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El Hassan Boukouta|Gouverneur, directeur des Régies et des Services concédés

Interview mai 2015

El Hassan Boukouta|Gouverneur, directeur des Régies et des Services concédés

Il détaille dans cette interview la mission assignée à sa direction de veille à la bonne exécution des engagements contractuels des gestionnaires délégués. Boukouta annonce surtout la fin de la gestion déléguée et le lancement d’une grande réforme de la distribution de l’eau et de l’électricité en phase avec la régionalisation avancée.

Votre direction est peu connue du grand public. Quelle est votre mission exactement ? Etes-vous davantage dans le contrôle des gestionnaires délégués ?
Notre mission est de concevoir avec les opérateurs et les organes de gestion la stratégie de l’Etat en matière de services publics de proximité (eau, électricité, assainissement, transport urbain, etc.) et de veiller à assurer la supervision quant à sa mise en œuvre, continuité, qualité et efficacité. En ce qui concerne les gestions déléguées, nous ne sommes pas directement dans le contrôle. Nous assistons les autorités délégantes, que sont les communes, pour le suivi et le contrôle et nous veillons à la bonne exécution des engagements contractuels des gestionnaires délégués. Nous œuvrons également pour la recherche des financements pour accompagner les collectivités territoriales en matière de développement des villes.   

Qui sont ces contrôleurs ?
Outre le contrôle exercé par l’Etat, les communes disposent, à l’égard des délégataires, d’un pouvoir général de contrôle technique, financier et de gestion des services délégués. Le contrôle de la gestion déléguée s’effectue par le biais d’un Service Permanent de Contrôle (SPC) relevant des communes et qui assure un suivi quasiment quotidien de l’exécution du contrat de gestion déléguée. Du fait que ce sont des services créés spécifiquement pour le suivi de ces contrats, il existe donc un SPC par contrat de gestion déléguée.

Il est constitué par des représentants des élus de la ville?
Il est plutôt composé d’ingénieurs et de cadres financiers expérimentés qui ont la compétence nécessaire au contrôle de ce type de services. Les membres des SPC sont, de ce fait, souvent des ingénieurs et des cadres ayant exercé dans des ex-régies de distribution. Le responsable du SPC est nommé par le ministre de l’Intérieur sur proposition du président de l’autorité délégante. Il y a aussi le comité de suivi qui est une structure tripartite composée des élus de la ville et des représentants du délégataire et de l’autorité de tutelle. Sa mission est de décider sur tous les aspects liés à l’exécution du contrat de gestion déléguée (les budgets annuels et les plans pluriannuels d’investissement, les tarifs, les affectations du compte, les fonds de travaux et la révision quinquennale des contrats, etc).

Vous êtes donc davantage dans la réflexion stratégique. Peut-on savoir alors quelles sont aujourd’hui les grandes orientations de l’Etat en matière de services de proximité?
Je dirais que ces orientations portent essentiellement sur la généralisation de l’accès à l’eau et à l’électricité et à l’assainissement liquide aux meilleures conditions de coût et de qualité et l’anticipation des besoins de développement des villes en matière d’infrastructures de la distribution et de transport urbain. Il y a aussi la réforme de la gouvernance du secteur de la distribution et du transport urbain permettant de réaliser des économies d’échelle, de créer les conditions de coopération et de partenariats public-public et public-privé et d’assurer l’équilibre économique des opérateurs.

C’est une mission qui reste tellement valable dans le temps et l’espace qu’elle ne devrait pas en être une !
Oui, mais détrompez-vous, les temps changent et souvent très rapidement. Prenez l’exemple de Maroc Telecom, alors qu’il y a à peine quelques années, les télécommunications étaient juste un office au sein d’un département ministériel. Aujourd’hui, Maroc Telecom est une véritable réussite à l’international grâce aux réformes stratégiques qui ont été mises en place par les pouvoirs publics. Donc, à l’intérieur de l’orientation stratégique globale, il y a une réforme du secteur de la distribution, initiée par les pouvoirs publics pour mutualiser et optimiser les investissements à l’échelle d’une région administrative. Il y a à peine deux décennies, la gestion déléguée était un mode impensable. Aujourd’hui, nous en faisons une référence car, de l’avis même de la Cour des comptes, elle a permis de tirer le secteur vers le haut. Demain, il en sera peut-être autrement. Et nous devons être là pour améliorer et adapter les modes de gestion aux exigences croissantes des services publics.

