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Pourquoi ça bloque encore

Dossier mars 2013

Pourquoi ça bloque encore

Malgré les assauts des institutions financières dites «alternatives» et le projet de Casablanca Finance City, le Maroc reste prudent sur la vague «islamique». Il traîne encore à adopter un cadre réglementaire institutionnalisant ces produits. 

Face aux différents problèmes auxquels la finance conventionnelle fait face, depuis déjà quelques années, notamment avec la crise mondiale, le Maroc devrait impérativement penser au développement de la finance islamique. Certes, le gouvernement marocain a déjà commencé à se préparer à cette nouvelle ère depuis déjà plus de trois ans en procédant à un diagnostic du marché de la finance islamique afin de déceler ses caractéristiques et faire un benchmark international. Mais l’annonce d’un projet de loi de la banque participative est venue marquer une nouvelle phase dans ce processus, et surtout multiplier les questionnements sur le développement de ce secteur au Maroc.
En effet, ce projet de loi a montré la volonté du Maroc de dépasser sa frilosité historique envers la finance islamique. Les experts du secteur pensent que le texte constitue une avancée indéniable par rapport à l’ancienne circulaire de Bank Al-Maghrib sur les produits alternatifs datant d’octobre 2007.
Toutefois, des défis subsistent. Ce texte de loi répond-il aux attentes de la clientèle? Apporte-t-il une réponse aux besoins de financement de l’économie marocaine et des finances publiques? Ou encore présente-t-il des leviers de développement économique et social? Le chantier est grand. Le texte annoncé manque de visibilité, notamment au niveau des instruments, des composants et des modalités générales de son implémentation. Il ne donne pas de l’assurance quant à l’avenir de la finance islamique au Maroc.
D’ailleurs, Rachid El Maâtaoui, DG de Kapital Transak, expert financier Cibafi chez Certified Islamic Banker, est catégorique; il annonce qu’«à ce jour, la finance islamique n’est pas pratiquée chez nous, ni officiellement ni officieusement. Les quelques expériences qui existent correspondent plutôt à des démarches d’inspiration de la finance islamique. Elles ont le mérite d’exister, sans plus!».
Bilan mitigé et manque de visibilité
Donc, à date d’aujourd’hui, il est difficile de parler de bilan pour la finance islamique au Maroc. Celle-ci était et reste toujours quasi absente des radars des experts
et analystes du secteur.
«Le classement des pays d’Afrique du Nord en fonction des actifs conformes à la charia dans le rapport de la BAD, publié en 2011, ne cite même pas notre pays», nous assure Mohamed Boulif, consultant en Finance islamique à Al Maalya Islamic Finance Consulting à Bruxelles. L’engouement actuel est essentiellement dû au projet de création d’un cadre légal pour cette finance. Nous savons qu’il s’agira d’un amendement de la loi bancaire pour incorporer un chapitre sur les banques participatives.
En fait, les citoyens et entreprises marocains (moins de 7% des sondés selon le cabinet de consulting international, Islamic Finance Advisory & Assurance Services), ignorent presque l’existence d’une tentative d’introduction de ce concept au Maroc depuis 2007. Certes, entre temps, il y a eu la création de la première banque dite «islamique», qui est Dar Assafaa, du Groupe Attijariwafa bank. Il y a eu également le démarrage de la gestion d’actifs dits «halal» qui n’investissent pas dans des secteurs comme le tourisme, les banques et les assurances, mais cette initiative est restée sans suite. «En nous limitant à cette expérience circonscrite, nous pouvons dire qu’il s’agit d’un bilan très mitigé pour ne pas dire décevant, pas pour la finance islamique, mais bien pour ces produits que l’on évitait surtout de nommer islamiques», tranche Boulif.

