Mission publique absente
Les chaines télévisuelles publiques ne se sont toujours pas constituées en holding publique depuis 2006, conformément à la feuille de route qui leur était tracée pour accélérer la restructuration du secteur. Aujourd’hui encore, ce pêché originel pèse sur la mise en place d’un vrai service public et une libéralisation du champ audiovisuel.
«Dans l’avis rendu à Sa Majesté le Roi, le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle (CSCA) a souligné, de nouveau, tout l’intérêt qu’une véritable restructuration de ce secteur représente pour le développement du paysage audiovisuel dans son ensemble», peut-on lire dans le communiqué du CSCA dépendant de la HACA relatif à la restructuration institutionnelle du secteur audiovisuel public du 13 février 2006. L’avis demandé par le roi affirme aussi «qu’il convient de rapprocher, en vue de les regrouper, l’ensemble des composantes de l’audiovisuel public au sein d’un même pôle, diversifié et complémentaire, tout en capitalisant sur les acquis des opérateurs existants». Toujours selon le communiqué, à terme, le secteur public audiovisuel devra être structuré autour d’une société holding regroupant des entités organisées selon une logique de métiers (télévision, radio, télédiffusion, production, publicité, archivage, marketing, etc.) à même de jouer un rôle moteur dans le processus de développement du secteur, de remédier aux insuffisances organisationnelles et managériales et d’assurer la mise à niveau souhaitée. Plus de 11 ans plus tard, cette véritable feuille de route validée par le roi est restée lettre morte.
Entertainment
«Pour nous, c’était révolutionnaire», se souvient un ancien cadre de la télévision marocaine. Et de continuer: «L’avis consultatif représentait une vraie stratégie du secteur, qui aurait pu permettre son développement rapide et le tirer vers le haut». Pourtant, quasiment tous les points de cet avis sont restés lettre morte. Sauf un seul, la présidence commune entre Soréad-2M et la RTM devenu SNRT. «Avec le gel de cette transformation, c’est toute la libéralisation du secteur qui a été impactée. Mais aussi le rôle de mission publique que doit jouer la télévision nationale», analyse notre ancien cadre. En effet, en limitant les synergies c’est une véritable concurrence qui va s’instaurer entre les chaînes non seulement au niveau de l’audimat mais aussi en termes de captation de la manne publicitaire. «En se faisant la concurrence sur la publicité, les chaînes publiques ont peu à peu délaissé leur mission d’intérêt public, à savoir, l’information, l’éducation, et la proximité vers une autre qui relève plus de l’entertainment», analyse un producteur de la place. C’est à partir de là qu’une vraie course aux télénovelas mexicaines et turques et autres émissions de téléréalité va être enclenchée pour capter l’audience et la publicité qui va avec.
Et ce n’est pas la reformulation des cahiers de charges défendue par le ministre de la Communication Mustapha Khalfi qui va changer la donne. «Les nouveaux cahiers des charges sont juste inapplicables», affirme un professionnel du secteur. Et d’ajouter: «Les quotas de production externes [30 à 40% NDLR] sont impossibles à réaliser. Ils déstabiliseraient financièrement les chaînes, car cela coûterait par exemple 300 millions de dirhams à 2M et plus d’un milliard de dirhams à la SNRT, soit près de 50% des recettes de 2M et 70% de celles de la SNRT. Ce n’est pas pour rien que plusieurs appels d’offres reviennent infructueux». De plus, avec ces cahiers des charges c’est une sorte de nivellement par le bas qui a été réalisée. «L’avis de 2006 du CSCA affirmait que chaque chaîne du pole public devait garder son indépendance et sa spécificité, mais avec la présidence commune et surtout le cahier des charges, il n’y a plus de différences qui se dégage entre la SNRT et 2M».
Boudées, les chaines nationales peinent à répondre à leur mission de service publique
Les ratés de la fusion
«L’idée de base de la fusion du pole publique dans une holding est de pouvoir filialiser les chaînes afin de dégager pour schématiser un grand pole diffusion qui investit dans les programmes et un pole production qui investit dans tout ce qui est technique. Un regroupement permettant une plus grande force de frappe commerciale et financière tout en réalisant des synergies et une spécialisation entre les 9 chaînes du pole public. En même temps, ces chaînes pouvaient se distinguer par leurs thématiques et leurs orientations éditoriales. Le téléspectateur pourrait choisir en connaissance de cause quel type de programme il souhaite regarder», explique un producteur de la place. Or tout cela n’a pas été fait. «Les changements ont été minimes au sein des télés nationales depuis l’avis du CSCA; Al Oula, par exemple, est toujours une direction au sein de la SNRT. On ne voit pas où se trouve l’organisation en holding même chez la SNRT et ses 8 chaînes». Des chaînes moribondes, sans beaucoup de moyens et peu regardées puisqu’elles ne récoltent pas plus de 5 à 7% de l’audimat. «Elles ont été créées à la va vite pour remplir les ondes», se rappelle cet ancien cadre de la télévision. «Elles répondaient essentiellement à l’objectif de satisfaire une demande politique dans le cadre de la chaîne Amazigh et Laâyoune, mais aussi de combattre l’afflux des chaînes moyen-orientales, notamment religieuses. Elles visaient aussi, à mon sens, à remplir des créneaux thématiques pour gêner les futures vagues de licences», analyse notre ancien cadre.
Avec plus de 3.000 employés et près de 2 milliards de dirhams de budget annuel, les télés marocaines n’arrivent toujours pas à trouver leur voie dans un environnement en pleine mutation. Boudées et mal aimées, elles peinent à répondre à leur mission de service public et a accompagner les changements démographiques, sociétaux et politiques en cour au Maroc.
Libéralisation dérogatoireC’est un vrai système dérogatoire qui a dès les années 80 marqué le champ audiovisuel national montrant une forte prégnance du politique. La première à avoir bénéficié de ce système est la Radio Méditerranée internationale ou Medi1 qui, dès 1980, a pu émettre comme radio privée. En 1989, la chaîne 2M International est la première télévision privée à être lancée au Maroc ouvrant graduellement le champ télévisuel. Alors que le monopole de l’Etat était toujours instauré sur la télédiffusion, la création de la chaîne médi1 Sat a été décidée entre feu Hassan II et le président français Jaques Chirac, comme le signe de l’amitié franco-marocaine avant de voir le jour en 2006 avec toutes les difficultés de positionnement, d’audimat et financière qu’elle connait. Aujourd’hui encore, les chaînes privées, créées ou annoncées, vont dans le sens du contournement de la loi. |