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Le festival des fusions

Entreprises novembre 2010

Le festival des fusions

Peu nombreuses dans le passé, les opérations de fusions-acquisitions se succèdent. Les changements apportés au régime fiscal de ce genre d’opérations y sont certainement pour quelque chose et les patrons se félicitent de ces nouvelles mesures, tout en réclamant leur pérennisation.

Dès la fin des années 80, le code général des impôts prévoit des mesures visant à encourager les opérations de fusion-acquisition-absorption.
Ce n’est qu’au début des années 2000 que le phénomène prend de l’ampleur, avec une succession d’opérations dont on pourra retenir le rapprochement de BCM et Wafabank pour donner naissance à Attijariwafa Bank,  RMA et Al Watanya qui donneront RMA Watanya ou encore CNIA Saada. Plus récemment, ce sont Matel PC Market et Distrisoft qui sont devenus Disway et bien sûr, l’attention s’est surtout focalisée sur la fusion absorption de l’ONA par sa maison-mère, la SNI.
Les raisons, qui ont poussé ces entreprises à la fusion, de leurs activités, sont nombreuses mais les économies d’échelle restent l’un des avantages les plus évidents. En effet, la mise en commun des ressources de deux entreprises permet généralement l’élimination de doublons, tout en améliorant la position du management en situation de négociation, puisqu’il se retrouve avec une force de frappe plus importante. Les opérations de fusion ou de restructuration permettent également d’élargir les parts de marché, tout en réduisant la concurrence. Ainsi, dans le cas de la fusion de Distrisoft et Matel PC Market, Karim Benjelloun, directeur général de Disway, expliquait lors de la fusion qu’«il y avait une concurrence rude qui n’arrangeait ni les uns ni les autres et notre taille ne nous permettait plus d’aller chercher de la croissance externe ou d’aller sur des territoires comme l’Afrique. A vrai dire, nous sommes en concurrence avec des grossistes qui sont plus importants que chacun d’entre nous séparément. D’ailleurs, c’est ce qui nous fermait l’accès à ces territoires.»

Un régime fiscal rénové
Mais si les avantages des opérations de fusions paraissent nombreux, le régime fiscal qui les encadrait jusqu’à présent présentait encore certaines lacunes. Jusqu’au 31 décembre 2009, le Maroc connaissait seulement deux régimes relatifs aux fusions: un régime de droit commun et un régime de faveur. Au niveau fiscal, la fusion entraîne automatiquement la disparition de la société absorbée, ce qui s’apparente à une cessation d’activité. Et cette cessation doit normalement mener à l’imposition immédiate du résultat, des provisions et des plus-values, au taux de droit commun de 30 % au titre de l’IS. «Ce régime peut être intéressant lorsque la société absorbée a encore, au moment de l’opération, des déficits reportables car elle pourra ainsi utiliser ses déficits afin de diminuer son imposition.» indique Wilfried Le Bihan, directeur du cabinet d’avocats Francis Lefebvre à Casablanca. Cependant, la plupart des opérations de fusion étaient, jusqu’à présent, soumise au régime de faveur, qui permet de reporter l’imposition de la société absorbée en reconnaissant la continuité de son activité. Sous ce régime, les plus-values sur titres de participation apportés par l’absorbée à l’absorbante bénéficient également d’un étalement de l’imposition sur une durée maximale de 10 ans. En revanche, les régimes existants n’offraient pas à l’absorbante une exonération concernant les plus-values sur les titres de participation qu’elle détenait déjà dans l’absorbée. Les actionnaires de l’absorbée étaient ainsi immédiatement imposés au titre des plus-values d’échange de leurs titres. «Ces deux points représentaient une faiblesse du régime fiscal des fusions, notamment dans les cas où l’absorbante détenait une importante participation dans l’absorbée», précise Wilfried Le Bihan.

«Les régimes existants n’offraient pas à l’absorbante une exonération des plus-values sur les titres détenus dans l’absorbée.»

