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Abdelkader Amara|Ministre de l’Energie et des Mines

Interview mars 2015

Abdelkader Amara|Ministre de l’Energie et des Mines

Abdelkader Amara semble très à l’aise avec le portefeuille de l’Energie. Il y a apporté une touche particulière éprouvée durant des années de travail acharné au parlement, dans l’ombre. Cela lui permet aujourd’hui de réussir des prouesses inespérées: accélération de la recherche pétrolière, libéralisation des prix des hydrocarbures et plan gazier, entre autres.

Comment la baisse extraordinaire des prix du pétrole impacte-t-elle votre stratégie énergétique ? Peut-on parler d’un chamboulement ?
La baisse actuelle ne peut être considérée comme une tendance de fond, durable. Ce n’est qu’un ajustement temporaire et qui ne peut en aucun cas nous pousser à revoir de fond en comble nos choix et orientations stratégiques. Ces derniers, faut-il le rappeler, sont basés sur la nécessité de diminuer notre vulnérabilité et dépendance énergétique en augmentant la part du renouvelable dans le mix énergétique. En 2008, nous étions à 95% de dépendance aux énergies fossiles. Nous sommes aujourd’hui à 84%. Cela prouve bien que nous sommes sur la bonne voie. Mais au-delà des considérations d’ordre énergétique, le Maroc a tenu à faire de l’investissement dans le renouvelable une opportunité pour développer également l’industrie et la R&D dans ce domaine. On parle de 35 à 36 milliards de dirhams d’investissements et il est inconcevable de laisser filer cette chance sans que l’on puisse en tirer profit pour amorcer un processus de développement global et équilibré. Néanmoins, du côté des industriels et détenteurs de capital marocains, il faut qu’ils puissent être prêts à s’inscrire dans cette nouvelle mouvance en intégrant la disparition irréversible de plusieurs branches industrielles dans lesquelles ils opèrent aujourd’hui et en se redéployant vers les niches porteuses telles que le renouvelable. Il est aussi question d’arriver, à terme, à exporter de l’électricité mais aussi à inciter les opérateurs industriels à en produire pour soi.

Comment comptez-vous vous y prendre?
Nous allons, dès cette année, s’attaquer à l’ouverture de la production d’électricité moyenne tension pour qu’en 2016 on ouvre complètement le secteur, qu’on en déplafonne la production en invitant les opérateurs à tirer profit de ces nouvelles conditions de marché. L’investissement dans le renouvelable devra, en conséquence, devenir plus intéressant et plus incitatif. Mais pour ce faire, il faudra également disposer d’un organe de régulation et la loi permettant de créer une agence dédiée devra entrer dans le circuit parlementaire avant la fin de l’année.

Pours rester dans le pétrole, une question qui intrigue les Marocains: dispose-t-on de pétrole en quantité suffisante ?
Il y a beaucoup d’indicateurs encourageants, et l’engouement des majors mondiaux de l’exploration pétrolière le confirme. Ainsi, je pense qu’à force d’essayer, on finira par trouver du pétrole au Maroc en quantités suffisamment intéressantes pour une exploitation viable dans deux à trois ans. Il faut savoir que le Maroc suit en cela le même scénario vécu par plusieurs autres pays aujourd’hui grands producteurs. Ainsi, en mer du Nord, c’est au bout du forage du 238ème puits qu’on a pu découvrir le gisement qui a changé la donne. Nous, nous sommes à des taux de forage infiniment insignifiants par rapport à notre potentiel. Nous disposons au Maroc de 900.000 km2 de zones potentiellement explorables. Ce qui est effectivement exploré ne dépasse pas les 90.000 km2!

