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Le chaînon manquant

Entreprises octobre 2017

Le chaînon manquant

L’Administrateur indépendant est un pion essentiel dans l’échiquier de la gouvernance. Vécu plutôt comme une lourde contrainte, ce maillon qui fait défaut au code de bonne gouvernance est pourtant la pièce maitresse du tissu économique.

«Je n’ai jamais touché autant de dividendes qu’après avoir fait appel aux administrateurs indépendants au sein du conseil de HPS», lâche avec humour, Mohamed Horani, président directeur général de HPS, lors de la conférence organisée vendredi 29 septembre par EE live, en partenariat avec MaroClear, sous le thème «Administrateur Indépendant: Le chaînon manquant». Voilà ce qui pourrait inciter un grand nombre de dirigeants de PME à accueillir un administrateur indépendant au sein de leur Conseil d’administration. Cette journée thématique a réuni un vaste panel d’experts (administrateurs indépendants, régulateurs…) qui contribuent activement au Maroc et en Europe à la réflexion sur la bonne gouvernance des entreprises. «Le monde des affaires n’a pas encore pris conscience du rôle de l’administrateur indépendant», martèle d’emblée Amina Figuigui, vice-présidente de la commission Ethique et Bonne gouvernance au sein de la CGEM. Le patronat mène, à juste raison, une large campagne de sensibilisation auprès des PME pour faire valoir les retombées économiques issues d’un des principes clés de la bonne gestion d’entreprises. A ce stade, il n’existe pas encore une estimation précise du nombre d’entreprises qui ont fait appel à un indépendant. Cependant, la quasi-unanimité des experts présents, lors de l’évènement s’accordent à dire que ça ne relève pas du rôle de la PME de militer pour une gouvernance mieux équilibrée et que c’est plutôt aux grands donneurs d’ordre d’amorcer la pompe. «Les administrateurs indépendants sont amenés à gagner des sièges dans les années à venir», se projette Aldo Olcese, président de Fincorp et administrateur indépendant d’Attijariwafa bank et Ericsson. Une telle projection n’aurait pas de chance d’aboutir compte tenu du cadre juridique actuel. La réglementation en vigueur impose, en effet, uniquement aux établissements de crédit d’accueillir au sein de leurs organes d’administration, au moins un membre indépendant, et jusqu’à un tiers des administrateurs.

Inversement de tendance
En l’état actuel, la tendance observée auprès des sociétés cotées augure un avenir prometteur. Selon l’Institut marocain des administrateurs (IMA), plus de la moitié des sociétés cotées à la Bourse des valeurs de Casablanca accueillent au sein de leur conseil au moins un administrateur indépendant. Autre statistique encourageante: près d’un tiers des émetteurs disposant de 2 à 5 administrateurs indépendants, ne sont pas issus du milieu bancaire. «C’est le signe que nos sociétés n’opèrent plus sous la contrainte de la régulation, mais davantage suivant une logique 100% business», se félicite Lamia El Bouanani, directrice exécutive au sein de l’IMA. Il arrive dans certains cas qu’un dirigeant fasse appel directement à un indépendant pour rompre avec son isolement. Ce fut le cas de Nabil Ziatt, PDG de Stroc Industries, qui, convaincu de l’impératif économique, est entré en contact direct avec un administrateur indépendant pour pallier le manque chronique de liquidités dont pâtissait son entreprise. Aujourd’hui, 5 administrateurs indépendants sur 8 siègent au conseil du spécialiste des charpentes métalliques. Mais des exemples, comme le patron de Stroc, il n’y en a pas des masses. Car, il n’est pas si évident de faire adhérer le dirigeant-fondateur à l’idée qu’il faut faire intégrer un administrateur indépendant au sein du conseil d’administration. Pourtant, sur le terrain, la contribution de celui-ci à la croissance de l’entreprise n’est pas à démentir. «L’apport des administrateurs indépendants a été décisif dans la réussite de notre entreprise», témoigne, sans détour Mohamed Horani, le patron du groupe coté HPS. Reste que la pratique ne fait pas l’objet d’un large consensus au niveau du marché action. «Plusieurs émetteurs trouvent que ce qu’ils publient, c’est déjà beaucoup. Certains risquent de se retirer de la place si on leur exige davantage de rigueur sur la gouvernance», s’inquiète Bouchra El Falaki, chef du service Contrôle Information au sein de l’AMMC. Le régulateur se contente d’ailleurs de formuler des recommandations, par crainte de voir fuir des capitaux des marchés financiers.

C’est mon bébé!
Du côté des groupes familiaux, les spécificités de l’entreprise patrimoniale compliquent sa gouvernance. Celle-ci,  possède, en effet, en matière de gouvernance, des caractéristiques particulières. La nature familiale de l’actionnariat et la vision stratégique patrimoniale interfèrent souvent avec la logique managériale de l’entreprise. Ce qui rend plus complexe la prise de décision. «Le conseil d’administration appartient à l’entreprise et non à la famille», objecte Michel Behar, président de l’APIA, association européenne de renom qui réunit des chefs d’entreprises passionnés de gouvernance. Il convient de préciser qu’il n’existe aucune association semblable au Maroc. S’agissant des particularités propres aux structures à capital familial, celles-ci s’avèrent être aussi un avantage économique indéniable. L’actionnariat familial a le souci permanent de préserver le patrimoine en portant une grande attention à l’efficacité des dépenses. C’est aussi le gage de la pérennité du management. S’y ajoutent les circuits de décision et d’exécution plus courts versus une entité où l’actionnariat et la gestion managériale sont interdépendants. «Il faut faire le postulat que dans la plupart du temps le patron d’une structure familiale prend les bonnes décisions. Mais, en période de conflit, il doit avoir le réflexe de faire appel à un administrateurs indépendants», recommande El Bouanani. Outre Méditerranée, la transparence est un levier phare pour conditionner l’accès des entreprises familiales et PME au marché international. «L’Espagne a réussi, en l’espace de deux décennies, à transformer

Seules les banques ont l’obligation d’accueillir un administrateur indépendant dans leur Conseil

ces entreprises familiales en multinationales», précise Eduardo Montes, président du Club des conseillers d’Espagne. L’expérience accumulée en 20 ans chez nos voisins du nord est-elle duplicable? D’après une récente livraison de l’IMA, qui offre un panorama du marché marocain sur le niveau d’engagement des investisseurs institutionnels dans la gouvernance des sociétés: «75% des investisseurs considèrent «très important» le critère de gouvernance dans leurs décisions d’investissements et de désinvestissement». Cet engouement des bailleurs de fonds qui conditionne leurs décisions d’investissement sur la qualité de la gouvernance se heurte à la méconnaissance des dirigeants, entrepreneurs, fondateurs du rôle d’administrateur indépendant. «L’administration indépendante ne devrait, en principe, entretenir aucune relation de quelque nature que ce soit avec la société, ou sa direction, qui puisse compromettre l’exercice de sa liberté de jugement», note Aldo Olcese, président de Fincorp. Ce serial administrateur explique qu’un indépendant ne doit pas hésiter à démissionner afin d’honorer ses engagements.