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Une année sombre s’annonce

Economie mars 2012

Une année sombre s’annonce

Les nouvelles économiques ne sont pas bonnes en 2011 et la situation ne semble pas être mieux pour 2012. Les responsables économiques sont confrontés à la dure réalité des chiffres et l’étroitesse des marges de manœuvre. 

Il y a quelques mois, aucun officiel ne pouvait imaginer ou reconnaître que le déficit budgétaire pouvait atteindre des sommets et dépasser le seuil symbolique des 6%. La majorité des décideurs des politiques économiques étaient encore transportés par les réalisations de l’économie marocaine, notamment entre 2005 et 2008. Des années de croissance soutenue et d’excédents de la plupart des indicateurs macroéconomiques. Pire, tous ceux qui pouvaient remettre en doute «l’exception marocaine» ou encore «la résilience» de son économie face aux chocs étaient ignorés, sinon traités de nihilistes.

La bataille des chiffres
Pourtant, des prémices pointaient déjà. En juin 2010, une étude réalisée par le HCP sur la soutenabilité des politiques économiques et les perspectives de l’économie marocaine en 2015 tirait déjà la sonnette d’alarme. Celle-ci affirmait que l’hypothèse d’une dégradation rapide des indicateurs macroéconomiques était plus que probable entre 2011 et 2012 et que l’économie marocaine devait être recadrée pour dépasser le cap difficile qui s’annonçait. Lors d’une réunion de présentation des résultats préliminaires de cette étude, les représentants du ministère des Finances et de la Direction des Impôts en présence des représentants de Bank Al-Maghrib et du ministère des Affaires générales, ont largement remis en doute les conclusions de ce rapport car, selon eux, la stabilité macroéconomique était de rigueur et rien ne permettait de dire que la tendance allait changer. Résultat: le rapport ne sera jamais publié. Plus d’une année plus tard, des éléments de ce rapport seront enfin dévoilés lors d’une conférence de presse du HCP consacrée au budget prévisionnel 2012. Lors de cette conférence organisée le 15 février dernier, Ahmed Lahlimi, Haut Commissaire au Plan, annonçait que le déficit public a atteint 6,1% du PIB en 2011, contre un objectif de 3,5%. Un chiffre qui concorde avec les chiffres annoncés par le ministère de l’Economie et des Finances quelques jours plus tôt.
En effet, et dans une première du genre, Idriss Azami Al-Idrissi, le ministre délégué auprès du ministre de l’Economie et des Finances chargé du Budget, a solennellement annoncé la détérioration des indicateurs nationaux tout en détaillant les raisons de ce résultat pour le moins attendu, mais longtemps nié.
Le 17 février 2012, la note de conjoncture de BAM tombe comme un couperet! Le déficit budgétaire en 2011 a été de nouveau révisé à la hausse, à 55,8 milliards de dirhams, soit 7% du PIB.
Globalement, les explications de ces chiffres ne divergent pas: ce bond du déficit est dû à une forte hausse des dépenses de l’Etat, notamment en salaires et en compensation. Mais Bank Al-Maghrib annonce aussi que la progression des recettes était moins rapide que prévu. Après l’omerta, serions-nous dans une surenchère sur les chiffres?
Il est vrai que Abdellatif Jouahri a longtemps prévenu sur l’impact d’une augmentation des dépenses de l’Etat mais personne ne s’attendait à une sortie pareille. Cela fait trois ans que les experts disent que le Maroc est en train de connaître le même scénario que celui des années 80. Un scénario qui arrachait tout juste un sourire aux officiels du ministère des Finances, qui n’y croyaient pas…
Maintenant, les choses se corsent. «Ce sont nos calculs qui ont donné ce résultat au niveau du déficit. Ils diffèrent des chiffres du gouvernement parce que nous n’avons pas pris en considération les privatisations dans le calcul des recettes», explique Karim Aynaoui, directeur des Etudes et des Relations Internationales de BAM, en marge de la réunion du Conseil National du Commerce Extérieur (CNCE). Et d’ajouter: «Nous sommes aussi partis sur un PIB nominal plus faible».
Une méthode de calcul que conteste Idriss Azami Al-Idrissi. «Nos chiffres s’attachent à l’orthodoxie financière et comptable», se défend le ministre délégué auprès du ministre de l’Economie et des Finances chargé du Budget. Et d’ajouter: «Nous maîtrisons parfaitement nos chiffres. D’ailleurs, ils concordent avec ceux du HCP qui, lui, a la prérogative de la comptabilité nationale». Une remise en doute à peine voilée sur la véracité des chiffres avancés par BAM. Nizar Baraka va encore plus loin: «Pour le PIB il y a eu un calcul personnel de BAM, avant la publication des chiffres du HCP. Et le seul qui a le droit de produire les chiffres du PIB, est bien le HCP». Et il ajoute: «Concernant les dépenses et les recettes, nous détenons les vraies statistiques puisque c’est nous qui les donnons à BAM».