Mais force est de constater qu’en termes de communication sur le sujet, le Maroc est très prudent. Faut-il y avoir la crainte d’un autre scénario à la Talsint ?
Je ne pense pas que l’on soit aujourd’hui dans une posture dictée par le syndrome de Talsint. Au contraire, je considère que depuis que je suis là nous essayons de communiquer de plus en plus, car il est important de rester présents dans les radars des investisseurs mondiaux et de susciter continuellement leur intérêt. Mais, comme vous le savez, la communication est une arme à double tranchant. Les communiqués bien ficelés des multinationales pétrolières parlant de signaux encourageants sont souvent amplifiés, voire déformés en bout de chaîne et l’on se retrouve avec des annonces complètement insensées, créant parfois de faux espoirs et beaucoup de frustration chez les individus. C’est la raison pour laquelle j’ai, dès mon arrivée au département de l’énergie, organisé une formation pour la presse sur les questions d’exploration pétrolière. Aussi, je suggère à l’Onhym d’opérer la même démarche mais aussi d’adopter une communication moins technique et plus ouverte à une large frange de la population.

En parlant de l’Onhym, comment se passe la relation avec Madame Amina Benkhadra, ex-ministre à ce même portefeuille et symbolisant, à elle seule, la politique énergétique du Maroc?
Il n’y a pas que Madame Benkhadra qui soit sous ma tutelle; il y a aussi d’autres grands calibres comme Mostpaha Terrab ou encore Mustapha Bakkouri. Ce sont, en effet, de grands et de vrais commis d’Etat avec qui collaborer est plutôt facilité par leur sens aigu du service public. A mon niveau, je pars du principe que chacun a ses prérogatives et qu’il doit agir dans ce cadre précis. A moi revient l’orientation politique, à eux la mise en œuvre opérationnelle et technique.

Vous avez lancé un gigantesque plan pour le Gaz naturel liquéfié (GNL) avec 40 milliards de dirhams d’investissements à la clé. Comment ce plan va-t-il toucher le commun des consommateurs ?
Vous faites bien de poser cette question à laquelle je ne peux répondre sans rappeler la genèse de ce plan. Vous le savez sans doute, ce dernier était dans le circuit il y a au moins une quinzaine d’années. Aucun responsable politique n’a pu le sortir. Quand j’ai demandé pourquoi, j’ai découvert que l’on attendait la promulgation du Code gazier. En y voyant de plus près, j’ai constaté que 60% des besoins en GNL concernaient la production de l’électricité, contre 30% pour l’industrie. Or, les 60% dédiés à l’électricité pouvaient très bien être assurés dans le cadre de la réglementation actuelle de l’ONEE, à savoir la loi 40-09, sans avoir besoin d’un code. D’où est venue l’idée de procéder par bloc: gas to power dans un premier temps et gas to industry dans un second temps. Grâce à cela, notre plan gazier est enfin en marche. J’ai déjà reçu plusieurs offres de partenariat qui portent sur au moins 3 milliards de mètres cubes. L’engouement suscité nous réconforte dans notre vision et nous pensons que les premières livraisons de GNL devront être reçues comme programmé à l’horizon 2020-2021. Entre temps, nous devons être en mesure de mettre en place l’infrastructure nécessaire pour sa réception et distribution. Il s’agit, à ce niveau de la construction, d’un quai méthanier, d’une usine de regazification et d’un pipeline d’une longueur de 400 km.

Quel apport pour l’industrie nationale ?
Les gains permis par l’adoption du GNL sont d’une importance inestimable. Il faut savoir qu’il est beaucoup plus disponible dans le monde que le pétrole et à des cours plus intéressants et qu’il est infiniment moins polluant et se marie mieux avec les énergies renouvelables. Aussi, nous devront bénéficier de conditions de marché meilleures, d’ici le démarrage, car plusieurs contrats d’approvisionnement arriveront à terme vers 2020. Pour l’industrie, il permet des économies de coûts extraordinaires. Aujourd’hui, les entreprises situées dans le bassin du Gharb, ayant substitué le GNL au fuel, affichent des niveaux de coûts deux fois inférieurs suscitant la jalousie des concurrents. Il y a là donc un réel besoin d’accélérer l’adoption et la généralisation du GNL. L’implémentation de la phase gas to industry dépendra de l’adoption du Code gazier, mais ce sera, je l’espère, chose faite avant la fin de mon mandat. J’en viens enfin à votre question pour dire que l’introduction du gaz de vie interviendra à la troisième phase à l’horizon 2025 maximum.

