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Les voies de la relance

Enquête octobre 2016

Les voies de la relance

A la veille d’élections décisives, les voix se lèvent pour une véritable rupture dans les politiques économiques. 

«Voilà six ans que tous les responsables sont au fait des  indicateurs qui sont au rouge. Rien, ou presque n’a été entrepris. Le premier chantier est l’assainissement du circuit de la décision», résume sans concession Raymond Benhaim, économiste et ancien conseillé de Abderrahmane El Youssoufi. Un constat que personne, aujourd’hui, n’est en mesure de contredire. Car les faits sont bien là. Si l’année 2016 s’annonce particulièrement catastrophique pour cause de sécheresse, il n’en demeure pas moins que 2015 n’a pas été un bon cru et ce, malgré les pluies exceptionnelles qui l’ont marquée. Et c’est ce que confirme d’ailleurs le très orthodoxe rapport de la banque centrale paru fin juillet dernier. «L’atonie des secteurs non agricoles s’est poursuivie, la progression annuelle de leur valeur ajoutée étant restée limitée à 2,1% depuis 2013, contre une moyenne de 4,7% entre 2003 et 2012»,  précise Abdellatif Jouahri dans son discours de présentation devant le roi.  Cette situation de faiblesse de la croissance sur le long terme (autour de 4% alors qu’elle doit se situer à au moins 7% annuellement) a engendré une baisse du taux d’activité des populations atteignant près de 50%. Ce qui signifie que malgré le fait que l’économie crée moins d’emplois (création de 129.000 postes en moyenne entre 2003 et 2014, contre 33.000 en 2015), le taux de chômage reste aux alentours de 10%, toujours selon Jouahri. Et ce n’est pas la politique de la demande maintenue systématiquement par tous les gouvernements successifs depuis 2007 qui a inversée la tendance. Au contraire, et selon les dires même de Mohammed Boussaid, ministre de l’Economie et des Finances, lors d’une conférence à la trésorerie générale du royaume (TGR), le 16 septembre dernier, qui n’a ainsi pas hésité à déclarer que «la politique de la demande a mené à l’insoutenabilité des finances publiques. En 2013 nous allions vers un déficit budgétaire de 7% ce qui nous conduisait directement vers le non respect des engagements pris devant le FMI». Une série de bricolage budgétaire vont s’en suivre pour limiter la casse et se maintenir en dessous des 5% et ce, malgré les dons des pays du Golfe qui, selon les estimations du ministre des Finances se sont situés à 37 milliards de dirhams à fin 2016 et un endettement monstre qui est passé de 430 milliards de dirhams fin 2011 à 620 milliards fin 2015 (Voir E|E de juillet 2016).

«L’économie marocaine est à 40% informelle»

Myopie décisionnelle
Ce qui pousse certains observateurs à appeler à changer de fusils d’épaule. Ainsi, pour l’économiste Mohammed Chiguer, la décision économique au Maroc souffre d’un déficit d’analyse. «Il faut un meilleur diagnostic de l’économie nationale. Il faut arrêter de prendre des décisions économiques sur la base que le Maroc est une économie de marché pur. L’économie marocaine est à 40% informelle». Un chiffre qui recoupe étrangement celui du taux de bancarisation de la population qui ne dépasse pas les 60%. Se basant sur les recommandations standardisées de la Banque mondiale et du FMI et autres majors internationales du conseil, nos dirigeants ont-ils pêché par myopie économique? Alors que les décideurs marocains s’enorgueillissent d’être les bons élèves du FMI et que le Maroc est le premier client africain de la Banque mondiale et de la BAD, tous les plans stratégiques depuis 2000 sont l’apanage de cabinets de conseil internationaux. Ainsi, selon l’économiste spécialisé en finance publique Abdelkader Berrada, «en matière de politique économique, financière et commerciale, l’Etat sollicite fréquemment l’intervention de multinationales du conseil dont l’implantation au Maroc se renforce parallèlement à l’affaiblissement des capacités publiques d’expertise (conception, gestion et évaluation des politiques publiques). Les organismes financiers internationaux et l’Union européenne, outre leur rôle en tant que bailleurs de fonds, demeurent cependant la principale usine à idées de l’administration chérifienne. Durant la période 2005-2009 uniquement, la Banque mondiale, plus spécialement, compte à son actif 59 travaux d’analyse, parmi lesquelles 35 études économiques et sectorielles, réalisés pour son client numéro un en Afrique». Et selon un dossier préparé par notre confrère Yabiladi.com, sur un total de chiffre d’affaires de 700 à un milliards de dirhams annuel du secteur du conseil en stratégie et en organisation au Maroc, les deux tiers sont l’apanage de l’Etat. Le recours systématique à des organes externes serait arrivé à tel point où dans certains cas ce sont les représentants de ces cabinets qui présentent au public les stratégies nationales qu’ils élaborent au lieu et place des responsables publiques de tutelle qui devraient être leur porteur et les responsables de leurs mise en place en dernier ressort. Cette externalisation de la réflexion et de la décision souvent à des étrangers ferait-elle perdre au Maroc le sens de ses réalités? C’est du moins ce qui semble ressortir de la faiblesse des rendements relatifs de l’économie marocaine des 20 dernières années avec sa multitude de plans sectoriels et ses 55 Accords de libres échanges. Ce qui pousse Raymond Benhaim à souligner: «L’intensité des choix et des réalisations économiques des deux dernières décennies impose une évaluation concertée des plans sectoriels. Et optimiser et élargir les résultats positifs des évaluations de ces plans par la diffusion de leur raccordement». Abdellatif Jouahri pousse le bouchon encore plus loin lors de la conférence de la TGR en insistant sur le fait de revenir à «une planification stratégique de l’économie dans son ensemble, même les USA le font…». Une recommandation réitéré par Mohamed Bastaoui, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes pour qui il faut  «une révision des politiques sectorielles lancées jusqu’à aujourd’hui, associée à une planification stratégique sur les 10-15 années à venir». Dans le même sens, Brahim Benjelloune Touimi, directeur général de BMCE Bank, propose même la création d’une instance d’évaluation dépendant du Conseil économique, social et environnemental chargée de la consolidation et de l’évaluation des divers plans sectoriels, une «Instance  d’évaluation des actions et stratégies de développement coordonnées pour l’emploi».

