«Je ne compte pas baisser ma participation dans Addoha»
Plan génération cash, stratégie africaine, focus sur le moyen standing et institutionnalisation du capital…Anas Sefrioui se livre en toute franchise.
Pourquoi avez-vous lancé le Plan Génération Cash?
Dans le passé, nous étions dans une logique de course aux chiffres. Il fallait produire 20.000, 25.000, 30.000 logements par an. Or, pour ce faire, nos commerciaux lançaient des opérations de ventes à tout va. Résultat: sur certains projets, nous nous retrouvions avec des invendus au 4ème étage et au rez-de-chaussée, alors que nous devions écouler l’immeuble entier. Conséquence directe: nos stocks n’ont cessé de gonfler jusqu’à atteindre 16.000 logements invendus. Il fallait réagir. Du coup, nous privilégions désormais un financement sain de notre BFR et ce, afin d’améliorer nos résultats avec, comme objectif premier, générer suffisamment de cash pour nous désendetter et distribuer des dividendes plus conséquents à nos actionnaires.
Comment le Groupe s’est-t-il endetté à ce point? Avez-vous été piégé par votre ambition un brin démesurée?
On ne peut pas parler de piège. Contrairement à d’autres pays, chez nous, le promoteur est contraint de posséder le terrain devant accueillir un projet. Entre l’acquisition du foncier, les obtentions d’autorisation, la sélection des prestataires de construction, le cycle est interminable. Lorsque vous entamez la phase de commercialisation, vous n’êtes, au mieux qu’à 15% du montant des ventes collectés. Vous devez ensuite patienter deux ans pour encaisser le reste. Le cycle de transformation du cash sur ce genre d’opérations, capitalistiques par essence, est terriblement long, ce qui, de facto, impose un recours à la dette.
Cette politique de désendettement massif et de ralentissement des chantiers n’est-elle pas contreproductive sur le long terme?
Il n’y avait aucune urgence à changer de cap. La demande en logement reste importante. Et puis, nous disposons de 4.000 hectares de foncier pour y faire face. Cela dit, j’ai voulu réduire notre endettement. Cela me pesait de payer 600 millions de dirhams rien qu’en coût de financement. Coût qui, soit dit en passant, a été réduit à 300 millions. De plus, le Plan Génération Cash nous aide à doper nos marges. A quoi sert-il, je vous le demande, de produire X milliers de logements avec des marges qui s’érodent? Même si nous planchons sur une nouvelle stratégie pour 2018-2020, nous n’abandonnerons nos reflexes d’amélioration du BFR.
Votre politique de diversification dans le luxe était-elle une erreur?
Ceux qui le disent sont des jaloux. Prestigia a en effet remporté de grosses parts de marché dans le segment luxe. Nous produisions entre 1.000 et 1.500 logements par an. En 2018, nous sommes à 1.200 logements rien qu’en préventes. C’est du jamais vu, même à l’étranger. Prestigia est désormais une marque bien installée qui réalise un CA annuel proche des 3 milliards de dirhams. Peut-être aurait-il fallu que je débute mon aventure entrepreneuriale par ce segment.
Comment expliquer le succès du luxe malgré les réclamations sur la qualité de vos logements?
Dans le passé, une offre clés-en-main, ficelée, avec ses restaurants, ses mosquées, son golfe, ses écoles, ses pharmacies, était inexistante. Par conséquent, ces écosystèmes de vie intégrés ont tout de suite rencontré beaucoup de succès. Nous disposons d’un service de garantie couvrant une année et avons d’ores et déjà livré presque 8.000 logements de haut standing. Les réclamations dont vous parlez sont le fait de deux ou trois personnes qui salissent injustement notre réputation pour venir ensuite négocier des avantages indus.
On parle d’un dégraissage imminent. Vous confirmez?
Absolument pas. Aucun plan de départ n’est prévu. Nous avons créé Coralia (moyen standing) sur un segment extrêmement prometteur avec tout ce que cela comporte comme redéploiement des équipes. De plus, nos projets en Afrique seront appelés à monter en puissance. Là aussi, le besoin en capital humain est nécessaire. Donc, pas de dégraissage, comme vous dites.
Quid de l’Afrique?
Grâce à Dieu, notre expérience africaine est très concluante. Preuve en est, ma décoration au Sénégal par le Président Macky Sall. En Côte d’Ivoire, nous sommes en passe de quadrupler notre production de ciment pour passer de 500.000 à 2 millions de tonnes. Nous sommes actuellement présents dans 11 pays africains. Etant donné que nous avons assaini notre situation financière au Maroc, les banques nous accompagnent fortement dans nos projets continentaux. Sachez que notre expertise là-bas est très prisée… allant jusqu’à faire des jaloux encore une fois. Notre objectif est clair. Consolider nos opérations avant d’élargir notre périmètre au Cameroun et au Congo Brazzavile où nous avons repéré de belles assiettes foncières.
Notre expertise et nos succès en Afrique font beaucoup de jaloux
On dirait que c’est votre activité ciment qui se porte le mieux en Afrique?
C’est normal car il s’agit d’une industrie. Une fois que vous avez étudié le marché, que les besoins sont identifiés, que vous avez mis en place les contrats d’approvisionnement et l’équipe opérationnelle, vous pouvez dupliquer le modèle indéfiniment. La promotion immobilière s’articule, elle, autour d’un cycle plus long, donc plus contraignant.
Pourquoi le choix du moyen standing comme relais de croissance alors que vous étiez contre la loi qui a été proposée?
Au sein de la fédération, nous avons eu des discussions avec le ministre pour lancer le moyen standing qui fait l’objet d’une demande importante. Hélas, à chaque fois qu’une loi est mise en place, celle-ci ne correspond pas à la réalité du marché. Il y a un adage marocain qui dit que «personne ne s’enfuit d’un mariage». Si les conditions proposées par le gouvernement étaient viables pour les promoteurs, tout le monde se serait rué sur la niche. Ce ne fut pas le cas. Soyons clairs, puisque la loi est en vigueur depuis plus de trois ans sans engendrer de résultats probants, c’est qu’elle est mauvaise. Il faut donc la changer.
Pourquoi lancer Coralia alors?
Nous l’avons fait sans être conventionné avec l’Etat, à l’instar du segment luxe. Nous tablons sur une production de 1.000 logements en 2017. Le potentiel est substantiel, je vous le dis. J’estime le besoin pour la classe moyenne entre 20.000 et 25.000 logements par an. Dommage que cela ne soit pas pris en compte par le gouvernement. Vous savez, quand le bâtiment va tout va! C’est une industrie qui agrège plus de 50 corps de métier. Tant que l’Etat ne lâche pas du leste sur le moyen standing, les opérateurs ne suivront pas.
N’est-il pas temps d’institutionnaliser le tour de table d’Addoha, voire de baisser votre participation?
L’entreprise est déjà très institutionnalisée. Des Emiratis, un très grand fonds d’Afrique du Sud, des fonds d’investissements américains, sans parler d’investisseurs nationaux, participent à notre tour de table. L’institutionnalisation passe aussi par des administrateurs indépendants, comme René Fourtou et Philippe Faure, ancien ambassadeur de France au Maroc, lesquels, jouissant de larges réseaux internationaux, et qui nous offrent une grande valeur ajoutée. Personnellement, je ne suis qu’à 55% et je ne compte pas baisser ma participation.