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Un marché en quête de solvabilité

Dossier mars 2010

Un marché en quête de solvabilité

Même si les opérateurs de l’immobilier haut de gamme s’obstinent à affirmer que le marché se porte bien, la reprise tarde à se faire sentir. Tassement des prix, frilosité des banques, ralentissement des chantiers, voilà ce qu’endurent les promoteurs immobiliers opérant dans le luxe et ce, à cause d’une conjoncture défavorable.

«Il y a un réel tassement dans le segment de l’immobilier de luxe, notamment à Marrakech, où les promoteurs ont du mal à écouler leurs produits. Ces derniers se sont lancés dans des projets énormes ayant pour cible les étrangers, mais il y a eu un retournement de situation, à cause de la crise», affirme Youssef Ibn Mansour, président de la Fédération Nationale des Promoteurs Immobiliers (FNPI). Incontestablement, c’est le segment de l’immobilier de luxe, qui représente près de 5% de l’offre immobilière globale, qui souffre le plus de la crise.
La situation à Marrakech est la plus grave. Le recentrage de sa vocation touristique vers le luxe, qui a fait ses beaux jours, lui fait défaut aujourd’hui. Y a-t-il un espoir de reprise? «C’est la mort ici. A Marrakech, on ne parle pas de la vente d’un appartement ou d’une petite villa. Il faut raisonner en termes de flux. Or, ces dernières années, ces flux étaient très importants mais Marrakech évoluait dans une bulle… A mon sens, il ne faut plus prendre comme référence ces années-là», avance Hassan Lahlou, promoteur d’un programme de villas de luxe à Marrakech. Même son de cloche dans les autres villes, touchées à leur tour par la fièvre du luxe. De Casablanca à Tanger, en passant par Rabat, Fès ou encore Agadir, les incidences de la crise se sont fait sentir.

Moins de chantiers
En l’espace de 15 mois, c’est-à-dire depuis octobre 2008, l’euphorie a cédé la place à l’attentisme. Ainsi, la demande a chuté, les prix ont baissé, les taux de crédit ont augmenté et la vitesse de construction des chantiers a été freinée… Le nombre d’autorisations de construire en est la preuve. Concernant les villas, le nombre d’autorisations sur tout le territoire marocain a diminué de 20,2%, passant de 2.455 en 2007 à 1.959 autorisations en 2008. Elles ont aussi, pour la même période, vu leur valeur chuter de 1,7 à 1,6 milliards de dirhams, soit- 4.7%. Ce qui induit une baisse notable des prix. S’agissant des immeubles, la baisse des autorisations a été de l’ordre de 19.7%. Et si l’on prend comme référence la région, tous types de construction confondus, le nombre d’autorisations a baissé de 28,2% dans le Grand Casablanca, suivi de près par Marrakech-Tensift-Al Haouz avec 26,2% puis 15,8% pour la région de Tanger-Tétouan. La chute a été plus contenue dans les régions de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer et Fès-Boulmane avec des taux respectifs de 11% et 3,5%(voir graphe détaillé).

La bulle marocaine
Les raisons de cette situation sont connues. En premier lieu, la crise internationale. La demande étrangère, essentiellement constituée de marocains résidant à l’étranger (MRE) et de la clientèle européenne, a baissé. Les investissements étrangers ont également chuté. Selon le Centre Marocain de Conjoncture, l’immobilier, qui figure parmi les secteurs les plus touchés par la baisse des investissements étrangers, a enregistré une baisse de l’ordre de 32,9% au premier trimestre 2009. Outre cette morosité liée à l’étranger, le secteur fait face à des pressions internes. «Pour notre cas et comme beaucoup d’opérateurs, nous connaissons des tensions de trésorerie mais nos banques partenaires connaissent bien notre stratégie et gardent confiance en nos fondamentaux», avoue Karim Amor, directeur général de Jet Sakane. Si les grands groupes ont cette chance, ce n’est pas le cas de tous les promoteurs. Les plus petits souffrent, en effet, de harcèlement de la part de leurs banques, qui ont serré les vannes des crédits et sont devenues plus exigeantes, en termes de remboursement, de garantie… Ce qui, parfois, met les opérateurs dans des situations difficiles.

