Jeunesse sans politiques
Les politiques publiques visant les jeunes se caractérisent par leur mise en place dans l’urgence et avec des objectifs majoritairement sécuritaires. Tour d’horizon.
L’instauration du service militaire obligatoire pour les jeunes n’est pas une nouveauté au Maroc, tout comme le discours sur les jeunes. Les deux s’inscrivent dans une longue suite d’initiatives prises depuis plus d’un demi-siècle en direction d’une population importante et spécifique du pays. Pour le sociologue Jamal Khalil, l’épisode service militaire n’est qu’une des réactions périodiques de l’Etat quand les jeunes commencent à bouger. «Nous pouvons observer une cyclicité d’une dizaine d’années entre les diverses actions de l’Etat concernant les jeunes. Nous avons eu le Conseil National de la Jeunesse et de l’Avenir (CNJA) dans les années 90, suivi des Crédits Jeunes Promoteurs et de la flopée d’associations dédiées à l’entrepreneuriat des jeunes. Puis, en 2005, on a eu l’INDH qui vise le renforcement des structures d’accueil culturelles et sportives ainsi que l’empowerment économique des jeunes et des femmes à travers des activités génératrices de revenus. Aujourd’hui, nous avons le service militaire en plus d’une 3e version de l’INDH spécifiquement dédiée aux jeunes et dont on attend encore les modalités de déploiement», décrit Jamal Khalil. Episodiques, les initiatives publiques spécifiques aux jeunes pèchent aussi par leur manque de pertinence.
Chiffres alarmants
Pourtant, selon le dernier rapport du CESE sur les jeunes publié en août 2018, les 15-34 ans représentent plus du tiers de la population du Maroc et 60% d’entre eux vivent en milieu urbain. Le CESE y souligne ainsi que «l’accès à un emploi décent, à une éducation de qualité et à des soins de santé reste difficile pour une grande part de la jeunesse de notre pays. Elle se heurte toujours à des obstacles importants en matière d’inclusion économique et sociale, et continue de n’avoir que des perspectives limitées pour influencer l’orientation des politiques publiques, l’empêchant ainsi de devenir une force motrice majeure du développement du pays». Et les chiffres n’ont rien de réjouissant, au contraire ils donnent froid dans le dos. Selon les données du ministère de la Jeunesse et des Sports, 2/3 des jeunes sont en décrochage scolaire et ils sont chaque année 276.000 à abandonner les bancs de l’école ou de l’université. Par ailleurs, 20% des jeunes sont au chômage quand ils cherchent un emploi, dont plus de 45% sont des diplômés. Quant aux jeunes au travail, 50% sont assujettis à de bas salaires, ce qui renforce le découragement à chercher un emploi. De plus, 82% des jeunes n’ont aucune activité de loisirs et passent 72% de leur temps dans des activités non génératrices de bien-être. Ce qui contribue grandement à ce que 1 jeune sur 5 développe des troubles mentaux, alors même que ¾ des jeunes n’ont pas de couverture sociale. Pis, ils sont sous-représentés politiquement. En effet, seuls 1% des jeunes adhèrent à des partis alors que moins de 15% sont en contact avec des associations. Le Maroc se classe ainsi en piètre position en comparaison avec des pays proches. «En 2016, le Maroc figurait au 120e rang parmi 183 pays sur l’échelle de l’indice de développement de la jeunesse, derrière la plupart des pays à revenu intermédiaire de la région MENA, dont la Jordanie (114e rang), la Tunisie (110e), le Liban (76e) et la Turquie (62e)», relève le CESE.
Calendes grecques?
L’étude réalisée par le CESE a été menée suite à une saisine de la Deuxième chambre concernant la Stratégie nationale intégrée de la jeunesse 2015-2030. Une stratégie dont l’élaboration a commencé en 2008… et qui traîne toujours dans les couloirs de la Deuxième chambre qui en a demandé l’évaluation… Alors que chaque décennie, les Nations Unies consacrent une année des jeunes (la dernière date de 2015, ce qui explique la stratégie non encore validée) et que de nombreux pays avec proportionnellement beaucoup moins de jeunes adoptent tous des initiatives pour contribuer à l’inclusion et à l’épanouissement de la jeunesse, le Maroc peine encore à élaborer une stratégie inclusive après plus de 10 ans de gestation. «Il n’y aura pas d’urgence tant que les jeunes ne le revendiqueront pas.
Le Maroc peine encore à élaborer une stratégie inclusive après plus de 10 ans de gestation.
C’est une question de priorités, de pouvoir de pression et de budget. De plus, la catégorie jeunesse est une phase dans la vie. L’absence de structure pérenne fait qu’il n’y a pas d’accumulation», analyse Jamal Khalil. Pour lui, il ne faut pas attendre une stratégie nationale: «Les attentes des jeunes sont diversifiées au niveau des territoires. Il faut que les régions et les collectivités locales puissent répondre aux aspirations de leurs jeunes in situ». Ce qui n’empêche pas que des dispositifs nationaux – par exemple l’accès à des services spécifiques comme la santé, à travers une couverture sociale ou les loisirs et les transports – puissent être garantis au niveau national.
Dans ce contexte, la recrudescence des phénomènes liés à l’exclusion économique ou sociale comme la migration clandestine est un signal inquiétant sur l’avenir d’une population qui non seulement représente le tiers des Marocains, mais surtout symbolise l’avenir du pays.
Cachez-moi ces jeunes…
En lieu et place d’une politique spécifiquement dédiée aux jeunes, avec des moments forts comme les fameuses Années de la jeunesse en Tunisie, l’Etat marocain a souvent considéré la jeunesse davantage comme une menace à catalyser qu’un potentiel à développer. Ainsi, l’instauration du service militaire obligatoire en 1966 est venue en réponse aux émeutes des élèves casablancais du 23 mars 1965. La Marche Verte en 1975 est venue aussi catalyser la jeunesse autour du projet national d’intégrité territoriale. La mise en place du CNJA en 1990 avec des jeunes trublions de gauche de l’époque comme Khalid Alioua ou Mohammed El Gahs sous la présidence du plus proche Usfpéiste du pouvoir, Habib El Malki, vient à la sortie du Plan d’ajustement structurel, à un moment politique trouble marqué par des émeutes à Fès et dans le Rif. Plus think tank fermé que vrai conseil national, le CNJA tiendra plusieurs sessions jusqu’en 2000 et produira un certain nombre de rapports, dont l’étude la plus large qu’ait connu le secteur de la jeunesse au Maroc: «L’Enquête nationale sur les jeunes» de 1993. Suivront plusieurs autres études essentiellement orientées vers l’employabilité des jeunes et accessoirement sur les valeurs, notamment religieuses. C’est l’époque du lancement du Crédit Jeune Promoteur où la question de l’auto-emploi des jeunes a été avancée comme solution face à la montée en force de la plus grande organisation de jeunesse militante après l’Union Nationale des Etudiants du Maroc (UNEM), dissoute. Il s’agit bien évidemment de l’Association Nationale des Diplômés Chômeurs du Maroc, qui renouvellera les répertoires contestataires autour des questions des jeunes et de l’emploi jusque dans les années 2000. La nouvelle Constitution de 2011, issue du mouvement de contestation des jeunes du 20 février, donnera une place institutionnelle à la jeunesse à travers le Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative, dont la loi a été promulguée en 2015 mais qui n’a pas encore vu le jour. Encore une fois, les jeunes ne sont pas autonomes puisqu’ils sont matchés avec un secteur ayant ses problématiques propres, qui est l’action associative. Quant au ministère de la Jeunesse, il se voit toujours accoler les Sports…