L’immobilier, Veut faire peau neuve
Les promoteurs immobiliers et développeurs font plus que jamais face à un tournant décisif, qu’ils ne doivent rater sous aucun prétexte. S’adapter ou mourir, c’est le dilemme qu’ils doivent résoudre. Une situation qui ne va pas sans impacter leurs modèles économiques. Ceux-ci sont d’ailleurs en train de muter pour mieux coller à la réalité et font preuve d’innovation. Cette métamorphose se heurte tout de même à quelques contraintes, en l’occurrence réglementaires.
Après l’effervescence des années 2000, le secteur de l’immobilier se réveille depuis quelques années sur d’énormes difficultés. Le boom n’est qu’un souvenir lointain. Au vu et au su de tous les opérateurs, le secteur s’est installé dans une léthargie inquiétante. Chute des transactions, flambée des prix, resserrement des crédits… tant de maux qui poussent investisseurs locaux et étrangers à changer leur fusil d’épaule. Les difficultés qui battent leur plein dans les grandes villes s’étendent depuis quelques années vers les zones de petite et moyenne tailles. D’après les professionnels, le secteur est entré dans une sorte d’hibernation pour différentes raisons (…) à leur tête la réorientation de la demande. Nombreux sont les indices qui montrent que celle-ci est en train de prendre une nouvelle direction. Apporte-t-elle l’effet de levier escompté ? C’est là où divergent les avis des professionnels.
Au tout commencement…
Le secteur de l’immobilier marocain aurait connu deux périodes d’euphorie, selon Anass Berady, directeur associé d’Aby Finance. La première remonte aux années 90 et précisément lors de la guerre du Golfe (1990), durant laquelle plusieurs ressortissants de cette région ont commencé à acheter des biens immobiliers au Maroc. Ce fut une période qui a permis l’émergence de nouveaux promoteurs immobiliers, dont plusieurs avaient péri avec la fin de cette parenthèse de l’histoire du secteur. «Il faut dire aussi que les promoteurs qui avaient disparu n’avaient pas su anticiper le retournement de tendance ni à s’y adapter», tient à éclaircir Berady. La deuxième période euphorique est connue de tous puisqu’elle est plus récente. Il s’agit de ce qu’on a qualifié de boom des années 2000. «Dès le début de ces années, le Maroc a vécu une démocratisation des crédits et les taux commençaient à baisser rendant l’accès au crédit immobilier plus facile», précise le directeur associé d’Aby finance. Au cours des années 90, le crédit était très «sélectif», en raison de la spécialisation des banques – seuls CIH et la BNDE (disparue depuis, NDLR) accordaient des crédits immobiliers- mais aussi de la délimitation des montants à accorder par Bank Al-Maghrib. L’ouverture opérée au début des années 2000 avec l’universalisation des banques a créé une nouvelle dynamique. «A l’époque, Wafa Immobilier, filiale de Wafa Bank, émergeait et avait commencé à baisser les prix. Elle avait même introduit les taux variables, qui n’étaient pas imaginables à l’époque», souligne Berady. Inscrites dans cette mouvance, les banques commençaient à innover et à donner accès rapidement au crédit à des taux intéressants, raconte la même source. Grâce à cette dynamique, la demande est devenue supérieure à l’offre. Du coup, «dès qu’on commençait à construire son immeuble, la demande était systématique», s’accordent à affirmer plusieurs spécialistes que EE a interpellés. Ainsi, de l’avis partagé des professionnels, le promoteur n’avait besoin ni de techniques de commercialisation ni à en développer. La vente qui coulait de source était soutenue par le phénomène de la spéculation. «Dans la tête des Marocains l’immobilier va toujours augmenter. Ils se disent qu’ils vont acheter au bas du cycle et revendre dans une année ou deux. Et on voyait parfois chaque jour les prix des appartements qui augmentaient, tellement il y avait de la demande», explique Berady. C’est ce qui a engendré une effervescence de tout le marché. Il suffisait de communiquer sur l’existence d’un projet pour qu’il s’écoule tout seul. Mais, qu’est-ce qui a renversé la vapeur?