L’ONEE est, de manière générale, un acteur majeur de votre stratégie gazière et énergétique. L’office a fait récemment l’objet de plusieurs déboires. Quelle position adoptez-vous face à cela ?
Vous parlez de déboires, je dirais qu’il s’agit plutôt de difficultés, dont l’ONEE n’est pas totalement responsable. J’ai, et je l’assume, défendu bec et ongles l’ONEE, car c’est un établissement stratégique riche en expertise et en savoir-faire accumulés sur 50 ans d’exercice au service du pays. Il faut aussi le reconnaître et l’admettre, l’ONEE atteint aujourd’hui une certaine maturité qui doit l’amener à opérer les changements qui s’imposent, notamment en termes de gouvernance, pour mieux accompagner les défis énergétiques qu’ambitionne de relever notre pays. A ce niveau, le contrat-programme signé en 2014 libère l’ONEE de plusieurs contraintes, notamment celle liée au prix. Aujourd’hui, seules les tranches sociales subissent un traitement en dehors de la logique du marché. Le reste a subi une augmentation dont le gouvernement a eu le courage d’assumer le risque politique. De son côté, l’ONEE doit donc en tirer profit pour réussir sa mue, notamment en améliorant ses rendements opérationnels. Dans ce sens, parmi ses engagements tenus vis-à-vis de l’Etat, il doit dégager 8 milliards d’économies. C’est pour dire que le challenge est considérable.

Pensez-vous que, pour y arriver, il ne faille mieux articuler les synergies ONE-ONEP?
Je pense que ces synergies devront être, à terme, effectivement mieux développées. Mais, je tiens à rappeler que l’ONEE ne doit pas être perçue comme une entreprise privée animée par le seul idéal du profit, car il est aussi et surtout un outil au service de la politique économique et sociale du pays. Le plus important aujourd’hui est d’arrêter l’hémorragie, instaurer la bonne logique, enclencher le changement et le conduire avec la plus grande délicatesse qui soit pour préserver les acquis des différentes parties prenantes tout en permettant à l’office de remplir efficacement les nouvelles missions qui lui sont confiées. Dans ce sens, il va sans le dire que le processus de la libéralisation du secteur de l’électricité devra être mené à terme.

Quel rôle devra jouer l’ONEE après la libéralisation ?
A mon avis, l’Office devra continuer à assumer la fonction de transport de l’énergie et cela d’autant plus que l’injection de plus en plus importante des énergies renouvelables dans le réseau, sa gestion revêtira un caractère davantage stratégique. Les fonctions de production-distribution devront en conséquence être soumises au jeu concurrentiel du marché.

ONEE SA à l’image de l’OCP?
Je ne vous dis pas oui, je ne vous dis pas non; cela reste ouvert à toutes les possibilités.

Revenons, si vous le permettez Monsieur le Ministre, aux hydrocarbures. Fin 2015, on aura une libéralisation totale des prix. Pensez-vous que les pétroliers aient aujourd’hui les moyens de suivre, notamment en termes de capacité de stockage ?
Il est certain que les plus petits auront du mal à tenir et qu’un large effet d’agrégation devra être opéré au sein du marché pour arriver à des tailles critiques permettant de répondre aux impératifs d’investissements et d’économies d’échelle que requière la nouvelle donne. Quant aux capacités de stockage plus spécifiquement, permettez-moi encore une fois de préciser que bon nombre des décisions stratégiques partent de simples appréciations de bon sens. Aujourd’hui, la réglementation oblige les pétroliers à constituer 90 jours environ de stocks de sécurité. Chose qui n’est jamais respectée dans les faits et les opérateurs ont plutôt tendance à raisonner en termes de stocks commerciaux. Mais, en les écoutant, je me suis rendu compte que leur argumentaire n’était pas sans fondements. En effet, étant à la croisée des chemins commerciaux internationaux, le Maroc a effectivement une importante capacité de réponse à un accroissement de la demande locale. Cela tout en permettant aux opérateurs une meilleure opportunité de tirer profit des différents arbitrages offerts en termes de cours. Il est donc aujourd’hui logique, voire indispensable de repenser la notion de stocks de sécurité pour la ramener à quelque chose de plus réaliste. Pour les investissements en entrepôts de stockage, les options définitives n’ont pas encore été arrêtées: est-ce que ce sera aux distributeurs de le faire ou à des opérateurs spécialisés? Ce qui est sûr aujourd’hui c’est que les pétroliers disposent, au titre de l’ancienne structure, des prix d’une cagnotte de 2,5 milliards de dirhams relative aux subventions pour stockage. Celle-ci devra naturellement aller au renforcement des capacités.

