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Périmètre limité

Economie mai 2017

Périmètre limité

Dates de péremption effaçables, informations partielles et incomplètes, inscriptions microscopiques… Les infractions récurrentes sur les emballages de denrées alimentaires présentent une réelle menace à la santé publique. Et l’ONSSA dans tout cela?

Younes est un étudiant-salarié en droit à l’emploi du temps surbooké. Menant un train de vie d’enfer, il n’a jamais le temps de cuisiner des plats consistants. Pour se nourrir, il mijote souvent des repas express à base de produits alimentaires préemballés. Ce mardi à midi, il se contente d’un sandwich charcuterie-fromage-crudités et d’un jus de fruit de marque importée. A peine le temps de digérer ce cocktail Molotov qu’il se met à transpirer, éprouve des sensations de vertige et finit par dégurgiter son déjeuner. Une heure plus tard, le jeune homme est hospitalisé pour intoxication alimentaire et l’examen digestif indique la consommation d’un produit charcuterie dont la date limite a été dépassée. «Je n’ai pas souvenir d’une seule garde où je n’ai pas eu affaire à des cas d’intoxication alimentaire. Il s’agit généralement de produits de toute sorte: biscuit, charcuterie, produits laitiers dont les dates de péremption ont été dépassées», confie Nisrine Zeroual, médecin interne au CHU de Marrakech. Faute de temps, nous sommes très nombreux à troquer nos délicieux plats traditionnels contre des sandwichs préparés à la va-vite. De plus en plus de consommateurs foncent tête baissée dans des fast-food et invitent à leur table des produits transformés par l’industrie agro-alimentaire. Or, l’évolution du régime alimentaire pose aujourd’hui un réel problème de santé publique. Selon les spéculations d’une source proche du ministère de la Santé, plus de 1.500 cas d’intoxication alimentaire ont été recensés pour l’année 2016 (dans l’attente des chiffres officiels), dûs en grande partie à l’ingestion de produits devenus impropres à la consommation. Ce chiffre n’inclut sans doute pas les cas qui, faute de moyens, n’ont pas le luxe de se faire hospitaliser. En cause, plusieurs éléments liés directement à l’étiquetage des produits alimentaires, susceptibles d’induire le consommateur en erreur: absence de date de péremption, tableau nutritionnel incomplet, inscription en caractères minuscules, voire des emballages marqués entièrement en langue étrangère… l’ensemble de ces pratiques étant non conformes à la loi.
Qui blâmer?
Face à ces problèmes récurrents, à qui incombe la responsabilité? Certes, vérifier la date d’expiration, examiner l’origine d’un produit ou encore scruter méticuleusement le tableau nutritionnel n’ont jamais été des réflexes ancrés dans la culture marocaine. Néanmoins, la responsabilité n’est pas à mettre uniquement sur le dos du consommateur. «Tout importateur, producteur ou exploitant d’un établissement ou d’une entreprise du secteur alimentaire est responsable de l’étiquetage des produits qu’il commercialise et garantit que cet étiquetage est réalisé conformément à la loi», souligne l’article 4 de la loi n°28-07 relative à la sécurité sanitaire des produits alimentaires. Si le dispositif juridique a pour mérite de mettre chacun des acteurs de la chaîne d’approvisionnement face à ses responsabilités, il demeure toutefois partiel et incomplet. Les marchands-épiciers dont le Maroc compte plus de 75.000 ne sont visiblement pas concernés par cet arsenal juridique, encore moins les commerçants opérant dans l’informel. De ce fait, tout un circuit échappe au contrôle de l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA). «Depuis sa création, l’ONSSA a adopté une approche de contrôle préventive basée sur la responsabilité des opérateurs des produits qu’ils mettent sur le marché. D’où la notion de l’agrément qui oblige les opérateurs à mettre en place un système d’auto-contrôle et de traçabilité permettant le retrait des produits dangereux ou non-conformes», se défend l’ONSSA. En effet, seuls les établissements agréés par l’ONSSA font parfois l’objet de visites sanitaires régulières dans l’optique de vérifier si les conditions ayant conduit à la délivrance de l’agrément sont toujours respectées. Sauf que faire preuve de bonne foi ne suffit pas. La quantité de marchandises saisie et détruite sur le marché local (1.148 tonnes au premier trimestre 2017) aurait été certainement largement supérieure si l’ONSSA élargissait son périmètre d’action aux acteurs de l’informel. La même histoire se répète au niveau des frontières. L’abondance des produits de contrebande qui circulent sur le marché est due au fait qu’aucune instance de régulation n’est présente sur les points nodaux du commerce clandestin.
Contrôle restreint
Le fait que le contrôle soit restreint uniquement aux établissements agréés ouvre la brèche à une multitude d’infractions. Et justement, au cours de notre enquête, des infractions nous en avons relevé à la pelle! Sur la base d’un échantillon sélectionné composé de biscuits, chips, sodas et produits laitiers, une première infraction constatée sur plus de la moitié de ces articles: la date de péremption débilite. «Pourtant, la loi est claire là-dessus, les dates doivent être estampillées de telle sorte qu’elles ne puissent être effacées», décortique Ouadie Madih, président d’Uniconso, une association de défense des droits des consommateurs opérant principalement sur la métropole casablancaise. Cette infraction est fréquente sur les emballages des biscuits fourrés, sablés ou cookies fabriqués au Maroc et dont le prix varie entre 1 et 3 dirhams. Les paquets en provenance de Turquie n’ont en revanche pas ce problème puisque, visiblement, ce détail a été intégré en aval de la chaîne de production. Pour les industriels, priorité absolue à l’identité visuelle de la marque qui domine le champ visuel principal de l’emballage, le plus susceptible d’être vu au premier coup d’œil par les consommateurs. Quant aux informations nutritionnelles pourtant obligatoires, elles sont introduites en caractères microscopiques. Et comme les deux langues arabe et française ne sont pas suffisantes, les produits sont parfois présentés en quatre langues. «C’est pour des considérations d’export», rétorque un industriel rencontré lors du salon international de la sécurité, Preventica. Argument difficile à admettre quand le rendu final ne répond pas non plus aux exigences des marchés étrangers, en particulier, celui de l’Union européenne. L’industrie laitière, de son côté, reste confrontée à un grand bémol pas tellement lié à l’étiquetage mais plutôt d’ordre logistique, à savoir, le non respect de la chaîne de froid. La température du lait et produits dérivés est souvent préservée tout au long du processus de distribution jusqu’au dernier maillon, l’épicier, qui rompt ce cercle vertueux sous prétexte de réduire le coût de sa facture d’électricité. Evidemment, l’ONSSA s’en lave les mains vu qu’elle s’est mise dès le départ dans une configuration qui restreint, de facto, son champ d’action.

