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D’un holding coté à un «Family Office»

Entreprises mai 2010

D’un holding coté à un «Family Office»

La fusion ONA-SNI est entrée dans les annales de l’économie marocaine. C’est un pas courageux qu’a franchi le Souverain en se retirant de la gestion des secteurs historiques, là où son holding a bâti sa forteresse. Le message subliminal est qu’il offre une opportunité unique aux ténors privés de l’économie pour prendre le relais de l’investissement. Sauront-ils saisir cette opportunité?

On n’a pas fini de décrypter la fusion de l’ONA-SNI. L’événement est tellement spectaculaire qu’il ne quittera pas la scène de l’actualité de sitôt. Il faudra certainement beaucoup de temps à la communauté politico-économique pour digérer cette initiative royale et en comprendre véritablement le contenu. Economie|Entreprises salue ce geste royal, qui est une énorme avancée pour le Maroc et pour le paysage économique.

Les actionnaires se serrent les rangs
Depuis le 26 mars, date de l’annonce de la nouvelle, chaque jour apporte son lot d’informations. Après l’annonce de la décision de recevabilité du projet des OPR sur les titres ONA et SNI, il n’est plus question que de quelques semaines pour que la radiation s’opère. Donc, d’ici la fin de l’année, la fusion des deux holdings sera effective.
Le montant maximal de l’opération devra porter sur 22 milliards de dirhams. La décision de recevabilité des OPR dévoile aussi une information de taille. Ce n’est pas Siger qui assumera seule la totalité du montant des OPR, puisque certains actionnaires ont décidé de continuer l’aventure, en se portant initiateurs des OPR auprès d’elle. Pour retirer la SNI de la cote, la Siger, via Copropar, a été épaulée par Lafarge. Tous deux devront débourser la somme de 7,7 milliards de dirhams pour les 4.071.421 actions au prix unitaire de 1.900 dirhams. En ce qui concerne l’ONA dont la facture est beaucoup plus importante, la SNI (Siger autrement dit) mène un consortium composé de Compagnie Gervais Danone, Banco Santander, Axa Assurance Maroc, SGMB, Investima et FIII, plus connu sous le nom de Financière Diwan. Ainsi, la SNI et ses partenaires devront débourser la coquette somme de 14,3 milliards de dirhams pour racheter tous les titres de l’ONA, soit 8.663.680 actions au prix unitaire de 1.650 dirhams.
De ce fait, on peut dire, d’emblée, que le tour de table de chacune des deux holdings,  une fois l’OPR terminée, sera connu pour peu «que tous les autres actionnaires daignent jouer le jeu et vendent leurs actions», explique un analyste, sous couvert de l’anonymat. «Mais une telle affirmation est un peu prématurée. Car, on ne peut pas savoir ce qui se passera entre les actionnaires initiateurs de l’OPR, une fois l’opération achevée», poursuit notre analyste. Rien ne nous dit si les partenaires de Siger et SNI resteront dans le tour de table, puisqu’ils peuvent très bien négocier une bonne sortie pour laisser à Siger la totalité des actions de la nouvelle entité. Mais, pourquoi un investisseur institutionnel comme Lafarge, par exemple, s’engagera- t-il sur de tels montants s’il compte sortir du tour de table par la suite? Il pourrait très bien profiter lui-même des conditions avantageuses de l’OPR pour s’assurer une plus-value! Ces mêmes investisseurs joueront-ils un rôle dans la future recomposition du capital des filiales de ONA-SNI, tels que Centrale Laitière, Lafarge Maroc, Attijariwafa Bank…? D’ailleurs, le management de la SNI a déclaré à un quotidien de la place que leur participation aux consortiums initiateurs des offres marque leur confiance par rapport au projet futur de reconfiguration. Conclusion logique: ces derniers peuvent donc se renforcer davantage dans leurs filiales respectives. On n’en saura davantage qu’après la fusion ONA-SNI.  Economie|Entreprises aurait aimé avoir davantage d’explications des architectes de la fusion mais ses multiples sollicitations auprès du Président Hassan Bouhemou sont demeurées sans suite.

