fbpx

Philip Morris Maroc, la somme des menaces

Entreprises mars 2019

Philip Morris Maroc, la somme des menaces

Entre hausse des taxes, concurrence plus acharnée et diffusion d’une enquête sur la toxicité qui risque de ternir son image, le cigarettier Philip Morris Maroc fait face à une multitude de risques. Arrivera-t-il à tirer son épingle du jeu ?

Avec le relèvement du taux minimum de perception sur les cigarettes par le gouvernement, Philip Morris Maroc affronte une montée de la concurrence puisque ses compétiteurs sur le segment premium n’ont pas répercuté la taxe, préférant rogner leur marge et garder les mêmes prix. A cela s’ajoutent les effets de la diffusion à grande échelle d’une enquête d’une journaliste suisse qui conclut que les cigarettes destinées au marché africain sont plus addictives et plus toxiques que celles commercialisées en Europe.

Comment faire un tabac !

Rares sont les fumeurs qui n’ont pas reçu, ces derniers temps, sur leurs smartphones une vidéo qui reprend les résultats de ladite enquête qui s’est intéressée particulièrement au Maroc en tant que pays africain où la moitié des cigarettes fumées sont importées de Suisse.

Accusé de faire un «tabac» en Afrique en raison de la toxicité élevée des cigarettes qui y sont commercialisées, le management du fabricant de tabac dans la région n’est pas resté indifférent. Interpellé à ce propos par EE, le Directeur général de Maghreb Philip Morris, Gilles Bazus, a sorti l’argument que ne cessent de ressasser les cigarettiers, à savoir qu’il n’y a pas de «cigarette moins ou plus nocive qu’une autre».  S’exprimant lors d’une conférence organisée en février pour la présentation de la certification «Equal-Salary», -un  label confirmant l’égalité de rémunération pour un travail équivalent entre hommes et femmes-, il a soutenu que le meilleur «moyen pour éviter la toxicité des cigarettes pour les fumeurs est tout simplement d’arrêter de fumer».

D’après l’enquête de la journaliste suisse, les cigarettes commercialisées en Afrique contiennent jusqu’à 16 milligrammes de particules totales contre seulement 10 pour celles vendues en France ou en Suisse.

Vide juridique

Ne niant pas cette accusation, Gilles Bazus a considéré que «le plus important pour Philip Morris est de se plier entièrement aux exigences réglementaires applicables au Maroc». «Ce n’est pas de notre faute si les règles réglementaires sont ce qu’elles sont», nous a-t-il confié. «Ce sont les choix du régulateur ou du législateur marocain. C’est à lui de fixer ses propres standards au lieu de laisser le vide juridique actuel», a-t-il mis en avant.

Pour sa part, la directrice des affaires générales de Philip Morris au Maghreb, Abla Benslimane, a affirmé que c’est la tendance au Maroc où «75% du marché tourne autour de 14 milligrammes». Tout en tenant à souligner que «Philip Morris n’est pas trop présente sur ce segment, qui ne représente que 2% de sa gamme de produits », elle a concédé que «cela ne rend pas pour autant le produit moins nocif». «Il faut que ce soit clair», a-t-elle précisé en rappelant qu’en 2012 un décret devrait revoir la teneur en nicotine et autres composantes (goudron et monoxyde de carbone) en la ramenant progressivement de 16 à 14 puis à 12 pour s’établir à 10 milligrammes sauf qu’il n’a pas vu le jour. Ce coup à l’image de marque est venu rajouter une couche aux difficultés induites par l’augmentation de la taxation qui a contraint la filiale marocaine du géant de l’industrie du tabac à augmenter les prix de sa marque phare Marlboro de 2 dirhams. 