Responsabilité partagée ou pas?
Il y a huit mois, de nouvelles règles (Publiées au BO N°6488) sont venues renforcer le dispositif fixant les conditions d’étiquetage des produits alimentaires. Objectif affiché: éclairer le consommateur sur le contenu des produits de la manière la plus simple qu’il soit, avec cette fois-ci des allégations nutritionnelles telles que «sans matière grasse», «riche en fibre», «pauvre en sel» ou encore «riche en protéine» estampillées clairement sur l’emballage. Manifestement, les fabricants locaux et quelques importateurs ne sont pas pressés de se mettre en conformité avec les normes en vigueur. En cause, un amende très peu dissuasive, qui prévoit entre 5.000 et 20.000 dirhams pour la mise sur le marché d’une denrée dont l’étiquetage n’est pas conforme aux dispositions de la loi 28-07 (article 28). Mais pour payer une amende encore faut-il être contrôlé régulièrement. Plus important encore, l’ONSSA contrôle-t-il régulièrement l’agrobusiness? «L’ONSSA manque cruellement de ressources humaines pour répondre à sa mission qui est de l’ordre de l’intérêt général», s’indigne Madih. Même le gendarme sanitaire ne s’en cache pas et reconnait qu’il manque de ressources humaines et en particulier d’inspecteurs. «Nous souffrons d’un manque accru en inspecteurs de produits alimentaires dû principalement à l’absence de postes budgétaires et aux départs en retraite qui dépassent largement les recrutements annuels», nous fait savoir l’ONSSA. Si le régulateur fait face à un besoin criant en ressources financières et logistiques, qui porte alors ce lourd fardeau de santé publique? Sûrement pas le consommateur. Les associations de défense des droits des consommateurs sont impuissantes du fait qu’elles n’ont pas le droit d’ester en justice. C’est le dernier souci des industriels dont l’objectif est d’ancrer dans la conscience collective la meilleure image qui soit de leurs produits. Reste l’ONSSA qui affirme être impliqué dans la stratégie nationale de nutrition 2011-2019 en agissant sur l’un des déterminants majeurs, à savoir, la nutrition et en assurant la qualité sanitaire des produits alimentaires. En fin de compte, le consommateur demeure la grande victime dans cette bataille qui oppose industriels et régulateurs. Ironie du sort, c’est bien lui qui est à l’origine de leur existence. Les intoxications alimentaires ont de beaux jours devant elles…
aibnoulfassih@sp.ma