Que pensez-vous de l’expérience de la gestion déléguée telle que déployée par les multinationales françaises, vous qui avez une longue expérience dans les régies de distribution autonomes ?
Je pense que le mode de gestion déléguée a globalement rempli la mission et les objectifs ayant justifié son adoption vu le contexte particulier dans lequel il est intervenu. Si on prend l’exemple de Casablanca, étant donné que c’est l’expérience la plus ancienne et la plus constituante de par le territoire couvert et de par l’importance stratégique de la capitale économique, il faudrait rappeler qu’en 1997 la ville souffrait d’un manque d’investissement en infrastructures. Il était alors urgent de mettre à niveau ces infrastructures et permettre un développement cohérent et adapté à sa vocation et à sa vitesse de croissance. Le délégataire a ramené à ce moment-là les capitaux nécessaires mais aussi et surtout le savoir-faire technique et managérial dont on avait besoin. Toutefois, des insuffisances ont été relevées, généralement rattrapées au moment des révisions quinquennales des contrats.

Cela s’est fait sur le dos du consommateur moyen qui a vu flamber sa facture eau et électricité…
C’est une idée reçue qui n’est pas totalement fondée. Ce qui l’en est réellement c’est que les augmentations des prix n’ont concerné que les premières années. Par la suite, il était exclusivement question d’ajustement des tarifs en fonction de l’inflation. En contrepartie, l’entreprise a doté la ville d’une infrastructure moderne et a réalisé un important travail de rationalisation de la distribution permettant d’économiser des volumes importants en eau potable, ce qui a permis d’épargner à la collectivité des investissements au niveau de la production.

Pourtant, côté investissement, Lydec a été pointée du doigt aussi bien par les élus de Casablanca que par la Cour des comptes pour ne pas avoir réalisé les investissements contractuels. La Cour des comptes parle d’un taux de réalisation de seulement 26% !
Selon les chiffres officiels dont nous disposons, Lydec a réalisé plus de 80% des investissements contractuels dans le sens où l’entreprise a mobilisé les fonds et l’ingénierie nécessaires pour ce faire. De même pour les autres contrats, les taux de réalisation d’investissements contractuels, tous financements confondus (autorité délégante et délégataire) ont atteint environ 88% pour Redal, 91% pour Amendis-Tanger et 96% pour Amendis-Tétouan. Il est vrai que pour quelques cas, les réalisations butent parfois sur des facteurs exogènes à l’entreprise et qui retardent la réalisation de certains projets. Ces facteurs sont souvent liés à la problématique de mobilisation du foncier dont la solution relève plutôt de la responsabilité des autorités délégantes. Il va sans dire que de temps en temps, il y a eu des dysfonctionnements qui sont imputables au délégataire, pour lesquelles des mesures de redressements, voire coercitives sont prises à son encontre.

Malgré ce plaidoyer visiblement convaincu de la prestation rendue de Lydec, vous estimez que la gestion déléguée est un mode révolu. Pourquoi ? Et qu’en sera l’alternative ?
Nous pensons qu’aujourd’hui la gestion déléguée a apporté une valeur ajoutée, mais il est temps de penser à d’autres modes répondant mieux au développement rapide que connait notre pays et ce, en cohérence avec la nouvelle vision précitée, qui s’inscrit dans le cadre de la restructuration de la distribution à l’échelle de la Région. 

Plus concrètement ?
Plus concrètement, nous sommes sur le point d’entamer une grande réforme aussi bien du secteur de la distribution de l’eau et de l’électricité qu’en matière de transport en commun. IL s’agira de prendre en considération le nouveau découpage régional qui débouchera sur la création de grandes agglomérations urbaines. Pour assurer l’harmonisation, qu’elle soit qualitative ou en termes de tarifs, il faut avoir un seul opérateur. Cela permettra également d’optimiser et de mutualiser les investissements en infrastructures pour répondre aux besoins sans cesse croissants des agglomérations en permettant une meilleure péréquation entre investissements et recettes.

Qu’en sera-t-il côté gouvernance ?
Il est question de créer des sociétés de distribution régionales (SDR) sur le modèle des SDL détenues à un minimum de 51% d’actionnariat public.

Elles pourraient alors être introduites en bourse…
Effectivement. Tout ce qui vient au-delà des 51% peut intéresser le secteur privé. Et l’entrée de ce dernier dans le capital des SDR pourra s’effectuer, entre autres, à travers un appel à l’épargne publique par le biais de la Bourse. Mais étant donné les investissements colossaux que demande ce secteur, leur réalisation nécessite l’appui de l’Etat vu le caractère vital de ces services.

Quid alors des contrats de gestion déléguée actuels (Lydec, Amendis…) ?
Une fois arrivés à leur terme, la décision revient aux collectivités de choisir le mode de gestion tout en respectant la réglementation en vigueur, et en cohérence avec la réforme précitée.