Le retournement de tendance
Avec une faible création des ménages et la stagnation de leurs revenus, 10 ans ont été suffisants pour que les crédits aux acquéreurs particuliers solvables atteignent le point de saturation. «Sans oublier que les banques ne financent que 70% à 80%. Dans le cas d’un appartement de 100 m2 à Casablanca à 12.000 dirhams le m2, la banque va prêter 900.000 dirhams ou au mieux 1 million de dirhams, le client doit encore mettre 200.000 dirhams de sa poche. Or, le Marocain n’a pas spécialement de liquidité», souligne Kevin Gormand, directeur général de Mubawab. Celui-ci déplore au passage l’envolée des prix des biens y compris dans les quartiers populaires, qui exigent de l’acquéreur de gagner 15.000 dirhams afin d’être éligible au crédit. Conséquence : la demande s’est raréfiée. Aujourd’hui, dans tout le royaume on enregistre seulement 90.000 à 100.000 transactions par an, selon Kevin Gormand. «A Casablanca, le stock des appartements à la vente de 1,5 million de dirhams à 3 ou 4 millions de dirhams est énorme, alors que pour les appartements entre 500.000 dirhams et 900.000 dirhams -pour lesquels il y a une forte demande- il n’y a presque plus de stock», fait constater Gormand pour souligner le poids que représente aujourd’hui le prix dans la décision d’achat. Abondant dans le même sens, Omar Berrada, DGA de Yasmine Immobilier, pointe du doigt l’inadaptabilité de l’offre à la demande. Il explique que «parmi les facteurs de la morosité du secteur de l’immobilier, il y a, sur certains segments, une offre trop abondante. Il y a aussi le fait que les acquéreurs ne trouvent pas le produit qu’ils recherchent (emplacement, concept, qualité) pour le budget dont ils disposent. Par ailleurs, les investisseurs ne sont pas en confiance et ralentissent leur décision d’achat».
Tout au ralenti
Sur le registre des difficultés du secteur, un amer constat est revenu en boucle sur la bouche des professionnels en particulier à l’intérieur des cabinets d’architectes : «Le rallongement du temps de développement des projets». «Depuis trois ou quatre ans maintenant nous connaissons un temps de développement très long», affirme un architecte sous couvert d’anonymat.
Et de souligner que «dans les années 2010, entre le moment où le client rentre chez nous avec un projet et un terrain ou une idée en tête, et le moment où l’opération voit le jour, il s’écoulait entre 4 et 8 mois maximum selon la taille du projet. Actuellement, ce temps de développement a été multiplié par 4 ou 5», déplore la même source. Ce rallongement de temps a plusieurs raisons à leur tête l’attentisme qui ponctue, aujourd’hui, l’action des promoteurs puisqu’ils n’ont pas une vision claire sur leurs marchés. «Ils sont aussi beaucoup plus prudents par rapport aux ventes prévisionnelles de leurs biens, de ce qu’ils vont développer. Du coup, ils prennent plus de temps», détaille notre architecte. «Il y a aussi les procédures bancaires qui viennent rallonger la durée des projets lorsqu’ils sont financés par la banque, sans compter le volet administratif qui est très pénalisant pour les promoteurs. En effet, les procédures d’autorisation prennent un temps considérable», a-t-il poursuivi.
A la recherche d’alternatives
Les promoteurs aujourd’hui cherchent des alternatives sur des projets beaucoup plus courts parce qu’ils doivent absolument valoriser leur foncier. D’autant plus qu’ils doivent payer des taxes pénalisantes sur le foncier «en sommeil» en fonction de sa taille. De même, pour s’en sortir, les promoteurs «phasent» leurs projets, c’est-à-dire les découpent en plusieurs tranches. Le recours à cette approche par le passé avait pour raison de ne pas se laisser bousculer par les ventes et de faire des permis d’habiter partiels afin d’écouler le projet partie par partie. «Actuellement, le recours à cette approche se fait pour des raisons financières, mais aussi d’incertitude», souligne l’architecte.
Selon Mohamed Ben Ouda, directeur général du groupe Palmeraie développement, «aujourd’hui les promoteurs qui ont des fondamentaux solides, une situation financière saine, que ce soit en matière de taux d’endettement, en matière de solvabilité, ou de créances clients, survivront davantage». C’est parti pour la sélection naturelle !