«Cela fait trois ans que les experts disent que le Maroc glisse vers le même scénario que celui des années 80»

Qui a tort ? Qui a raison ?
Une polémique qui va sans doute s’amplifier dans les mois à venir. En effet, non seulement la pression politique sur le gouvernement n’a pas baissé, ce qui laisse présager une possibilité de nouvelles phases d’augmentations des dépenses sociales, mais aussi au vu de la faiblesse attendue de la saison agricole 2011-2012, l’optimisme ambiant semble diminuer progressivement par rapport aux perspectives de l’économie marocaine. En outre, il faut ajouter la faiblesse de la reprise de la croissance mondiale annoncée par la dernière note du FMI à 3,3% en 2012, contre 4% estimée en septembre, notamment suite à une forte dégradation des perspectives de la zone euro (récession de 0,5%).Cette nouvelle n’est pas très bonne pour l’économie marocaine, car la récession européenne ne laisse présager rien de bon puisque 60% des exportations marocaines vont vers l’Europe. En outre, plus de 84% des principales rentrées touristiques viennent de touristes ayant la même source et près de 70% des IDE sont d’origine française et espagnole… Une concentration géographique des partenaires économiques qui montre aujourd’hui ses limites. Mais ce n’est pas la seule. La dernière étude du CNCE présentée le 21 février montre que la part des importations incompressibles se monte à 85% et que le taux de pénétration des importations dans le marché local (la part du marché des importations) est de l’ordre de 35,2%. C’est-à-dire que vu l’absence d’une diversification et d’une densification du tissu économique, le déficit de la balance commerciale est chronique et risque de se creuser davantage malgré la croissance des exportations qui dépendent d’intrants étrangers. Et qui dit balance commerciale dit celle des paiements et surtout avoirs extérieurs nets qui ont déjà souffert en 2011 et qui contribuent grandement à l’assèchement des liquidités au niveau national. L’une des solutions court-termistes qui commence à circuler est l’endettement international, mais dans les conditions actuelles du marché, cette option semble bien lointaine puisque le Maroc risque d’emprunter à 6% au bas mot.
Avec un taux d’endettement qui s’est dégradé de 50 à 52% entre 2010 et 2011, cette décision risque de très mal passer au niveau politique pour un gouvernement qui dit vouloir assainir le cadre macroéconomique et garantir les conditions d’un développement économique national sain et durable. En tout cas, à la direction du Trésor rien ne filtre, dans l’attente de la loi de Finances. 

Des chiffres fantaisistes

Mauvaise nouvelle donc pour le nouveau gouvernement qui tablait dans sa déclaration gouvernementale sur la baisse des déficits notamment budgétaire, à 3% à l’horizon 2016 mais aussi de la baisse du chômage à 8% et d’une croissance de 5,5% en moyenne. Des chiffres qui paraissent aujourd’hui irréalistes et irréalisables bien que modestes si on prend en compte les simulations qui sont réalisées par plusieurs experts et qui parlent d’une nécessité d’une croissance annuelle moyenne de 7,5% minimum pour pouvoir maintenir les équilibres globaux et répondre à l’évolution des besoins de la population à l’horizon 2015.
Aujourd’hui, il semble que les mauvaises nouvelles ne font que commencer, d’autant plus que les anciennes déclarations et le discours dominant étaient d’un optimisme béat. Un optimisme qui semble oublier que dans une économie mondialisée, les effets de la crise finissent toujours par toucher tous les pays. Si lors de la Grande crise de 1929, le Maroc a été touché à partir de 1932 pour plus de 3 ans, l’Histoire retiendra que lors de la crise de 2008, les véritables effets sur le Maroc n’ont commencé qu’en 2011.