvoir d’achat aux citoyens et favoriser une redistribution équitable des ressources. Dans les échanges qui précèdent l’adoption définitive de la loi, la censure du ministre est sans équivoque. Il brandit l’article 77 de la Constitution à 3 reprises. Pour les retraits des pensions de la liste des revenus salariaux soumis à l’IR, proposé par les conseillers et rejeté par le ministre en raison de son coût onéreux (1 milliard de dirhams). Même la composante R&D n’échappe pas du laminage à froid de ce grand technicien puisque le deuxième veto concerne l’amendement touchant aux allocations de recherche scientifique versées aux enseignants chercheurs. L’autre refus catégorique a été apposé à la proposition d’augmentation des postes budgétaires (1.000 postes) au profit du ministère de la Santé. Pour rappel, l’article 77 de la Constitution autorise le Parlement et le gouvernement à veiller à la préservation de l’équilibre des finances de l’État et la possibilité pour le gouvernement de s’opposer à tout amendement qui «aurait pour conséquence de diminuer des ressources publiques, ou d’aggraver des charges publiques». Message en filigrane: rien n’échappe à la rationalisation des dépenses de l’État.

En définissant pas à pas le cap de sa politique économique, cet officier décoré par le Roi (Ouissam Al-Arch de l’ordre de chevalier) démontre qu’il n’appartient à aucun clan. Face au patronat, il revient à la charge sur les enjeux fiscaux et insiste sur le fait qu’il ne faut pas confondre réforme et abattement d’impôt. «Si le débat entre le gouvernement et le patronat doit être réduit à la fiscalité, c’est qu’il y a un problème», martèle Benchaâboun. Selon lui, les réformes ne peuvent être réduites à un simple exercice de baisse de la fiscalité. De quoi augurer d’un climat tendu avec la CGEM qui n’apprécie pas de dialoguer sans impliquer sa grille des taux d’imposition.

Discret, mais pas facile à intimider, le très pugnace ministre parvient au fil des mois à bien verrouiller son périmètre. Ce qui lui vaut une troisième casquette, celle de la réforme administrative qui a été adjugée à son ministère. «De par son expérience à la Banque populaire, il sait comment l’administration doit répondre aux attentes des Marocains», commente El Mehdi Fakir.

Ascension discrète

Voilà des années que Mohamed Benchaâboun s’y prépare. Dans l’ombre, c’est sa manière. Sans faire de bruit, sans se confier à la presse comme l’ont fait un certain nombre de ses pairs Rnistes. Loin d’être un causeur mais d’une vaste érudition sur les dossiers dont il assure la gestion, l’argentier du royaume, la cinquantaine avancée, ne compte pas s’offrir une petite pause. Il n’est pas le genre à aimer le contact avec les gens, leur taper dans le dos, et ne fait rien pour casser son image de «techno». A ce propos, les conjoncturistes étaient à cent lieues de penser qu’un technocrate assurerait la relève de son prédecesseur.

Le CV fourni, ce lauréat de l’École nationale supérieure des télécommunications de Paris a pu embellir son statut au fil des responsabilités accumulées. D’abord dans le privé, au sein de la direction du groupe Alcatel Alstom au Maroc. En 2003, il est nommé par le Roi en tant que directeur général de l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), poste qu’il assure jusqu’en février 2008. C’est sous son égide qu’une troisième licence est octroyée à Inwi, filiale de la holding royale Al Mada. Un dossier mené de main de maître qui renseigne sur l’efficacité et la discipline du bonhomme. Sa nomination en tant que PDG de la banque à l’emblème historique du cheval vient juste après. L’établissement, à mi-chemin entre la banque commerciale et publique, est d’une portée symbolique puisqu’il a vu le jour peu de temps après le rétablissement du dirham comme monnaie nationale à l’aube de l’indépendance. Plus d’une décennie à la tête de la BCP, il intègre le gouvernement. Son parcours en fait le parfait candidat pour la gestion des deniers publics, et dans la mesure où les intérêts privés du prétendant ne menacent pas l’intérêt public.

En l’état actuel, dresser le bilan de son mandat ministériel serait aller vite en besogne. Mais le serrage de ceinture généralisé porte ses premiers fruits. Si les opérateurs ne plaident pas tous en faveur de l’amélioration du climat de confiance, le Maroc parvient à se hisser au 53e rang (7 places gagnées) au classement Doing Business 2020 de la Banque mondiale.