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Iceberg, Droit devant !

Enquête mai 2011

Iceberg, Droit devant !

Pratiques anticoncurrentielle, vétusté des navires, taxation élevée, manque de compétitivité des entreprises marocaines, libéralisation mal menée par le ministère de tutelle… Des maux et bien d’autres rongent le secteur du transport maritime au Maroc notamment sa composante Passagers. Un secteur pourtant stratégique…

Confronté à de nombreux enjeux, le transport des passagers dans le détroit n’est qu’une composante du secteur de la marine marchande. Un secteur qui a, depuis quelques années déjà, montré des signes d’échec mais dans lequel quelques opérateurs marocains tentent encore de résister à la concurrence des grandes puissances maritimes mondiales.

Un détroit disputé
Bien que la Comarit de la famille Abdelmoula et IMTC du Comandant Karia fassent figure de rescapés de l’offensive espagnole de verrouiller le transport maritime du détroit de Gibraltar, ces entreprises subissent les enjeux de la baisse des prix de leurs dessertes. La dernière en date est celle de la Commission Nationale de la Concurrence espagnole (CNC), qui a ouvert en mars dernier une enquête pour pratique anticoncurrentielle dans le détroit de Gibraltar. Les quatorze armateurs, chargés du transport maritime dans le détroit sur les lignes de Tanger et de Sebta, sont en effet  soupçonnés d’avoir «un accord de partage du marché et de fixation des prix et des conditions commerciales dans le service de transport maritime des passagers et des véhicules». Ceux-ci «échangeraient leurs informations pour la fixation des prix de vente des billets et de transport maritime». Les tarifs du fret entre Tanger et Algésiras constituent un objet de récrimination récurrent des entreprises exportatrices marocaines et espagnoles. Ce serait donc finalement encore une fois les espagnols qui ont pris le taureau par les cornes. Une action qui fait suite, vraisemblablement, au fort lobbying mené par les textiliens espagnols leadé par Inditex, l’entreprise détentrice de la marque de Zara, pour laquelle le Maroc est devenu le premier pays de production après la Chine. Le coût de transport dans le détroit est donc pour elle une part non négligeable de charge et donc un facteur de compétitivité important. Cette enquête pourrait aboutir à faire substantiellement baisser les prix. Mais les tentations sont grandes dans ce marché. Déjà en 1999, des plaintes d’associations de transitaires sont déposées via la CNC contre la Comarit et Trasmediterranea pour «arrangement sur les prix d’embarcation des camions». En 2003, les bateaux espagnols Euroferrys, Trasmediterranea et Buquebus sont contraints de payer solidairement une amende de 600.000 euros…
Dans un autre courrier concernant cette fois-ci l’organisation de l’opération de passage des MRE, la direction de la marine marchande espagnole oblige les compagnies opérant entre Tarifa, Algesiras, Ceuta et Tanger à mettre en place l’interchangeabilité des billets dans les ports espagnols. Celle-ci permet aux voyageurs de monter dans n’importe quel bateau sans attendre celui qui correspond à la compagnie dont le billet a été acheté. Pour faciliter l’opération, l’autorité espagnole fixe elle-même les bases de prix que doivent adopter les opérateurs dans leurs remboursements mutuels. Mettant en avant l’argument de l’encombrement des ports et des délais d’attente trop longs, ces mesures permettront aussi de juguler les prix. Et gare aux trouble-fêtes qui voudront jouer sur les prix, la commission de la concurrence veille au grain. Pour Abdellah Aboulfeth-Idrissi, directeur de la marine marchande par intérim, ces règles sont routinières, elles viennent avec chaque opération de passage. Pour lui, le port de Tanger-Med n’est pas concerné puisqu’il dispose de quais dédiés pour les armateurs. Il n’y a pas d’encombrement et donc pas besoin d’interchangeabilité des billets.

