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Charivari à la SNTL

Enquête mars 2019

Charivari à la SNTL

La Cour des comptes, l’IGF, poursuites en justice… les «déboires» de la SNTL se succèdent, au milieu d’une réorganisation qui se prépare et d’un nouveau contrat programme qui se profile.

Dix ans après, la Cour des comptes s’invite à nouveauchez la SNTL. Les équipes de Samir Damou, président de section à la Cour régionale des comptes de Rabat, y épluchent les dossiers depuis octobre 2017. L’inspection générale des finances (IGF) y conduit aussi une mission.  Il faut dire que depuis le dernier passage de la Cour des comptes en 2008, les choses n’ont pas grandement changé. La SNTL ne recourt toujours pas à la dette pour financer ses activités et puise ses besoins dans l’excédent dégagé par la direction des services à l’administration (DAS). Le premier rapport de la Cour des comptes de 2008 révélait que «l’activité transport dépend entièrement de l’activité gestion du parc automobile (services aux administrations), dont la trésorerie est structurellement excédentaire (627 millions DH en 2007). Cette activité finance en grande partie l’activité transport et logistique censée être la principale mission de la SNTL». Une structure qui, a priori, n’a pas trop changé non plus. Les derniers états de synthèse disponibles, en l’occurrence ceux de 2015, affichent 0 dirham dans la rubrique dettes de financement (que ce soit au niveau de la dette bancaire ou de la dette privée). Les annexes du calcul de l’IS révèlent pour leur part que la DAS a dégagé un bénéfice imposable de 46,09 millions de dirhams contre 14,98 millions de dirhams par la direction du transport et 61,07 millions de dirhams par la SNTL, soit autant que les deux directions. L’audit réalisé par Ernst & Young en 2012, à la demande du ministère de la tutelle, révélait que la SNTL dispose annuellement d’une manne de 1,4 milliard de dirhams qui lui permet de satisfaire ses besoins en trésorerie sans charges supplémentaires.

Grogne des transporteurs

Une situation qui suscite l’ire de ses concurrents. Ceux-ci y voient une manière d’encourager une «concurrence déloyale». Moncef Belkhayat, président de l’association des distributeurs de produits de grande consommation, s’insurge contre le business model de la SNTL qu’il qualifie de «scandale pour l’industrie». «Tout simplement parce que la SNTL est un établissement public, qui est subventionné par l’État à travers un terrain qui lui a été donné gratuitement. Et qui ne prend pas en compte le prix du foncier en termes de tarification offrant des prix 40% moins chers que les autres opérateurs», déplore le PDG de Dislog. Selon lui, les autres opérateurs supportent un prix du foncier qui représente 40% de leurs coûts. S’aligner sur les prix de la SNTL reviendrait donc à vendre en deçà de son coût de revient. «En dépit de ça, c’est un gouffre financier qui perd de l’argent de manière continue, ce qui est juste inacceptable ni pour le contribuable, ni pour l’industrie», insiste Belkhayat. Des propos qui trouvent écho chez le représentant d’un groupement d’intérêt. Ce dernier estime que «la SNTL jouit d’un favoritisme de l’Etat qui lui concède des marchés de transport sans passer par un appel d’offres comme c’est le cas pour le fret pour le compte des FAR ou de l’ONICL». «Le ministère veut qu’il soit agrégateur dans le secteur du transport alors qu’il a un problème avec les transporteurs», s’exclame le professionnel. En effet, les transporteurs à qui la SNTL sous-traite cette activité attendent le paiement de leurs factures depuis près de 2 ans pour certains, un peu moins pour d’autres. La situation est tellement délicate que «des entreprises ont fait faillite suite au retard de paiement», regrette un transporteur sous couvert de l’anonymat. Face à la complexité de la situation, un opérateur a porté le litige en justice, et une troisième audience est prévue au cours de la première quinzaine de mars. Il faut dire que compte tenu de la petite taille de sa flotte, la SNTL fait appel aux transporteurs «de manière massive, jusqu’à parfois 1.000 semi-remorques» assure un professionnel sous couvert de l’anonymat. D’ailleurs, les achats de prestations de transport constituent le premier poste de charges d’exploitation avec des dépenses s’élevant à 558,73 millions de dirhams en 2014 et à 612,87 millions de dirhams en 2015. Contactée par EE, la directrice communicaion de la SNTL n’a pas estimé opportun de donner suite à nos requêtes, considérant que «le moment est mal choisi». Elle ajoute que «la SNTL est en phase de réorganisation et cherche à stabiliser le navire». Un navire secoué par les révélations de la Cour des comptes sur des infractions commises par un de ses anciens directeurs généraux qui a été sanctionné pour avoir fait payer à l’organisme public des dépenses personnelles à l’occasion d’une mission à l’étranger alors qu’il avait bénéficié des frais de déplacements relatifs à cette mission. La personne en question a finalement été condamnée à restituer le montant dépensé, estimé à 29.454,17 dirhams et à payer 25.000 dirhams d’amende.

La gouvernance en question

Au milieu de tout ce tohu-bohu, Abdelkader Amara, ministre de l’Equipement, du Transport, de la Logistique et de l’Eau, s’est réuni avec l’actuel directeur général, Aziz Alami Gourefti, le 14 février dernier, pour discuter d’un «nombre de sujets relatifs à la gouvernance de la SNTL et le contrat programme qui a pour objectif de développer le secteur de la logistique au Maroc», pouvait-on lire dans un communiqué du département ministériel. Une réunion dont les détails n’ont pas été révélés, mais qui présage de l’urgence de la réforme à mener. Ayant encore une fois eu les yeux plus grands que le ventre, l’Etat a engendré un frère ennemi. Qui, devant participer à l’essor des opérateurs privés, en est devenu le principal concurrent. Or tant que la stratégie nationale industrielle ne fonctionne pas, la SNTL ne fonctionnera pas.