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Tariq Kabbage Le maire qui dit NON

Enquête avril 2014

Tariq Kabbage Le maire qui dit NON

Connu pour être inflexible, Tariq Kabbage est aux commandes d’Agadir depuis 2003. Force est de constater que la ville a depuis évolué en termes d’infrastructures et d’équipements. Adulé par certains, détesté par d’autres, qui est ce maire qui sait dire «NON» ?

Installé à la table de réunion plutôt que sur son bureau, Tariq Kabbage, président du Conseil communal de la ville d’Agadir, a l’air d’y passer beaucoup de temps. Ses dossiers minutieusement rangés donnent l’image d’un homme d’affaires organisé. A côté de son bureau, trône un magnifique poster de la baie d’Agadir, rénovée sous son mandat. Ça côté réalisation (plus de détails dans l’article suivant). Côté personnalité, avec Kabbage, c’est d’abord «non» et on ne discute après. «Intègre» pour ses fans, «trop rigide» pour les moins fans, voire même «suspicieux et agressif» pour ses rivaux, le président Kabbage n’est pas du genre à prendre des gants et son franc-parler en gêne plus d’un. D’ailleurs, son frère, Khalid Kabbage dit de lui que «son plus grand défaut c’est son manque de diplomatie. Il est trop direct».  Même son «humour caustique est mal compris». De plus, «pour lui, tout le monde est corrompu ou peut l’être. Il ne fait confiance à personne», affirme un député l’ayant connu de près. D’ailleurs, il ne délègue rien. Tout doit passer par lui.

Qu’offrez-vous à la ville ?
Ainsi, pour déposer un dossier pour autorisation, le projet a intérêt à être bien ficelé. Pour les grands entrepreneurs, la question «qu’offrez-vous à la ville?» revient souvent lors de la demande d’autorisation de projets. Quelques voieries, aires de jeux, écoles, espaces verts et autres équipements voient ainsi le jour à Agadir sans rien coûter au contribuable. La ville aura même un palais des congrès qui sera construit par le complexe cinématographique Megarama grâce à l’habileté du maire-négociateur. Si un promoteur a le malheur de changer le moindre détail à son plan il ne verra jamais la couleur de son permis d’habiter à moins d’effectuer les travaux nécessaires. Ainsi se trouvent bloqués des immeubles, des projets touristiques et des chantiers tout court. L’un des projets bloqués par Kabbage est le conservatoire de la ville. Lancé par son prédécesseur, la construction n’a pas été achevée quand Kabbage prend les commandes car, semblerait-il, «des affaires de malversations auxquelles il refuse d’être mêlé entourent ce projet».
Autre projet, autre «non», celui qui concerne le cinéma Salam situé sur l’Avenue Moqawama. Un promoteur souhaite le transformer en en projet immobilier. Or, ce cinéma fait partie de ceux que Tariq Kabbage appelle les «bâtiments de la reconstruction», à savoir ceux construits juste après le tremblement de terre de 1960 qui a rasé la ville d’Agadir. Intouchables donc même si ce ne sont pas des œuvres d’architectures. La mythique superette Uniprix s’est également vu refuser l’autorisation de surélever les étages construits pour les mêmes raisons. Idem pour la zone touristique. Le maire tient à ce que cette zone reste touristique, c’est pourquoi l’hôtel Salam a des allures de projet abandonné. En effet, les plans qui ont été présentés dans un premier temps représentent un projet immobilier. Alors que le maximum autorisé en immobilier sur la zone touristique est de 30% du projet global avec 70% d’hôtelier. Le deuxième plan présenté respecte cette norme «mais il s’agit tout de même d’un projet immobilier déguisé en résidence hôtelière et donc susceptible d’être vendue comme telle une fois les travaux achevés», estime un responsable proche du maire. Aucune autorisation ne sera donc délivrée. Avec un tel tempérament, le maire semble trouver du plaisir à nager contre le courant et à se créer des ennemis. «Toutes les réalisations du Conseil de la ville se font dans la douleur puisque tout n’est que tiraillement et combat avec le maire», annonce ainsi un membre de l’opposition qui souhaite garder l’anonymat. Et pour le maire, même les liens familiaux ne servent pas à adoucir son côté stricte. Ainsi, il a bloqué le projet de karting de son neveu, craignant une pollution sonore et atmosphérique supplémentaire pour la ville à cause des karts. Mais connaissant son frère, Khalid a poussé son fils à réaliser une étude d’impact sur l’environnement prouvant que la ville ne souffrirait pas de pollution causée par le projet karting.

