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Entre le pouvoir et le devoir…

Point de vue janvier 2012

Entre le pouvoir et le devoir…

«Je sais comment travailler, mais je ne sais pas contrôler». C’est le mot qu’aurait prononcé Monsieur Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement du Maroc, lors de l’audience que Sa Majesté le roi lui a accordée, selon le quotidien Akhbar Al Youm.
Pourtant, c’est bien pour instaurer les règles de la bonne gouvernance que les Marocains ont élu le Parti de la Justice et du Développement.
Or, l’une des bases de la bonne gouvernance, c’est le contrôle qui permet de s’assurer du respect des règles et de l’efficience. Selon le «nouveau contrat entre le Parti et les Marocains», le PJD espère atteindre un taux de croissance de 7% par an, quand les prévisions les plus optimistes prévoient à peine 5%. D’où viendraient donc les 2%? Pour rassurer, les responsables du parti majoritaire n’ont cessé de clamer que la solution ne tient qu’en un seul mot: la bonne gouvernance. En fait, les 2% représentent à peine le coût de la corruption qui n’est que la partie visible de l’iceberg. Le phénomène des fraudes atteint aussi les économies de rente, les gros marchés de l’Etat, le bâtiment et travaux publics, les autorisations administratives et commerciales et autres concessions de services publics, les détournements des deniers publics et autres abus de biens sociaux dont la presse et les rapports de la Cour des Comptes se font régulièrement l’écho. Selon une étude réalisée auprès de 106 pays par l’ACFE (Association of Certified Fraud Examiners), organisme américain regroupant les experts en prévention de la fraude dans le monde, la fraude en générale, y compris la corruption, fait perdre chaque année aux Etats 5% de leurs PIB. Si nous appliquons ce pourcentage au cas du Maroc, le total des pertes dues à la fraude serait, au bas mot, de l’ordre de 5 milliards $ par an, soit l’équivalent des dépenses de la santé au Maroc, ou près de 500 hôpitaux en moins chaque année. Sur le plan théorique, c’est donc un objectif parfaitement réalisable, mais sur le plan théorique seulement, car pour gagner les 5%, il faudrait éradiquer la corruption qui gangrène aussi bien le secteur public que le secteur privé (2%) et tous les autres types de fraudes que le système encore très permissif permet à tous les niveaux. En politique, il ne suffit pas de vouloir pour que les choses se réalisent. Quant a cette jolie formule: «Ma pensée n’impose aucune nécessité aux choses». Il ne suffit pas seulement de «savoir travailler», il faut encore contrôler le travail de l’action publique pour éviter que ne s’installent les deux conditions pour que «les vices ne trouvent acquéreur»: le mauvais exemple par le haut («poor tone of the top») et la faiblesse des dispositifs de contrôle. Le choix des dirigeants est primordial et la compétence ne suffit pas.

«Pour rassurer, les responsables du parti majoritaire n’ont cessé de clamer que la solution ne tient qu’en un seul mot: la bonne gouvernance.»

Il faut donc rechercher l’intégrité car un responsable intègre cherchera avant tout à s’entourer de collaborateurs intègres et gèrera par l’exemplarité («the tone at the top»), avec l’horreur du népotisme, des tentations de l’argent ou des risques du conflit d’intérêt. Le chef ne peut invoquer l’ordre qu’à condition de s’y conformer lui-même. Toujours selon l’ACFE, 70% des cas de fraudes sont commis à cause d’un manque de contrôle. L’une des priorités du nouveau gouvernement devra être de renforcer les dispositifs de contrôle dans les entreprises publiques et les diverses administrations de l’Etat. Il s’agit d’exiger des responsables des fonds publics une «saine» gestion et non plus seulement une gestion «régulière». Cela implique pour les managers de la chose publique de nouvelles compétences axées sur les techniques de contrôle, de gestion des risques, de détection et de prévention de la fraude. Conformité, efficacité et sécurité sont les maîtres-mots d’une bonne gouvernance. Pour protéger davantage l’intégrité du processus de contrôle, des contrôleurs internes, soutenus par des comités d’audit indépendants, doivent être institutionnalisés dans tous les ministères et entreprises publiques, comme cela est le cas dans la plupart des pays avancés. Il est également indispensable de renforcer les institutions chargées des contrôles publics. Pour cela, il faut augmenter drastiquement les budgets et les effectifs des inspections générales des ministères et organismes publics, en leur permettant d’exercer leur mission en toute indépendance, renforcer la Cour des Comptes, adopter un statut spécial, avec des salaires attractifs pour attirer les meilleurs profils. L’importance de la mission de ces institutions supérieures de contrôle, chargées de garantir la régularité, l’efficacité et la transparence dans la gestion des fonds publics, justifie largement l’effort. En offrant une évaluation objective et impartiale, leurs interventions constituent la clé de voûte d’une saine gouvernance. Pour renforcer le contrôle politique sur la gestion publique, il serait judicieux que la Cour des Comptes informe régulièrement le Parlement des résultats de ses audits, notamment ceux qui relèvent des cas de fraude. Enfin, le nouveau gouvernement devra prendre les mesures judiciaires les plus sévères contre ceux qui ont trahi la confiance dont ils ont été investis. La confiance du citoyen envers les nouvelles institutions démocratiques de notre pays et la crédibilité des nouveaux élus l’exigent. «Si vous voulez évaluer le caractère d’un homme, donnez-lui le pouvoir», disait Abraham Lincoln. Aujourd’hui, vous l’avez, Monsieur Benkirane. Il est vrai que la situation laissée par vos prédécesseurs n’est pas reluisante, mais, puisque l’année qui tire à sa fin se prête aux vœux, permettez-moi de conclure en paraphrasant Marc Aurèle: que le courage vous soit donné de changer les choses qui peuvent être changées, la sérénité d’accepter les choses qui ne peuvent l’être et la sagesse de faire la différence.