L’endettement, une écharde au pied
Jusque-là, et sans équivoque, la réflexion de base est que Siger est incapable de supporter les 22 milliards de dirhams nécessaires à la bonne marche du projet. D’ailleurs, le management de la SNI ne s’en cache pas. «Pour ce qui est du financement des OPR, cette opération sera structurée de manière classique avec le recours aux fonds propres des initiateurs et de leurs partenaires et à l’endettement sur le court, moyen et longs terme», a expliqué Ayman Taud, directeur de la SNI à un hebdomadaire de la place. Aujourd’hui, on est encore incapable de connaître l’allocation réservée à chaque type de financement. Car il faut déjà que l’on sache si les co-initiateurs (Siger et ses partenaires de l’OPR) rachèteront des actions à proportion de leurs parts, ou à plus ou à moins que celle-ci. A l’heure où nous mettions sous presse, ce montage était encore gardé secret.
Toutefois, quel que soit le montant à lever, la situation d’endettement de la SNI est loin d’être confortable : 7,3 milliards de dettes pour 9 milliards dirhams de capitaux propres. Concernant sa filiale ONA, la situation est peut-être moins critique mais elle reste dans le rouge avec un endettement de 14 milliards de dirhams pour 30 milliards de fonds propres. Ce qui réduit à la base la marge de manœuvre du groupe. Mais d’ores et déjà, le microcosme financier se fait l’écho de la méga opération d’endettement auprès d’un consortium de banques qui n’est pas encore connu. Si l’affaire avait été portée, il y a tout juste quelques semaines auparavant, tout le système financier aurait catégoriquement plaidé l’impossibilité des banques à suivre le holding royal dans son aventure. Or, une heureuse nouvelle (loin d’être une coïncidence) est venue rendre la chose possible, le 30 mars dernier. Lors de son dernier conseil d’administration, Bank Al-Maghrib a décidé de baisser le taux de la réserve obligataire de 8 à 6%, «compte tenu des prévisions d’évolution des facteurs de liquidité». Tout est dit ! Cela permet d’injecter quelques 9 milliards de dirhams et donne plus de marge de manœuvre aux banques marocaines. Pour atténuer cette dépense, la SNI compte rembourser en partie cet endettement par les cash-flows de la nouvelle entité et par des opérations de cession. En effet, après le retrait de la cote et la fusion entre les deux holdings, un troisième temps viendra pour que la nouvelle entité lance des offres publiques de ventes pour trois de ses filiales les plus matures. A savoir Cosumar, Lesieur Cristal et Centrale Laitière. Les analystes de BMCE Capital ont estimé le produit latent de cession du contrôle des entités autonomisées à 6,39 milliards de dirhams (estimation faite au cours du 25/03/2010), dont 3,1 milliards pour Centrale Laitière, 1,87 milliards de dirhams pour Cosumar et enfin 1,38 milliards de dirhams pour Lesieur Cristal. A moyen terme, d’autres filiales seront cédées sur le marché boursier. On parle,  entre autres, d’Attijariwafa bank… Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas encore de vision arrétée sur l’avenir des autres filiales.

Une décision politico-économique
Mais au delà de l’aspect financier, le management de la SNI, qui a investi toute la presse pour expliquer l’opération, tient à ce que les choses soient claires: «il ne faut pas s’y tromper. Il ne s’agit pas d’une opération financière. C’est une opération de repositionnement stratégique et d’affirmation de nouveaux principes d’intervention et de gouvernance. Les aspects financiers ne sont que les moyens pour réaliser ce repositionnement». En effet, OPR, fusion et OPV ne sont qu’un simple moyen de concrétiser une nouvelle vision stratégique. «Il s’agit d’une opération saine, puisque l’empilage des holdings est contesté partout dans le monde. Mais, au-delà, cela permet de démystifier un mythe», analyse un stratège proche l’ONA. Symboliquement, ce revirement stratégique mettra un terme à l’idée de la «royalisation de l’économie». En effet, cette idée a énormément porté préjudice à l’économie marocaine qui prône l’ouverture et la libéralisation. L’immersion des capitaux de la famille royale dans l’économie opérationnelle est loin d’être une mauvaise chose en soi, car cela a permis de faire émerger des champions nationaux dans divers secteurs et, surtout, de servir de locomotive économique au lendemain de la succession, alors que tous les investisseurs étaient frileux. Toutefois, l’impression de la mainmise des proches du cercle royal devenait plus persistante, chaque fois que l’ONA et la SNI étendaient leurs tentacules. Bien que Hassan Bouhemou ait déclaré sur les colonnes d’un quotidien que «l’ancien model s’est essoufflé», il est juste de préciser que ce même modèle a bel et bien servi son époque.