Afin de mobiliser davantage de recettes pour le budget général de l’État, le gouvernement a changé  le mode de calcul de la TIC. Une mesure régalienne que les responsables de Philip Morris Maroc ne contestent pas sans pour autant éluder qu’ils ont fait du lobbying pour rabaisser l’effet de cette augmentation de la pression fiscale quoique relativement. «Si c’est pour échanger les informations et partager les recommandations, je pense que c’est du devoir de chaque entreprise de sensibiliser les autorités, car chaque entreprise connaît le secteur dans lequel elle travaille», estime Benslimane.

Pression et lobbying

La hausse de la pression fiscale devrait donc drainer 1,2 milliard de dirhams à l’État au lieu des 1,8 milliard qui étaient prévus initialement avant que le fraîchement nommé à l’époque, Mohamed Benchaâboun, ne revoie à la baisse ce chiffre et entraîne des ajustements sur la formule prévue avant son arrivée. Directement concerné par cette mesure Philip Morris Maroc reste un grand pourvoyeur d’impôt. Sur les 11 milliards de dirhams de recettes de TIC engrangés en 2018, la société a payé 3,17 milliards de dirhams et 3,5 milliards toutes taxes comprises.

Dans ce sillage, la formule technique choisie est «composée d’une taxe forfaitaire qu’on appelle «partie spécifique» (payée à la direction des impôts indirects quel que soit le produit) qui est passée d’un taux minimum de perception de 567 à 630 dirhams pour 1.000 cigarettes et d’une deuxième partie ad valorem (un pourcentage lié au prix) qui fixe le taux minimal de perception à 58% contre 53,6 du prix de vente (TTC), nous a expliqué Majdouline El Hassouni.

Cette responsable des affaires réglementaires à Philip Morris Maroc a affirmé que cette dernière «ne cherche pas à baisser la taxe, mais demande plus de visibilité». Même son de cloche chez Abla Benslimane. Tout en considérant que c’est une décision légitime, celle-ci a aussi insisté sur l’importance de donner de la visibilité aux opérateurs. «En Europe, il y a des plans sur cinq ans. Il ne s’agit pas de taxes qui tombent du ciel d’un seul coup. On ne sait pas quand est-ce qu’elle a été planifiée n’i rien du tout», a-t-elle déploré. «Les augmentations doivent être régulières et pas agressives», a-t-elle poursuivi.

Acharnement de la concurrence

Pour ce qui est de l’impact de la révision à la hausse des prix, Bazus a indiqué que «c’est très difficile de mesurer en six semaines l’impact sur le chiffre d’affaires».

Tout en rappelant que Philip Morris Maroc n’a pris que 2 dirhams de l’augmentation qui devrait être de l’ordre de 7 dirhams pour les marques premium (5 pour les medium dont le prix est inférieur à 22 dirhams) et 2 pour le bas de gamme, Abla Benslimane a mis en exergue qu’aucun produit n’a augmenté le prix avec la valeur totale de la taxe. Car, faut-il le rappeler, contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas l’Etat qui fixe le prix du paquet, mais les cigarettiers. Ceux-ci décident ou non de répercuter tout ou partie de la hausse et donc de rogner ou non leurs marges.

N’écartant pas la possibilité d’une répercussion de la taxe dans les mois à venir, elle a affirmé qu’«il reste encore plusieurs mois pour savoir comment le marché va évoluer et est-ce qu’il y aura d’autres augmentations ou pas».

Une évolution qui pourrait contraindre Philip Morris à un rabaissement de son prix, car un paquet qui augmente beaucoup plus que celui du concurrent peut faire perdre beaucoup de fumeurs à la marque.

Benslimane ne se montre pas trop anxieuse quant au fait que certaines marques prisées du consommateur marocain ont évité cette hausse, à l’image de Winston et Camel, produits de JTI (Japan Tobacco Internationnal), continue de rogner ses marges plutôt que de répercuter la hausse. «Chaque compagnie dispose de sa propre politique des prix et de sa propre politique d’investissement», s’est-t-elle contentée de rappeler laissant entendre qu’il y aura un acharnement de plus en plus visible de la concurrence sur le marché marocain des tabacs, en particulier sur le segment premium.