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La soutenabilité budgétaire, le vrai problème

Enquête janvier 2013

La soutenabilité budgétaire, le vrai problème

Les bailleurs de fonds internationaux préfèrent prêter aux établissements et entreprises publics plutôt qu’à l’Etat. Ils ne veulent pas financer un déficit qui se creuse et cela montre que le Maroc n’a pas un problème de capacité d’endettement mais de soutenabilité de ses politiques budgétaires.

Les chiffres, régulièrement publiés par la Direction du Trésor du ministère des Finances, permettent de donner un éclairage sur la situation de l’endettement du pays. Il en ressort que les Etablissements et entreprises publics (EEP) s’endettent davantage à l’étranger, ce qui fait progresser la dette extérieure publique nationale. En effet, ce sont surtout les dettes contractées par ces établissements qui ont fait progresser l’encours de la dette extérieure publique. Celle-ci a atteint 191,6 milliards de dirhams à fin juin dernier, contre 189,11 milliards de dirhams à fin 2011, soit une hausse de 2,5 milliards de dirhams, d’après les dernières statistiques publiées le 28 septembre par la Direction du Trésor et des finances extérieures (DTFE). La structure de cette dette par créanciers fait ressortir la domination des institutions internationales qui ont assuré plus de la moitié (50,7%) de l’encours de la dette extérieure publique à fin juin, suivies des créanciers bilatéraux avec un peu plus de 39%, le marché financier international et les banques commerciales (10,2%).
Les statistiques relèvent également que le Trésor détient 51,8% du total de la dette extérieure publique, suivi des établissements publics (47,4%) et le secteur bancaire (0,6%), d’après le Bulletin statistique de la dette extérieure publique pour le mois de juin 2012. La répartition par devises montre que 71,6% de l’encours de la dette extérieure publique à fin juin sont libellés en euro. Arrivent ensuite le dollar (8%), puis le yen japonais (6,9%). C’est ce qui peut  expliquer d’ailleurs l’opération de Swap sur le taux réalisé avec la coopération de la Banque mondiale et qui a permis de changer pour 1 milliard de dollars en euros afin de rééquilibrer l’endettement du Maroc par rapport à son panier de devises (80% en euros). Objectif: neutraliser tout impact de la dernière levée de fonds en dollars sur le taux de change du dirham.
Le plus inquiétant reste quand même l’endettement intérieur du Trésor. Celui-ci a augmenté en 6 mois de 8%, passant de 331,34 milliards de dirhams à 359,95 milliards de dirhams entre décembre 2011 et juin 2012. Sur une année, cette dette aura crû de 15,3%, soit plus que trois fois le taux de croissance nominal du PIB, ce qui est énorme.

Le Trésor gourmand en liquidité
En fait, dans le PIB, la dette extérieure du Trésor ne pèse pas vraiment lourd. Elle compte pour 23% du PIB. Le problème devient plus compliqué quand on prend en considération les autres agrégats de l’économie dont le solde du compte courant qui représente un déficit de plus de 8,8% contre les 8% prévus.
L’augmentation de l’endettement (donc du service de la dette) va contribuer encore plus à la dégradation du solde du compte courant, ce qui poussera à un autre endettement au cas où les conditions économiques globales ne s’améliorent pas. Et aussi dans le cas où le solde de la balance commerciale continue à se dégrader comme expliqué en haut. On peut donc comprendre la conjoncture de plus en plus difficile qui a poussé le gouvernement non seulement à demander la LPL, mais à recourir à l’endettement extérieur. Difficulté d’ailleurs reconnue par Nizar Baraka lors de sa dernière conférence de presse en déclarant que «le gouvernement, qui compte poursuivre sa stratégie de soutien de la croissance, a considéré qu’il était très important de diversifier les différentes sources de financement du Trésor». Et aussi pour «permettre de mobiliser de nouveaux moyens afin de pouvoir financer les investissements de l’Etat et éviter qu’il y ait des répercussions sur le marché intérieur», notamment la hausse des taux et l’assèchement des liquidités.