Assainissement du secteur
Pourtant, il faut bien avouer que la crise a ramené son lot de bonnes nouvelles pour le secteur. Elle a permis de freiner l’élan dévastateur qu’avait pris le segment du luxe, alimenté par l’avidité de certains promoteurs qui prenaient les étrangers pour la poule aux œufs d’or. Ainsi, les acheteurs, qui n’avaient pas de grandes exigences face à une offre réduite et restreinte par le passé, ont laissé place à une clientèle plus difficile et avertie, dont le budget est désormais serré, à cause de la situation difficile dans leurs pays. «Les étrangers savent qu’il y a une crise depuis deux ans, donc ils négocient au maximum les prix proposés. Par exemple, pour une villa dont le prix affiché est de 5,2 millions de dirhams, sachant qu’avant la crise, elle était 20% plus chère, ils offrent 4,5 millions de dirhams», explique Hassan Lahlou. C’est dire que les années des prix exorbitants sont dernière nous. Et la qualité est une exigence, plus qu’avant ! Il ne suffit plus d’afficher les mentions «haut standing» ou encore «très très haut standing» pour duper le client. D’ailleurs, le ministère planche sur ce sujet pour établir des normes régissant les standings des logements. Une étude qui, lors de sa présentation, a suscité le débat (voir encadré). «Ces normes permettront certes d’assainir de plus en plus le secteur. Mais il faut garder en tête que le seul et l’ultime juge, au final, reste le client qui ne doit pas du tout être berné par l’effet d’annonce qu’utilisent certains promoteurs», soutient Yassine Lahlou, directeur général du Comptoir de l’immobilier et récemment nommé responsable de la commission communication au sein de la FNPI.

Un optimisme pragmatique
Quand cette crise prendra-t-elle fin? Quelques signes augurent d’une légère reprise. Selon les promoteurs, les clients manifestent de plus en plus leur intérêt, certes pas au même niveau qu’avant, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un signe positif. Les visites aux agences reprennent, les appels pour renseignements et les envois de mails aussi… De plus, il est à noter que, malgré toutes ces ondes négatives qui affectent le segment, quelques promoteurs sont arrivés à tirer leur épingle du jeu. «Il y a des programmes bien étudiés et qui marchent bien. Par contre, d’autres projets ont du mal à résister car ils ont été mal étudiés», affirme le président de la FNPI. Aussi, l’année 2010 s’annonce donc sous le signe d’un optimisme pragmatique, coupant court avec la bulle spéculative du passé et revenant à un rythme «normal», où promoteur et acquéreur sont tous deux gagnants. Le premier trouvera un foncier abordable et le second un logement qui propose un rapport qualité/prix raisonnable. Les professionnels affirment que la clientèle marocaine reprend confiance. Concernant les étrangers, «il y a lieu d’être optimiste. Je cite en exemple une récente étude française, dont les conclusions prévoient une relance de l’activité. Elle démontre ainsi que 30% des futurs retraités français prévoient de passer leur retraite à l’étranger. 25% d’entre eux ont cité le Maroc comme pays d’accueil», affirme Jawad Ziat, directeur général de Prestigia. En attendant une réelle reprise, les promoteurs immobiliers se concentrent sur la clientèle marocaine. Seulement, y a t-il assez de demandes pour couvrir toute cette offre? Comment les promoteurs réussiront-ils à se démarquer et à réaliser de bonnes performances, en ces temps difficiles ? La clé de la réussite réside dans une stratégie de commercialisation innovante. 

La matrice des standings… Le luxe mis à l’écart

Compliquée et peu convaincante, la matrice des standings, présentée par le cabinet d’étude Edesa, a suscité moult réactions et critiques lors de sa présentation. D’abord, les rumeurs, selon lesquelles les normes de standing seraient obligatoires, ont fait réagir les promoteurs. «On s’accorde sur le fait que les normes standing doivent être mises en place mais on s’oppose à l’obligation. Il faut que ces normes soient facultatives au départ. Je pense que le ministère est conscient qu’il faut commencer par faire un bilan, une évaluation en bonne et due forme avant de passer à l’obligation», remarqueYoussef Ibn Mansour, président de la FNPI. La question de l’obligation réglée, les promoteurs se sont confrontés à une matrice présentant 5 types de standing, dont deux sont la résultante d’une loi et non d’un réel standing, à savoir le logement à faible VIT et le logement social. Pour les trois autres, il s’agit du logement économique, moyen et haut standing. L’autre surprise, le segment du luxe, a complètement été écarté de la matrice. Et, pour seule explication, les concepteurs de la matrice avancent que le segment du luxe fausserait la donne au niveau du classement. Il s’agit d’un segment qui englobe de nombreux opérateurs, du plus petit promoteur aux grandes structures, telles que Prestigia, Alliances développement, CGI… L’instauration de ces normes «permettra l’amélioration de la qualité des produits, la structuration du marché et de ses segments et la protection du client contre les différentes formes d’interprétation des standings, comme c’est le cas actuellement», affirme Mohammed Ouanaya, PDG de la CGI. Comment cette matrice pourra-t-elle répondre à ses objectifs si, d’emblée, elle met à l’écart un segment assez important de l’offre immobilière, laissant aux promoteurs peu scrupuleux un argument qu’ils pourront utiliser à tout moment pour tromper les clients? S’ajoute à cela, des critères d’évaluation et une méthode d’évaluation qui ont surpris plus d’un. La normalisation des standings «est un chantier difficile à mettre en place», conclut le président de la FNPI.