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PPP Santé, une équation à plusieurs inconnues

Dossier février 2020

PPP Santé, une équation à plusieurs inconnues

Malgré les maux dont souffre le secteur de la santé publique, les opérateurs privés voient dans les partenariats public-privé une réelle opportunité de développement à travers cette collaboration commune. Quelques travers entachent toutefois le processus, quil s’agisse de ressources humaines, de la question de la rentabilité ou encore de la technicité des dossiers à monter. Éclairages.

Depuis près d’un an, le recours aux partenariats public-privé (PPP) fait l’actualité. Suite à l’annonce officielle de la mise en place de ce programme, un projet de loi-cadre 46-18, ayant vocation à structurer les procédures en termes de PPP, a vu le jour. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le texte de loi a été présenté à la deuxième Chambre après avoir été adopté en première lecture par les représentants. Et le timing de la mise en œuvre de ce dispositif est pertinent. En effet, en manque de cash dans ses caisses, l’État fait du pied aux investisseurs privés pour les projets structurants. Et toutes les pistes sont bonnes à explorer. Le secteur de la santé n’est d’ailleurs pas en reste. Dans le nouveau plan 2025, présenté en 2018 par le ministre de la santé Anas Doukkali, c’est un investissement de 24 milliards de dirhams qui est prévu pour la mise en forme du secteur, dont 14 milliards alloués à l’amélioration de la capacité de l’offre hospitalière à travers la construction ou la rénovation d’hôpitaux. Mieux encore. Aux dernières nouvelles, Khaled Aït Taleb, ministre de la Santé, serait en train d’étudier la possibilité de lancer la construction de 25 nouveaux hôpitaux en contrat PPP. Cette nouvelle a attisé les appétits des opérateurs BTP qui se bousculent au portillon pour se conformer aux procédures. L’acharnement est palpable et chacun souhaite arracher sa part du gâteau. Premier en lice, l’opérateur TGCC, déjà rodé à l’exercice puisqu’il a accompagné les chantiers des CHU de Fès, Marrakech et d’Agadir (en construction) ainsi que l’hôpital Cheikh Zaid à Rabat et le centre d’oncologie Mohammed VI à Casablanca. Selon une info de Maghreb Confidentiel du 23 janvier, Mohamed Bouzoubaa, patron de TGCC, aurait créé récemment BFO Santé, une structure dédiée à la construction, à l’équipement et l’aménagement d’infrastructures de santé. Contacté à plusieurs reprises par Economie Entreprises, le groupe n’a pas souhaité se prononcer, préférant mettre en avant le côté «discret» de l’entreprise. Cette anticipation, un autre opérateur nous la confirme. Hamza Kabbaj, directeur général de SGTM,  nous a confié avoir «eu recours à un cabinet spécialisé qui nous accompagne dans notre démarche de préparation à ce genre de contrats». Même son de cloche auprès de Jâafar Heikel, professeur épidémiologiste et PDG de Gimes, société de gestion des établissements de soins… dans laquelle TGCC est représentée!

Les failles du système

Mais même si officiellement une source au ministère de la Santé nous a confirmé qu’aucun appel à manifestation en format PPP n’est dans le pipe, l’appétence pour de nouvelles formules de financements et de gestion est réelle. C’est le cas par exemple du contrat de lease-back conclu entre le ministère de l’Economie et la CMR concernant 5 CHU pour un investissement total de 4,5 milliards de dirhams. Malgré ces progrès, des professionnels du secteur privé restent sceptiques quant à la concrétisation de ce projet d’envergure et dont l’expertise est de mise.

A l’unanimité, la pénurie des ressources humaines demeure un handicap. Des démissions de blouses blanches en masse, des départs à la retraite, des conditions de travail laissant à désirer, bref, un tas de problématiques qui demeurent sans solutions apparentes.  «L’objectif à travers le recours au PPP est d’améliorer l’accès aux soins et la qualité de service, or, aujourd’hui, les différentes unités de santé tournent à effectif très réduit. A mon avis, pour que la roue tourne, il est impératif d’assurer un équilibre entre l’offre et la demande», témoigne Charif Chefchaouni Mountassir, professeur en chirurgie et consultant. Malgré l’élaboration de moult plans d’actions relatifs au redressement de cette situation, le manque continue de persister (Voir article 2 du dossier).

Et les professionnels du privé ne sont pas au bout de leurs peines. D’autres inquiétudes les tourmentent. Il s’agit notamment de l’incapacité du département de tutelle à maîtriser l’aspect technique de ce genre de partenariats. «De par des expériences de collaboration avec le secteur privé par le passé, des difficultés sont survenues suite à la non maîtrise des outils techniques dans le programme qui a été défini au préalable», déplore Jâafar Heikel. En effet, dans ce cas de figure, étant le soumissionnaire du projet, le département devrait disposer de compétences requises pour définir les besoins, fixer les conditions et les modalités d’assouplissement en matière de processus d’évaluation préalable, tel que stipulé dans la loi relative aux PPP. Le ministère d’Aït Taleb dispose-t-il de l’expertise requise pour identifier techniquement les besoins? (Voir article 3 du dossier).

La rentabilité fait défaut

Autre crainte, la rentabilité. Les spécialistes insistent sur la nécessité de disposer d’une stratégie médicale permettant d’élargir la couverture sociale à toutes les catégories, pour que le rapport gagnant/gagnant soit respecté. Un constat corroboré par l’IFC (International Finance Corporation). Xavier Reille, directeur de l’IFC pour la région Maghreb, développe que dans de nombreux pays, le système de santé est mixte: les patients peuvent être traités dans des établissements publics, ou dans des établissements privés financés par le public (assurance ou paiement assuré par l’État selon des montants définis par acte médical). Pour que cela fonctionne, l’autorité publique doit établir les besoins en services de santé, définir des normes de qualité et conclure des contrats types avec les opérateurs de santé. Les contrats de PPP permettent d’amorcer cette dynamique. Toutes les règles de service public, de qualité, de rémunération et de contrôle peuvent être définies contractuellement, pour une durée qui dépend de l’investissement à fournir. Il ajoute que la couverture santé universelle ne peut devenir une réalité que si les acteurs publics et privés de la santé travaillent en plus étroite collaboration, notamment pour les soins de santé primaire, l’accès aux médicaments, aux vaccins et aux services de diagnostic.

Toutefois, les partenariats public-privé sont structurés de manière à permettre à l’Etat de se recentrer sur les politiques publiques. Il devrait également permettre, en dehors de bénéficier d’une expertise des opérateurs privés, de disposer d’une meilleure visibilité sur les engagements budgétaires à long terme. Les montages en PPP tiennent compte des objectifs de rentabilité pour le partenaire privé, et la sélection se fait au mieux-disant, ce qui permet à l’État d’obtenir les meilleures conditions économiques par le jeu de la concurrence. Les obligations de performance sont, de plus, imposées et contractualisées ex ante.