Une dette garantie qui enfle
Ainsi, à la dette stricto sensu du Trésor s’ajoute la dette extérieure garantie par l’Etat, et qui s’est, elle, le plus développée cette année. Dernier exemple en date, les records de la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque européenne d’investissement (BEI). Cette dernière a accordé au Maroc près de 1 milliard d’euros de financement (contre 750 millions en 2011), faisant de la BEI l’un des premiers bailleurs de fonds du Royaume. Dernier financement en date, le prêt de 440 millions d’euros, accordé en décembre, pour la réalisation de trois projets publics: la construction d’une nouvelle autoroute entre El Jadida et Safi (240 millions d’euros) accordé à Autoroutes du Maroc (ADM), l’extension du réseau d’électricité (180 millions d’euros) accordé à l’ONEE et la mise en place de la première phase du programme national d’assainissement porté par le ministère de l’Énergie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement (20 millions d’euros).
Le cas de la BEI n’est pas isolé. Aussi bien l’AFD que la BAD ont mis le paquet cette année. La BAD a approuvé, en 2012, une enveloppe globale de 1,1 milliard d’euros, soit l’équivalent de 12,2 milliards de dirhams au profit du Royaume. La banque vient d’ailleurs de signer, le 19 décembre à Rabat, trois accords de prêt et de garantie, ainsi qu’un accord de don pour un montant global de près de 7 milliards de dirhams, soit l’équivalent de 533 millions d’euros. La plus grosse partie, soit 6,8 milliards de dirhams ira à l’ONEE. Les projets bénéficiaires de cette signature sont, notamment, le programme intégré éolien, hydraulique et électrification rurale pour un montant de 5,1 milliards de dirhams, le projet d’approvisionnement en eau de la région de Marrakech pour un montant de 1,7 milliard de dirhams.
L’AFD n’est pas en reste. Rien qu’en décembre, l’Agence française de développement a accordé un prêt de 280 millions d’euros au Royaume dans le cadre de la réunion de haut niveau franco-marocaine qui s’est tenue en début du mois. Ce prêt est destiné au financement de la première ligne de tramway de Casablanca (23 millions d’euros garantis par la commune de Casablanca), à la construction de deux agropoles, au parc Haliopolis d’Agadir (150 millions accordés à MedZ), au renforcement du réseau de transport d’électricité (conclu avec l’Office national de l’électricité et de l’eau potable, pour un montant de 57 millions d’euros) et à la redynamisation des ports régionaux (50 millions d’euros en faveur de l’Agence nationale des ports-ANP).
Au total, et rien que pour décembre, près de 1,250 milliard d’euros ont été prêtés à des offices ou entreprises publics, en majorité garantis par l’Etat, soit l’équivalent du montant de la sortie réalisée en dollars par le ministère des Finances. Une envolée donc des prêts souverains qui alourdissent le taux d’endettement externe du Maroc d’une manière détournée.  Mais aussi qui saturent l’exposition des grands bailleurs de fonds internationaux sur le Maroc. C’est le cas de l’AFD qui a atteint sa capacité de prêt sur le Maroc, soit près de 25% de ses fonds propres.

Un endettement soutenable?
Si la majorité s’accorde à dire que tant que le financement va vers des projets créateurs de richesse, cela ne pose pas de problèmes dans la mesure que c’est de l’endettement qui crée de la croissance et qui, in fine, va permettre facilement son remboursement, ce n’est pas le cas de l’endettement pour financer le déficit budgétaire ou pour éponger des déficits d’exploitation. Le message du gouverneur de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, était clair lors de sa conférence de presse trimestrielle suite au conseil de BAM de décembre. «Nous ne devons pas revenir à la situation des années 1980», tonnait-il en parlant de la soutenabilité des politiques budgétaires. Celui-ci remettait en cause, d’une manière à peine voilée, la crédibilité des hypothèses du ministère des Finances. «Le ministère a bien tablé sur des frais de compensation ne dépassant pas les 32 milliards de dirhams. Aujourd’hui, on en est à plus de 55 milliards…» et même si les recettes sont meilleures que prévu dans la Loi de Finances 2012, les dépenses flambent en raison de l’explosion de la charge de compensation. «Cela pèse sur l’état final du déficit», déplore Jouahri.
Ce sont donc ces 20 milliards de dirhams supplémentaires qu’il faut essayer de neutraliser. Dans ce contexte, en l’absence d’une réforme de la Caisse de compensation, le budget 2013 n’est pas tenable, ce qui va encore plus alourdir et le déficit budgétaire et les réserves de change que le gouvernement s’est engagé à maintenir autour de quatre mois auprès du FMI.
Cette réforme permettrait de réduire le déficit de près de 1% du PIB par an d’ici 2016, soit une économie annuelle de 6 à 8 milliards de dirhams. «Cet effort est tout à fait faisable pour préserver nos équilibres macroéconomiques et le devenir du pays», conclut le gouverneur.
Le même son de cloche émane de Jean-François Dauphin, chef de la mission de Supervision du FMI au Maroc. Celui-ci estime que «maintenir la viabilité des finances publiques à moyen terme reste une priorité», et d’ajouter: «L’orientation budgétaire du projet de Loi de Finances de 2013 est appropriée. Toutefois, la viabilité des Finances publiques à moyen terme passe par la mise en œuvre de réformes structurelles essentielles qui permettront également de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour améliorer la protection sociale et investir davantage dans le capital humain et dans l’infrastructure. A cet égard, la réforme du système de subventions est indispensable et urgente, car le système actuel obère les ressources budgétaires et constitue un moyen inefficace de soutien aux populations dans le besoin. La réforme du système de retraites est également urgente pour assurer sa pérennité et préserver la viabilité des finances publiques à moyen et long termes». Un effort nécessaire pour maintenir les engagements du Maroc, mais aussi pour maintenir un niveau d’endettement soutenable.
Ainsi, la soutenabilité de la dette n’est pas seulement corolaire à une conjoncture économique difficile, elle est surtout liée à la mise en place de réformes structurelles à même de maintenir le pays à flot.