«Les mesures d’accompagnement de la libéralisation, comme elles étaient prévues au départ, n’ont jamais été mises en œuvre»

Des opérateurs en manque de compétitivité
Une baisse des prix programmée mais aussi un renchérissement des coûts d’exploitation. «Le prix du fuel  a augmenté de 350 dollars la tonne en 2009 à 760 dollars en 2010. Or, un navire a besoin d’au moins 60 tonnes par jour pour naviguer», constate le Comandant Karia, président de la compagnie IMTC. A ce coût fixe, s’ajoute le vieillissement de la flotte qui renchérit les coûts de la maintenance. Les bateaux marocains ont en moyenne 35 ans d’âge. Le plus jeune bateau est le Marrakech qui date de 1986. Pour renouveler la flotte, il faudra compter 40 millions d’euros par navire, estiment les experts. «La libéralisation s’est faite sans qu’il y ait une mise à niveau des bateaux», renchérit le Comandant. Il est à signaler que durant les années 70, période faste de la navigation marchande marocaine, l’Etat soutenait fortement l’activité des armateurs. En effet, en 1973 était promulgué le code des investissements maritimes qui accordait des primes et des ristournes d’intérêts aux armateurs pour encourager l’acquisition de navires.
C’est à cette époque-là que le Maroc a pu constituer sa flotte et faire partie des pays dotés d’une marine marchande nationale digne de ce nom. «Alors que le Maroc détenait en propre une soixantaine de navires, la CMA-CGM avait à peine 3 navires» se souvient ce retraité de la marine. Une politique qui va être abandonnée dans les années 90, pour faire place à une libéralisation mal menée selon beaucoup d’observateurs. «Les mesures d’accompagnement de la libéralisation comme elles étaient prévues au départ n’ont jamais été mises en œuvre», dénonce un haut cadre au ministère de l’Equipement ayant requis l’anonymat.
En outre, de par l’augmentation du nombre de navires dans le détroit, la concurrence devient de plus en plus acharnée, ce qui érode sensiblement la rentabilité des opérateurs. «On est actuellement à plus de 30 départs de Tanger vers Algesiras par jour», précise le Comandant Karia.
De plus, les concurrents espagnols ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Sur la ligne Tanger Med-Algésiras, les navires à passagers contrôlés par les armateurs espagnols arborent d’autres pavillons que le pavillon espagnol et sont armés avec des équipages pas uniquement espagnols. En outre, de par le système de subventions directes, dans le cas des lignes en direction de Ceuta ou déguisées dans les autres, les opérateurs nationaux ne peuvent pas longtemps suivre une politique de concurrence par les prix. Avec toutes ces contraintes et les risques liés à l’activité, les banques deviennent de plus en plus réticentes à financer l’activité maritime. En effet, selon plusieurs acteurs, celles-ci demandent à l’armateur de fournir en moyenne 30% du financement en fonds propres. Sachant que l’activité est extrêmement capitalistique, on peut imaginer les difficultés de financement que doivent subir les opérateurs. Cette tendance est due, selon certaines sources, à l’opération réalisée par la Comarit sur la Comanav accompagnée par la Banque Populaire et qui a réellement élevé le coût du risque dans le secteur et lui a fait perdre les avantages qu’il avait. Résultats immédiats: les fournisseurs ajustent leurs contrats. Les délais de paiement ne dépassent plus un mois.  Donc des soucis de trésorerie pour tous les opérateurs.
A ces problèmes qui plombent la compétitivité du pavillon national, s’ajoutent d’autres d’ordre fiscaux: l’absence de l’imposition des opérateurs maritimes sur la base du tonnage des navires exploités, généralement connu sous l’appellation «taxe au tonnage» ou encore la retenue à la source de 10% sur tout opération d’affrètement de navires non marocains. Autant d’avantages que n’ont pas les opérateurs nationaux et qu’ont leurs concurrents.
In fine, il semble que la Comarit soit l’une des victimes des dégâts d’une libéralisation enclenchée par l’Etat, sans qu’il y ait un accompagnement pour le renouvellement de la flotte. La multitude d’opérations qu’elle a réalisées pour atteindre la taille critique et qui semblent aujourd’hui hasardeuses et mal calculées auraient pu être différemment appréciées en cas de conjoncture positive et d’un meilleur accompagnement. Des maux dont ne souffre pas seulement la Comarit mais aussi tous les opérateurs dans le secteur, qui semble en proie à un état d’indifférence avancée malgré son aspect vital pour l’économie nationale.