Les réalisations du Conseil de la ville se passent sur fond de tiraillement avec le maire

Fan des combats
En effet, Kabbage est fan des combats et ils les mènent jusqu’au bout. Quelques exemples. Pour construire une maison de quartier et un espace de jeux, le maire d’Agadir «réquisitionne» un terrain au niveau du quartier El Houda à la holding d’aménagement Al Omrane. Or, le terrain était initialement destiné à voir pousser des immeubles. Selon les dires de Abdellah Elmaintaguy, chef de la division des affaires culturelles, en charges de la gestion des maisons de quartier, «cela a pris des allures de combat». Kabbage ose même tenir tête à son autorité de tutelle. Ainsi, lorsqu’il a un programme sur son planning et qu’il est convoqué pour une cérémonie officielle à la dernière minute, il ne se considère pas obligé d’y assister. Il aurait ainsi, selon cette personne proche de lui, «refusé d’annuler un voyage au Brésil alors que le Roi se trouvait dans la ville»! Une autre fois, «il aurait refusé de répondre à une convocation officielle sous prétexte qu’il avait un déjeuner avec les membres du Conseil à Ait Melloul».   Cette relation tumultueuse avec l’autorité est expliquée par un membre influent de l’USFP du fait que Kabbage est convaincu de n’avoir de comptes à rendre à personne et rien à prouver non plus.

Démission
D’ailleurs, en 2011, un incident pousse Kabbage à carrément démissionner de ses fonctions au sein du Conseil de la ville. Le 31 juillet, il retourne bredouille de Tétouan où il se présente pour représenter la ville d’Agadir à la cérémonie d’allégeance au Roi. «Le wali, Mohamed Yacoubi, lui, annonce que son nom a été supprimé de la liste des invités sans explications», rapporte notre source. Outré, mais surtout combatif, Kabbage démissionne donc mais aussi, par solidarité, 27 conseillers USFP de la commune. Sans les interventions et mesures prises par le bureau politique du parti et les sollicitations des habitants de la ville, les démissions seraient devenues fermes et irrévocables. Combats, poigne, lutte, blocages, rigueur…pour quel résultat finalement? Aujourd’hui, Agadir arrivent en tête dans le rapport Doing Business 2014 de la Banque Mondiale. Ce dernier révèle que la région, distinguée pour la seconde fois après 2007, et la ville en particulier, est l’endroit où il est le plus aisé d’obtenir un permis de construire et exécuter ses contrats. Si aujourd’hui Agadir arrive en tête de liste, loin devant la métropole économique Casablanca classée 6ème sur huit régions, ce n’est pas par hasard. Le fait que Tariq Kabbage soit à la tête de son Conseil communal y est pour beaucoup.

Si aujourd’hui Agadir arrive en tête de liste des régions, ce n’est pas par hasard

Concours de circonstances
Mais ce dernier estime que ce n’est ni plus ni moins qu’un concours de circonstances qui lui a été favorable. «J’ai juste eu la chance de rencontrer les bonnes personnes aux bons moments», affirme-t-il. Mais avec un excédent budgétaire de 228 millions de dirhams en 2013, faisant ainsi d’Agadir la ville qui a le plus gros excédent budgétaire par tête d’habitant, le stade de chance est largement dépassé. A la tête du Conseil depuis 2003, date de début de son premier mandat, Kabbage s’est «senti du jour au lendemain plongé dans ce milieu où il était presque en porte à faux». En effet, avant d’être à la tête de la commune d’Agadir, il est avant tout un docteur en chimie et un homme d’affaires. Né en 1948 à Agadir, d’une mère française et un père marocain, grand nationaliste, Tariq est l’aîné d’une famille qui ne compte que deux garçons, pas de fille. Il grandit dans un giron familial gauchiste et militant. D’ailleurs, d’après son frère, sa fibre politique est née lorsque son père a été arrêté par les Français à son domicile sous les yeux de sa famille. Tariq Kabbage avait à peine 4 ans et demi. Il a à ce moment pris le fusil chargé du père et a tiré. Heureusement, dans le plafond, mais l’impact de la balle est resté pendant de longues années au plafond de leur salon. En 1968, il quitte Agadir vers Toulouse pour préparer un diplôme en chimie. A son retour en 1976, il est professeur de chimie à l’université Mohamed V de Rabat jusqu’en 1982, où il repart avec femme et enfant pour préparer une thèse d’Etat en France. Tariq Kabbage et sa femme Meriem ont trois enfants. Deux biologiques –un garçon et une fille- et un fils adopté. Leur benjamin est en fait le fils d’un couple d’amis très proche qui sont tous les deux décédés. Et c’est tout naturellement que le couple Kabbage accueille cet enfant qui avait une dizaine d’années. Ils reviennent en 1984, année où feu son père Abbas Kabbage décède. Il hérite, avec son frère Khalid, des fermes d’Ouled Teima (Houara) à 44 km d’Agadir, qu’il développe pour en faire un des grands patrimoines du sud du Maroc. Dans la Province de Taroudant, Kabbage acquiert une grande ferme à Sebt el-Guerdane pour en faire un laboratoire dédié à la création de nouvelles variétés d’agrumes et de jeunes plants. Il détient l’exclusivité dans la variété de clémentines Guerdane. C’est le plus gros exportateur d’orange du Maroc, avec près de 70.000 tonnes.
Le groupe familial comprend également un pôle immobilier. Le groupe est géré par Khalid Kabbage qui en est aujourd’hui le seul actionnaire. C’est qu’une fois aux commandes du Conseil communal de la ville, Tariq s’est désisté de ses engagements dans le business estimant que les deux fonctions ne sont guère compatibles. Pour lui, il est  impossible d’être impartial en ayant les deux casquettes de maire et de promoteur immobilier en même temps.