L’externalisation de la réflexion à des étrangers ferait perdre au Maroc le sens des réalités

Justice et gouvernance
A cette faiblesse de la planification stratégique et de suivi et évaluation des politiques publiques s’ajoute un autre point noir de l’économie qui est en lien avec le cadre de la gouvernance et l’indépendance et l’efficience de la justice.  «Comment peut-on investir lorsqu’une simple autorisation moisit dans les tiroirs pendant plus de six mois?» relève Youssef Douieb, directeur général adjoint de l’assureur crédit Euler Hermes. Une question rhétorique qui revient souvent dans la bouche de nos interlocuteurs. «Les lourdeurs administratives ne sont pas de nature à fluidifier l’économie et beaucoup trop d’investisseurs et de porteurs de projets en souffrent», résume pour sa part Khalid Ayouch, directeur général d’Inforisk. De dépit ou de rage, nombreux sont ceux qui ont soulevé le problème de la bureaucratie et de la justice pour expliquer l’atonie économique ambiante. Des questions plus largement liées à la gouvernance et à la qualité des institutions qui fait que l’investissement, l’emploi et la boucle économique ne suivent pas des courbes vertueuses. Fouad Abdelmoumni, économiste et secrétaire général de Transparency Maroc, ne préconise pas seulement une simplification et une dématérialisation croissante des procédures, comme beaucoup d’autres l’ont fait, mais surtout «que le prochain gouvernement prenne des mesures pour interdire les interférences sur les décisions des organes de contrôle et de justice». La rente et la prébende constituent donc encore un des freins à la croissance économique et se substitue souvent à la création de richesse et de valeur soutenable sur le long terme. Cela alors même que le gouvernement sortant en a fait une de ses priorité majeures (sur le papier du moins) mais qui reste un phénomène prégnant du monde des affaires comme semble l’affirmer Taieb Aisse, président d’Amal Entreprise. «Il est crucial de revoir l’architecture d’un système économique largement basé sur la rente et non sur la libre concurrence. Cette économie de rente est rendue possible grâce à la complexité du système administratif qui détériore sérieusement notre environnement des affaires», affirme Aisse.

La rente et la prébende constituent donc encore un des freins à la croissance économique

Services publics et équité sociale
L’éducation et la qualité des ressources humaines semblent être en haut des préoccupations et une des séquelles du mal développement version marocaine. Au-delà de la traditionnelle rengaine de l’adéquation de la formation à l’emploi, nombreux sont aujourd’hui ceux qui pointent du doigt la qualité de la formation de base qui n’a cessé de se dégrader au Maroc. En cette période de rentrée scolaire, les classes de 50 à 60 élèves sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses dans l’enseignement public et cela même dans des grandes villes et malgré les moyens budgétaires conséquents dont est doté le ministère de l’Enseignement avoisinant les 5% du PIB annuel, largement au-dessus de la moyenne mondiale. Mais en se basant sur les comparatifs internationaux qui tous sans exception placent le Maroc aux dernières ou avant dernières places. «le pays régresse si on compare les scores réalisés par les élèves marocains en 2007 par rapport à 2011», affirme ainsi Abdellatif Jouahri et d’ajouter: «Selon nos estimations, le pays gaspille entre 8 et 9 milliards de dirhams annuellement entre redoublement et déperdition scolaire», ce qui implique, selon lui, «l’urgence de l’optimisation des ressources de l’Etat et une révision de l’approche adoptée pour l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques». Plus largement, c’est une meilleure répartition de l’impôt et une plus grande implication de l’Etat dans les services sociaux de base qui serait la voie du salut. Transport, santé publique mais aussi équité fiscale et égalité devant les opportunités. Une voie pour inciter à créer de la richesse et l’investissement dans les secteurs productifs, notamment l’industrialisation accélérée et l’agriculture. Un changement de modèle d’une économie basée sur la consommation de produits importés à celles de biens et services produits localement par les PME et TPE. Ainsi, pour Abdelkader Berrada, «la concentration/centralisation du capital volontairement encouragée par l’Etat à l’avantage de groupes minoritaires privés, qui se recrutent aussi parmi la haute bureaucratie, gagne du terrain sans pour autant mettre le royaume sur les rails du développement durable». Il s’agit de la nécessité d’une refonte des diverses variantes de la politique économique «la politique budgétaire (fiscalité, emprunts, commandes publiques, subventions, infrastructure, etc.), de la politique monétaire (crédits, etc.), de la politique des prix et des salaires, etc.» qui doivent aller dans le sens d’une égalité des chances économique et sociale.
Au-delà de mesures cibles, il ressort de l’ensemble des propositions et analyses récoltées que c’est la nécessité d’un revirement dans le modèle de croissance adopté durant les vingt dernières années qui semble se profiler. Un modèle qui, malgré une implication forte de l’Etat via la dépense publique financée à travers les privatisations (110 milliards de dirhams de recettes selon BAM), l’impôt, les dons et surtout l’endettement, n’a pas réussi à mettre le Maroc sur la voie de l’émergence, mais qui, au contraire, montre un gaspillage de ressources et d’opportunités qu’il serait temps de rationaliser.