Et c’est donc la loi de finances pour l’année 2010 qui lève cette entrave, en instaurant un régime transitoire pour la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 (Voir encadré). Malgré la présence d’autres nouvelles mesures fiscales, c’est bien cette exonération concernant les plus-values sur les titres de participation que l’absorbante détenait déjà dans l’absorbée, qui retient l’attention. Car, il en ressort que ce nouveau régime, censé encourager les fusions, ne favorisera en réalité que les opérations de rapprochement entre des entreprises qui font déjà partie du même groupe. Les opérations de fusion-acquisition entre des groupes, qui n’ont pas déjà des participations croisées ou qui ne sont pas filiales d’un même holding, seront menées sous le régime de faveur qui existait auparavant. Certaines mauvaises langues vont même jusqu’à dire que ce nouveau régime fiscal temporaire a été taillé sur mesure pour diminuer le coût fiscal de la fusion entre l’ONA et la SNI; la seconde détenant 35,55% de la première au moment de la fusion. Cela aurait dû conduire à un coût fiscal d’environ 2,7 milliards de dirhams selon l’ancien régime fiscal, mais cela a été ramené à 700 millions de dirhams approximativement avec le nouveau régime. Soit une économie de près de 2 milliards de dirhams. Dans le cas de Finatech, qui a récemment procédé à l’absorption de ses 18 filiales pour constituer ainsi une seule entité juridique, le coût fiscal de l’opération est passé de presque 50 millions de dirhams à environ 18 millions de dirhams.
Après l’ONA et la SNI, de nombreux autres groupes marocains sont en train de préparer des opérations de fusion-absorption, souhaitant profiter d’un régime fiscal favorable, qui prendra fin en 2012. Le groupe de Hadj Fahim, Delta Hoding, serait ainsi en train de procéder au regroupement de ses nombreuses filiales, actuellement éparpillées entre 5 pôles différents. Sanam Holding, le groupe de Saïd Alj, est également en train de mener l’une des plus grosses opérations de restructuration. Celui-ci va procéder à la fusion-absorption d’une dizaine de ses filiales, les plus importantes étant les fusions- absorptions de La Monégasque-Vanelli Maroc et de Consernor par Unimer, afin de donner naissance au premier opérateur mondial de petits pélagiques. «Ces opérations nous permettront de réaliser de nombreuses synergies au niveau commercial, industriel et logistique et la nouvelle loi de finances tombe à pic car elle nous permet de mener à bien la restructuration du groupe à un coût fiscal acceptable», indique Ismaïl Farih, directeur général du groupe Sanam.

Les lacunes persistent
Les modifications du régime fiscal appliqué aux opérations de fusion et autres semblent avoir convaincu les patrons marocains, mais certaines limites au nouveau dispositif demeurent. Ainsi, Wilfrid Le Bihan, directeur du cabinet d’avocats Francis Lefebvre, indique «qu’au niveau corporate, il existe une difficulté sur les formes sociales utilisées pour la réalisation de l’opération de fusion. La SAS (société anonyme simplifiée) reste uniquement adaptée aux joint-ventures, mais son capital ne pouvant être détenu que par des personnes morales, toute opération qui nécessite la participation au capital de personnes physiques, tels que les dirigeants des entités concernées, doit nécessairement passer par le recours à la SA. La plupart des opérations de restructuration impliquant très fréquemment la prise de participation dans le capital de personnes physiques, les parties à l’opération seront donc contraintes de la réaliser sous la forme de SA. »
Un autre obstacle aux restructurations relevé par notre expert concerne l’absence au Maroc de régime d’intégration fiscale, tel qu’il existe en droit français. Au Maroc, seul le régime mère-fille existant permet de faire remonter les dividendes de la filiale au niveau de la holding en exonération d’impôt.
En revanche, l’absence d’intégration rend impossible l’imputation des pertes d’une société sur les bénéfices de la holding. Enfin, certains professionnels déplorent le fait que les contrôles fiscaux et les contrôles de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) aient un caractère systématique après chaque opération de fusion et pèsent considérablement sur les prises de décisions.
Cependant, il reste difficile de considérer le respect de la loi par les entreprises comme un obstacle législatif. Le nouveau régime fiscal pour les opérations de fusion et d’absorption lève plusieurs obstacles au développement de ce genre d’opérations. L’objectif est de faciliter l’émergence de groupes forts, qui pourront faire face aux compétiteurs étrangers, dont l’entrée sur le marché marocain pourra se faire dès 2012. Malgré certaines lacunes persistantes, le patronat est globalement satisfait du nouveau régime fiscal.
Mais l’incertitude demeure, quant au caractère temporaire de ces mesures qui prendront fin en 2012. Les premiers groupes, ayant opté pour la restructuration sous ce nouveau régime, commencent déjà à en voir les retombées positives, en termes de croissance de chiffre d’affaires et de parts de marché.
Si cette tendance se confirme d’ici à 2012, il faudra bien songer à pérenniser les avantages du régime temporaire actuel.

Ce que prévoit la Loi

L’une des nouveautés apportées par ce régime est l’application du régime des fusions aux opérations de scission, qui n’existait pas jusqu’alors. En revanche, le régime de faveur ne sera toujours pas applicable aux scissions partielles et aux apports partiels d’actifs. La seconde avancée se rapporte à l’exonération des plus-values sur les titres de participation détenues par l’absorbante dans l’absorbée, rapprochant ainsi le régime marocain du régime existant en France, par exemple. De plus, concernant les plus-values sur échange des titres des actionnaires de l’absorbée, la loi de finances prévoit un report d’imposition jusqu’à la date de cession ou de retrait des titres et non plus une imposition immédiate. Au sujet des plus-values sur les titres de participation apportés par l’absorbée à l’absorbante, elles bénéficient d’un report d’imposition jusqu’à la cession ou le retrait des titres et non plus d’un étalement de l’imposition sur une durée de dix ans. Mohamed Hdid, président de la Commission Fiscalité à la CGEM, rappelle que les incohérences auxquelles met fin cette nouvelle loi de finances sont depuis longtemps dénoncées par le patronat marocain, qui considère le coût fiscal des opérations de fusion et de restructuration comme un obstacle majeur à leur généralisation. Or, il pourrait préparer les grandes entreprises marocaines à affronter la concurrence qui s’annonce rude lorsque le démantèlement tarifaire sera opéré en 2012.