La concurrence prix devra également toucher à la qualité du carburant importé. Comment verrouiller ce volet ?
C’est un souci dont nous avons conscience aujourd’hui. Nous sommes en train de refondre le Dahir de 1973 consacré à cet effet et entamons la mise à niveau des laboratoires et instances de contrôle relevant de notre département. Aussi, pour éviter que les pétroliers n’aient que le prix comme seul moyen de concurrence, il est important de recentrer la compétitivité sur des aspects à forte valeur ajoutée, notamment au niveau du service offert. C’est pourquoi nous sortirons bientôt une feuille de route pour le réseau de distribution, afin de l’amener à se hisser au niveau des standards de qualité qu’exige la nouvelle ère.

La communication autour du nucléaire au Maroc a été sensiblement décomplexée depuis que vous êtes au département de l’Energie. Mais, en gros, vos interventions restent centrées sur le fait qu’une telle option n’est pas d’actualité, ce qui laisse, comme pour le pétrole, entrevoir une certaine ambigüité, voire du mystère dans ce dossier.
Aucun mystère. J’admets que la position du Maroc est entre le oui et le non et je pense que c’est un choix intelligent. Mais, il est certain que, tôt ou tard, notre pays devra se doter de centrales nucléaires. Attendre nous permet d’observer l’évolution du secteur qui est aujourd’hui en notre faveur, que ce soit en termes de coûts de la technologie ou en termes de faisabilité. En attendant de trancher, nous travaillons aujourd’hui à préparer l’environnement institutionnel pour implémenter la production et l’exploitation du nucléaire au Maroc. Cela passe par la promulgation d’une loi dédiée, par la préparation et la publication de ses décrets d’application et par la création d’une agence de régulation, etc.

Pour quand donc une centrale nucléaire au Maroc ?
Nous projettons la mise en place d’au moins deux centrales nucléaires de 1.400 mW chacune à l’horizon 2025-2030. Et nous sommes en train de travailler sur l’élargissement de la liste des sites susceptibles d’accueillir une centrale de la sorte. Mais, sincèrement, un changement de donne géopolitique régionale nous aidera énergiquement à passer à une vitesse supérieure à ce niveau. 

Monsieur «bon sens»

Le bon sens, c’est presque une religion chez Abdelkader Amara. Une formule qui revient comme une prière dans sa bouche. Pour lui, plusieurs grandes réformes, irréalisables d’apparence, peuvent être amorcées d’une manière fluide grâce à un minimum de bon sens. Sauf qu’avoir une telle faculté n’a rien d’inné. Elle intervient généralement après un long processus d’apprentissage, de traitement de dossiers et problématiques compliqués, en brassant des tonnes de chiffres, de détails, de dilemmes, etc. En somme, avoir du bon sens, c’est toute une formation. Amara l’a eue au Parlement où il est président de la Commission des secteurs productifs à la Chambre des représentants entre 2002 et 2011. En effet, le ministre PJD est un vrai politique. Mais il est aussi un fin connaisseur de ses dossiers, à croire qu’il est, comme bon nombre de nos technocrates, un centralien expert de l’énergie. Or, il est un pur produit de l’école publique: baccalauréat scientifique au lycée Omar Ibn Abdelaziz à Oujda, en 1979, et diplôme d’ingénieur, puis doctorat à l’IAV de Rabat en 1986. Abdelkader Amara a aujourd’hui 52 ans, il est au sommet de sa carrière politique ayant été aux commandes de deux portefeuilles ministériels des plus stratégiques, avec succès jusque-là. Mais curieusement, jeune qu’il est encore, il se dit fatigué et ne pense pas briguer d’autres responsabilités exécutives dans de futurs gouvernements. C’est que Amara n’aime pas trop les projecteurs et penche plutôt pour la méditation. Sans cela, il n’aurait pas eu autant de bon sens.