Et pour les transports en commun ?
Pour les transports en commun, nous sommes en train de réfléchir à la mise en place d’un système de gestion décliné en mode d’affermage où le concessionnaire est rémunéré en fonction du kilométrage effectué. En termes d’architecture institutionnelle, les transports en commun seront gérés par des holdings SDL, à l’image de Casa Transports. La holding définit le cahier des charges, gère le patrimoine et assume le risque commercial. L’opérateur, quant à lui, assume le risque industriel.

Donc, la réforme de la distribution en question est déjà effective au niveau du Grand Casablanca…
Oui, en quelque sorte. Effectivement, l’idée de départ est de mener une sorte d’expérience pilote au niveau de la région du Souss-Massa-Draa. Mais au vu de l’urgence et de l’importance des besoins au niveau de Casablanca (28 milliards de dirhams d’investissement pour les 30 années à venir), notre action est menée en parallèle sur les deux régions.

Cette concession de services élargie ne risque-t-elle pas de remettre en cause la pérennité de l’entreprise publique qu’est l’ONEE?
Il faut rappeler que dans la charte communale, il revient aux communes de choisir le mode et l’opérateur de distribution qui leur conviennent conformément à la réglementation en vigueur. Donc, la distribution est une attribution communale. Conformément à la loi de création de l’ex-ONE, celui-ci n’intervient au niveau de ce secteur qu’en l’absence d’un distributeur local. Il convient de souligner que cet office a permis à notre pays de généraliser l’accès à l’eau et à l’électricité, notamment en milieu rural. Mais, aujourd’hui, il est question de préserver cet outil à caractère national et stratégique en lui donnant les moyens nécessaires pour assurer son équilibre financier, pour lui permettre de renforcer ses investissements dans d’autres activités plus importantes.

Mais le fait de priver l’ONEE de plus de 400 millions de son chiffre d’affaires réalisé sur certaines communes du Grand Casablanca n’est-il pas en contradiction avec cet objectif d’équilibrer les finances de l’office?
Nous pensons que cette opération qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie de l’Etat relative à la réforme du secteur de la distribution est dans l’intérêt de la collectivité. L’objectif de cette opération d’harmonisation des périmètres à l’échelle de la région du Grand Casablanca est d’assurer un développement harmonieux des activités de l’électricité, de l’eau potable et de l’assainissement liquide garantissant l’optimisation des investissements publics. Une étude d’évaluation de son impact financier sur l’Office est en cours de réalisation par celui-ci. La gestion de ce nouveau périmètre sera assurée par l’opérateur dépendant de l’autorité délégante.

Quel a été le grand enseignement tiré des évènements du 20 février 2011 ? Cela a-t-il changé quelque chose dans votre façon de faire ?
Il est certain que les évènements du 20 février 2011 ont été un enseignement quant aux attentes de la population vis-à-vis du service public en général et des services concédés plus particulièrement. Cela dit, à notre niveau, nous avons demandé aux gestionnaires sous notre tutelle de prendre en considération les réclamations des citoyens et de les traiter avec beaucoup de réactivité et de célérité. Autrement, il est pour nous un souci continuel que de veiller à fournir à l’usager le meilleur service tout en étant efficace et équilibré financièrement et je peux vous assurer que nous n’avons pas attendu le 20 février pour être dans cette logique. Le fait de penser à de nouveaux modes de gestion émane justement de cette préoccupation constante. 

L’ingénieur

El Hassan Boukouta fait partie de ces hauts cadres du ministère de l’Intérieur, un département réputé pour la qualité exceptionnelle de ses ressources humaines. Loin de l’image du flic suspicieux que peut renvoyer a priori un employé de ce mastodonte sécuritaire, c’est plutôt à un ingénieur qui maîtrise son sujet et à un personnage ouvert à l’échange et à la contradiction que nous avons eu affaire. Economie&Entreprises a essayé de le titiller sur des questions aussi sensibles que la gestion Lydec de l’eau et de l’électricité à Casablanca, le 20 février, le devenir de l’ONEE, la définition des prix payés par le citoyen, les investissements de l’Etat dans ce domaine, ou encore la concurrence au niveau du secteur de la distribution… Un échange sincère qui permet d’avoir, au final, un bon tour d’horizon de ce que sera la distribution de l’eau, de l’électricité et peut-être du gaz dans 20-30 ans. Au calvaire des gestionnaires délégués étrangers devra succéder une sorte de retour à la distribution publique. Un retour à la normale vu la sensibilité politique de telles marchandises. Et pour tout de même bénéficier de l’esprit d’innovation que peut apporter le privé, ce dernier pourra détenir une part du capital des sociétés de distribution dans le cadre de SDL. Un modèle que l’on verrait bien adopté dans d’autres domaines encore plus stratégiques, tels que l’Education ou la Santé.