Pourquoi ce chantier ne prend-il toujours pas son envol?
On peut expliquer ce retard de décollage par l’hésitation du gouvernement marocain au moment où la finance islamique montrait ses preuves dans d’autres pays. Puis, même après avoir franchi le pas, la finance alternative est devenue davantage un label qu’une réalité concrète au Maroc. «Il y a également sa différenciation limitée par rapport à la finance conventionnelle et avec un coût trop élevé. Ajoutons à cela le manque d’information et de communication pour expliquer concrètement aux prospects la signification des produits la Mourabaha, la Moudaraba, etc., au-delà du fait qu’ils soient des produits halal», ajoute Yassine Redouane, directeur général d’Advisory & finance group. De son côté, Rachid El Maâtaoui assure que «les autorités de tutelle doivent prendre le temps de bien concevoir l’arsenal réglementaire nécessaire qui tiendrait compte des expériences similaires et qui devrait rendre disponible à la pratique un ensemble homogène de produits de finance islamique incluant, outre les produits bancaires, ceux des émissions obligataires, de la micro-finance islamique et de l’assurance islamique».
Toutefois, il existe un argument de taille qui bloquerait le développement de la finance islamique au Maroc. On peut penser au fait que les banques marocaines craignent un «raz-de-marée» des banques islamiques qui détournerait la clientèle de la finance conventionnelle. Incontestablement, c’est un argument fallacieux mais en même temps pernicieux. «Nous n’avons observé aucun effet de ce type ou de cette ampleur dans un quelconque pays, qu’il soit musulman ou non, y compris en Malaisie où le secteur de la finance islamique n’a que 25% des parts de marché après plus de 30 ans d’existence et un cadre réglementaire fort et approprié», explique Boulif.
D’un autre côté, cet argument est jugé pernicieux dans le sens où nos banques qui craignent ce fameux «raz-de-marée» ont toutes l’opportunité de développer et de proposer elles-mêmes une offre de cette nature et ainsi capter une part de cette demande. Cela s’est vu dans de nombreux pays où il y a eu soit création d’une filiale dédiée (à l’image de Dar Assafaa au Maroc) ou même la conversion de la banque conventionnelle en une banque islamique. Le problème est encore plus conceptuel. Les banques marocaines vont-elles accepter un autre mode opératoire que celui qu’elles pratiquent depuis des décennies? Il y aura de la résistance, mais finalement c’est la règle du marché qui tranchera. Par ailleurs, on assiste à un revirement de la part des banques marocaines qui, par pragmatisme et réalisme, se préparent déjà à cette finance alternative. «L’important est qu’elles comprennent qu’elles ont le devoir de suivre la demande du client, et au-delà de tout débat idéologique, surtout dans un pays musulman, qu’à côté de l’offre conventionnelle il doit y avoir une place pour une offre islamique répondant à une réelle demande», explique Boulif.
De leur côté, les particuliers marocains retardent leurs demandes de crédit dans l’espoir de pouvoir le faire selon leurs convictions conformes à la charia très bientôt. Ainsi, il faudrait tout simplement éviter le scénario français où il y a eu une certaine déception après beaucoup d’effets d’annonce qui ont créé un engouement, sans suite. «Donc, il y a lieu de relever qu’il est tout simplement suicidaire pour le Maroc d’aujourd’hui de continuer à ignorer les bienfaits de la finance islamique en matière d’attraction des investisseurs étrangers, notamment ceux du Moyen-Orient, et aussi en matière de bancarisation de ses agents économiques», ajoute El Maâtaoui. La balle aujourd’hui est dans le camp de nos autorités politiques (gouvernement, Parlement) et financières (Bank Al-Maghrib).

La finance islamique passe par le Takaful
En tout cas, avec sa tentative d’établir un environnement sain pour l’application de la finance islamique au Maroc, le gouvernement a omis de préciser le champ d’application d’une assurance islamique obligatoire pour le bon fonctionnement de cette finance alternative. Il semble donc, selon les analyses des fervents du secteur, que le Maroc a fait un premier faux-pas en n’intégrant que l’assurance personnes, comme unique offre de produit des futurs établissements Takaful. En effet, la DAPS a déjà tracé la voie à suivre. Les assureurs vont adopter le full islamic. Ils sont donc obligés de créer des filiales spécialisées dans le Takaful. Si une poignée de compagnies d’assurance sont favorables à cette option, d’autres considèrent que cette disposition présente un facteur de blocage pour commercialiser des produits alternatifs. Selon le point de vue de quelques assureurs nationaux, «l’assurance conventionnelle dispose sans aucun doute d’une bonne longueur d’avance par rapport à un nouveau type d’assurance qui doit commencer à zéro». Aussi, ces derniers craignent que la rentabilité de leur investissement dans le Takaful risque d’être contrecarrée si la demande est faible.
Cependant une chose est sûre, la finance islamique a toujours connu une introduction lente, mais progressive dans presque tous les pays qui l’ont adoptée. Ensuite, c’est souvent la stratégie du pays qui l’adopte qui détermine son expansion ou pas. Ainsi, si le Maroc ambitionne d’être un grand hub financier et bancaire pour l’Afrique et le Moyen-Orient, il serait important de prendre en considération les expériences étrangères tout en tirant des enseignements utiles, mais aussi en tenant compte des attentes des investisseurs étrangers et des promoteurs de ces nouvelles institutions. Mais ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui la seule chose qui marche pour le Maroc, c’est son grand attrait des investissements islamiques. Ces derniers sont de plus en plus nombreux et financent une panoplie de secteurs. 

Zoom sur le projet de loi

Le cadre législatif des banques islamiques a été prêt depuis le 4 septembre 2012 et sera mis en application au cours de cette année. Ce dernier est intégré dans le projet de refonte de la loi bancaire soumise à l’appréciation des opérateurs. Ainsi, ce projet de loi prévoit la mise en place d’un comité charia pour la finance dont le secrétariat sera assuré par Bank Al-Maghrib et sera chargé de se prononcer sur la conformité des opérations et produits offerts au public à la charia. Il autorise ainsi les banques classiques et les sociétés de financement à exercer en totalité ou en partie l’activité de banques participatives mais sous réserve de disposer pour cela d’un agrément. Le texte institue un fonds de garantie des dépôts pour indemniser les déposants et aussi pour venir en aide aux banques participatives en difficulté. Au total, six produits sont prévus dans le projet de texte (article 56). Il s’agit notamment de la Mourabaha, un contrat par lequel une banque participative acquiert un bien meuble ou immeuble en vue de le revendre à son client plus une marge bénéficiaire convenue d’avance. Vient ensuite Ijara qui porte sur la location par la banque participative d’un bien meuble ou immeuble dont elle est propriétaire à son client. Le projet de loi s’arrête aussi sur la Moudaraba qui est définie selon l’article 56 comme tout contrat mettant en relation une banque participative (Rab el Mal) qui fournit des fonds et un entrepreneur (Moudarib) qui fournit son travail en vue de réaliser un projet. Autre produit, la Moucharaka, qui est un contrat de participation de la banque dans un projet afin de réaliser un profit.