L’ère du «hands off» est arrivée!
Pour couper court à cela, l’idée de sortir de l’économie opérationnelle mûrissait depuis des années. D’un côté, l’actionnaire de référence n’a plus voulu être associé, à tort ou à raison, à tout ce qui se trame dans les coulisses de l’économie marocaine. Et d’un autre côté, l’ONA a cherché sa vocation au milieu de tous les étages de sa hiérarchie avec 3 missions: assumer les fonctions supports, instaurer des règles de groupe et rechercher les synergies entre ses filiales. Et c’est cette dernière mission que «l’ONA n’a jamais vraiment réussi à assurer», explique un proche du groupe. Durant plusieurs années, l’ONA a basculé entre les «hands on» et les «hands in». Dans le premier cas, la holding s’est impliquée dans la gestion de l’entreprise aux côtés du management des filiales en étant proactif, sans être toutefois opérationnelle. Ca a été la phase de la filialisation. Dans le second cas, elle est entrée dans la phase de polarisation par métier afin d’avoir plus d’implication dans la gestion opérationnelle des filiales. Dans cette agitation organisationnelle, plusieurs PDG qui se sont succédés à la tête du holding royal, ont prêché la fusion des deux holdings. Il n’était pas nécessaire d’être un fin stratège pour relever la perte de valeur engendrée par l’existence de deux holdings, émanant d’un seul donneur d’ordre. Plus loin, la fusion des deux holdings et la cession de contrôle des participations les plus matures renvoient aux souhaits des actionnaires de référence de basculer vers une implication plus passive qui se qualifie de «hands off». Il s’est aussi agi d’une volonté, du plus haut niveau du Pouvoir, de réduire les étages hiérarchiques afin de bien définir les responsabilités. Ainsi, il n’y aura plus que Siger qui détient,  à travers Copropar, un holding d’investissement avec un portefeuille de participations assez étendu.

«Vers un family office»
Il ne serait pas faux de conclure que l’une des raisons de cette fusion est une «overdose» (sur-médiatisation) de ONA et SNI et l’un des objectifs recherché est la discrétion. A juste titre, la nouvelle entité changera de nom pour se fondre dans le paysage économique. Ce qui nous pousse à penser que les biens de la famille royale seront gérés sous un modèle très répandu au Moyen-Orient et dans certaines monarchies européennes (voir notre analyse «l’ONA, le petit business royal» de décembre 2008, numéro 110, pages 77-79). En effet, les grandes familles régnantes du monde gèrent leurs actifs à travers des sociétés de gestion de patrimoines, connues sous le nom de «Family Office». Le holding royal a tiré l’économie marocaine pendant plus d’une décennie. Cela ne veut pas dire pour autant que le nouveau holding d’investissement, que certains associent même à un fonds souverain, cessera de jouer son rôle de locomotive. Son nouvel élan sera porté sur les secteurs d’avenir, à forte intensité capitalistique comme les télécoms et les énergies, mais il préfère un peu plus de discrétion. Quant au reste, le message est clair: En battant en retraite, le holding royal tend la perche à l’ensemble des dirigeants économiques, afin qu’ils aillent de l’avant et cessent de faire porter à l’ONA-SNI la responsabilité de leur manque d’initiative. Vont-ils saisir le message ?

hgharbaoui@sp.ma

Structure à l’américaine !

Le concept de Family Office a fait son apparition aux États-Unis au cours de la seconde moitié du XIXème siècle. Le Family Office est une structure de conseil et de suivi dédiée à une ou quelques personnes fortunées afin de les représenter auprès de l’ensemble de leurs prestataires de service quels que soient leurs domaines d’activité. Cela a commencé, avec des familles telles que les Rockefeller, Whittier, qui établirent pour leur compte, des structures ad hoc afin de contrôler elles-mêmes certains aspects de la gestion de leur patrimoine. Ainsi, naquirent les premiers «single family offices». Structures détenues à 100% par une famille, principalement dirigées par un ou plusieurs de leurs membres et dédiées à un éventail de tâches pouvant aller de la gestion de la fortune familiale, l’allocation d’actifs, la supervision d’établissements bancaires, le reporting consolidé, l’attribution de performances, à l’optimalisation juridique et fiscale du patrimoine. Bref, une sorte de banque d’investissement privé, qui gère les actifs de la famille. Depuis quelques décennies, ce modèle de structure a été emprunté par les familles régnantes dans le monde. En Angleterre, en Belgique et en Hollande, mais aussi très répandu au Moyen-Orient. Ce modèle allie la discrétion d’une banque privée et la meilleure des performances puisque, très souvent, ils emploient des banquiers de renom.