S’enrichir sur le dos de la ville
D’ailleurs, quand on pose la question sur Tariq Kabbage et sa personnalité, «intègre» est le qualificatif qui revient le plus pour décrire ce personnage même chez ses opposants. «Il n’est pas du genre à s’enrichir sur le dos de la ville», dira une source anonyme. De son background d’entrepreneur, Kabbage a gardé le tempérament et les méthodes managériales. Dans ce sens, on lui reproche son manque de patience et le fait de vouloir que tout soit fait aussi vite que dans une entreprise privée. D’après ce membre influent du Parti, qui souhaite garder l’anonymat, «son problème c’est qu’il ne tolère pas la médiocrité et dans l’administration il y a beaucoup de ça. Ses réactions face à l’imperfection lui causent beaucoup de problèmes et lui font de nombreux ennemis. Ses compères se demandent pour qui il se prend et s’il n’a pas un sentiment de supériorité vis-à-vis d’eux». Ce dont se plaignent de bon cœur ses collaborateurs c’est «d’avoir besoin de journées de travail de 24 heures pour suivre son rythme»! Une façon de faire qui ne correspond pas au mode classique de fonctionnement de l’administration. D’ailleurs, Kabbage a du fournir quelques efforts d’adaptation, avec quelques concessions au passage, pour réussir sa mission. «Durant les premières années de mon mandat, il a fallu tout apprendre: découvrir une institution sous tous ses aspects avec son type de fonctionnement et aussi ses dysfonctionnements», écrit-il sur son blog. Oui, son blog! Car monsieur le maire tient un blog personnel par souci de proximité avec les électeurs et habitants de la ville et pour pouvoir communiquer avec les jeunes et utilisateurs de nouvelles technologies. Lui-même est un fervent utilisateur de ces technologies. Ses réunions sont préparées sur son iPad et son outil de travail est un MacBook Air. Et avec lui, la visite de la ville se fait via Google Earth sur tablette! Very «Ifoulky»! 

GAK, SKS, GPA & Co

Le groupe Kabbage est organisé autour de 3 pôles intervenant dans la production, le conditionnement et la commercialisation. La production est réalisée par l’entreprise GAK (Groupe Abbés Kabbage) qui détient 2.000 ha répartis entré le Souss, le Gharb et Béni Mellal. Ces domaines réorganisés par Tariq Kabbage seraient des exploitations modèles dans les agrumes. Comme le groupe n’exporte pas ses produits à l’état brut, une station de conditionnement Station Kabbage Souss (SKS) est chargée du conditionnement. Cette station s’étale sur 80.000 m2 avec une capacité frigorifique de 10.000 tonnes. La production annuelle tourne autour de 30.000 tonnes. L’export de la production du groupe ainsi que celle de 70 autres producteurs est assuré par GPA (Gestion des Produits Agricoles), une autre filiale du groupe. GPA commercialise donc la production de près de 4.000 ha avec un volume annuel de 80.000 tonnes. Selon Kabbage, GPA réalise entre 50 et 80% des exportations nationales d’agrumes selon les fluctuations des marchés. L’export s’effectue vers l’Amérique du Nord, les Etats-Unis, l’Union européenne, la Suède, le Royaume Uni et la Russie.